Durant toute une phase dont nous sommes en train de sortir, un mécano de fortune a été improvisé afin de tenter de stabiliser la crise financière et de gagner du temps, dans l’espoir que progressivement elle se résorbe.
Or, celui-ci est désormais grippé, laissant les dirigeants du monde occidental dans l’expectative. Les tensions à venir sur le marché obligataire global, et pas seulement celui de la dette souveraine, créent une situation qui va les amener à empiriquement rechercher un nouveau montage.
Cette construction faisait d’une pierre deux coups. Alimentant les banques en liquidités, afin que celles-ci reconstituent leurs marges en achetant des obligations souveraines; permettant en retour de financer la dette publique, et donc les mesures destinées à sortir de la récession. Car celle-ci menaçait à nouveau l’équilibre du système bancaire. En fin de parcours, les banques centrales récupéraient une partie de ces obligations, via les prises en pension réalisées en contrepartie de l’émission de leurs liquidités.
Les banques centrales étaient le moteur de ce mécanisme qui faisait des banques des intermédiaires obligés – à tous les sens du terme – entre elles et les Etats, tout à leur bénéfice. Accessoirement, dans le cas de la Fed et de la BoE, elles achetaient également sur le marché primaire (en direct) des obligations souveraines.
Un gros grain de sable est venu perturber ce mécanisme, lorsqu’il est apparu que les obligations souveraines n’étaient plus le refuge qu’elles étaient. En raison de l’accroissement de la demande sur le marché obligataire, celle-ci générant une inévitable hausse des taux à terme, à laquelle allait correspondre une baisse de leur valeur. L’addition des émissions des Etats et de celles des établissements financiers en était à l’origine, surenchérissant les coûts de financement des uns comme des autres et pesant sur les bilans des derniers.
Or, les émissions obligataires des Etats ne peuvent pas diminuer rapidement, sur la lancée de la poursuite d’importants déficits et d’une lente stabilisation de la dette, tandis que se profile à l’horizon une nouvelle réglementation financière, à laquelle les banques comme les assurances vont être soumises, qui va également susciter d’importantes émissions. Devant cette perspective, les banques firent alors pression sur les deux fronts, afin de soulager les tensions à venir dont elles ne veulent pas faire les frais. A l’encontre des Etats, en leur faisant savoir via les marchés qu’ils doivent réduire drastiquement leurs déficits (et donc leurs émissions), vis à vis de leurs autorités de tutelle, afin que les nouvelles contraintes soient réduites et étalées dans le temps.
Mais la suite des événements a compliqué ce calcul, après que la zone euro a été choisie comme point faible pour que sa démonstration soit la plus implacable possible. Les banques qui en étaient à l’origine ont été prises à leur propre jeu, risquant d’être atteintes en retour si les Etats ne supportaient pas la cure qu’elles leur imposaient, en raison de leur détention en grandes quantités d’obligations souveraines. La crise de la dette publique et celle de la dette privée n’ont alors plus fait qu’une.
D’Europe, d’où il est parti, ce nouvel épisode de la crise menace désormais de s’étendre aux Etats-Unis. On a cru que ce serait via la contagion affectant le système bancaire, cela a été endigué, mais la situation propre des Etats-Unis pourrait y suffire. La situation des Etats et des grandes municipalités pourrait être le levier de sa reproduction. Les quasi faillites comptables ne s’y comptent plus.
Afin de se financer, les collectivités ont émis des muni-bonds en quantité industrielle – de l’ordre de 2.500 milliards de dollars – sous forme de produits structurés complexes devenus illiquides (non négociables). Les monolines qui apportaient précédemment leurs garantie étant disparus lors d’un épisode précédent de la crise, les banques sont désormais directement exposées au risque de défaut. Leur refinancement posant au Trésor américain un redoutable problème, vu le niveau atteint par la dette; la Fed risquant en fin de compte d’être sollicitée pour monétiser cette dette, comme elle l’a massivement fait pour les crédit hypothécaires.
Cela représente une deuxième bombe à retardement, après celle de Fannie Mae et Freddie Mac, alors que l’hypothèse d’un retour de la récession prend corps aux Etats-Unis.
L’option la plus probable – une fois acquis que les banques centrales vont poursuivre leurs émissions de liquidité (même la BoE l’a annoncé, en dépit d’un taux d’inflation britannique actuel élevé au regard de la norme de 2%) – est qu’elles vont devoir se résoudre à réengager une politique de création monétaire intensive, en vue de financer des budgets publics qui vont à nouveau devoir être mis à contribution, afin d’éviter aux Etats de trop solliciter un marché dont les réactions sont redoutées. Cette décision, plus ou moins difficile à prendre suivant les pays ou les zones monétaires, n’est pas encore prise. Lorsque la récession frappera à la porte, pourra-t-elle être éludée ?
