Maxime Combes
Les « grands » de ce monde se réunissent à Toronto, au Canada pour un nouveau G20 dès le 26