Certes, la politique suivie par les banques centrales des pays émergents pourrait contribuer à détendre un peu la situation, et éviter que des tensions trop fortes n’apparaissent sur le marché de la dette souveraine. Sachant que ce qui est cause dans un premier temps, c’est plus les disparités accrues de taux qui vont être enregistrées que le risque d’un krach obligataire. Mais l’écart va être important entre ce que les marchés vont pouvoir absorber et les émissions qui vont s’y présenter. Une hausse des taux, retardée tant que les obligations d’Etat étaient un refuge recherché, en sera la conséquence logique et inévitable.
Les banques centrales des pays émergents – en premier lieu celle de la Chine – vont devoir continuer de soutenir leurs marchés à l’exportation dans les pays occidentaux, en finançant leurs déficits, car les économies émergentes ont tout à craindre d’une récession venant frapper leurs principaux clients. Au lieu de réévaluer substantiellement le yuan comme le gouvernement américain le souhaite ardemment, avec comme effet espéré de diminuer les surplus commerciaux chinois et les déficits américains de même nature, la banque centrale chinoise continuera d’acheter des fortes quantités d’obligations libellées en dollars, en yens et en euros. A cet égard, on a remarqué que les Chinois viennent d’augmenter leurs achats de bons du Trésor japonais, privilégiant, comme il le font pour les obligations libellées en dollars ou en euros, les maturités courtes afin de diminuer les risques. La diversification des achats visant le même objectif. Mais cela ne suffira pas à éviter les tensions qui s’annoncent sur le marché obligataire.
La zone euro a pour sa part choisi un dispositif qui revient à faire profiter les pays qui ne pourraient plus se présenter sur le marché obligataire du taux, même majoré, qu’obtiendra le véhicule spécial dont le montage est en cours, lorsqu’il empruntera pour leur compte afin de leur prêter ensuite. Le responsable nouvellement nommé de celui-ci fait actuellement la tournée des agences de notation, afin d’obtenir la meilleure note possible et donc le meilleur taux. Il s’agit d’atténuer ainsi les disparités de traitement imposés par les marchés. Mais ce dispositif est fragile et sa viabilité n’a pas connu l’épreuve du feu.
Enfin, l’achat par la BCE d’obligations souveraines des pays à risque, qui se maintient à un niveau limité, ne parvient qu’à contenir les taux que ceux-ci vont devoir consentir à l’occasion de leurs opérations de roulement de leur dette, contribuant à rendre encore plus difficile le redressement de leurs finances publiques. Les Européens en sont encore au bricolage et aux demi-mesures.
C’est à l’échelle de toute l’économie occidentale qu’un même dilemme va se trouver posé, sauf à ce que les banques centrales monétisent la dette publique et accroissent encore leur rôle dans le fonctionnement assisté du système financier international. Comment choisir entre deux maux, une longue récession accompagnée d’une déflation et d’une lente décrue du déficit public puis de la dette, ou bien une élévation rapide et pesant sur les budgets du coût de celle-ci en raison de la poursuite de mesures fiscales de soutien à l’économie ?
En dernier recours, le FMI n’attend qu’une occasion de faire valoir les services qu’il pourrait rendre dans ce domaine en fouillant dans sa boîte à outils. Non plus en jouant les pompiers suivant de nouvelles formules et selon de nouveaux programmes plus adaptés à la crise – comme son intervention musclée en Europe centrale et de l’Est en témoigne (un soutien indirect à l’Europe de l’Ouest) – mais de manière encore bien plus ambitieuse, pour laquelle il ne peut aujourd’hui que prendre discrètement date.
L’idée est d’emprunter aux pays disposant d’importants surplus pour prêter à ceux qui ont besoin de financer leurs déficits ou leur développement, comme une super banque mondiale d’investissement, qui saurait s’entourer de garanties. Tout en leur proposant des rendements meilleurs que ceux que les bons du Trésor américains peuvent leur procurer, compte non tenu des incertitudes qui planent à leur sujet.
Ce programme suppose de donner aux prêteurs de sérieuses garanties pour les convaincre, la première d’entre elle étant d’accroître bien plus que prévu actuellement la répartition des droits de vote et des droits de tirage spéciaux au sein du FMI. Ce serait un premier pas vers un nouveau Bretton-Woods, où serait ensuite décidé une refonte globale du système monétaire international, pour laquelle les Chinois ont déjà avancé quelques idées force, et qui parachèverait l’édifice.
Mais cela ne pourra se réaliser qu’au prix de la perte par les Etats-Unis du statut privilégié du dollar. Leur économie pourra alors espérer retrouver son équilibre, non sans une profonde transformation de celle-ci et de la société. L’Europe n’y échappera pas non plus.
Dans ce nouveau contexte, il n’est pas exclu que puissent se glisser des éléments en rupture avec le système actuel, porteurs de leur propre dynamique…
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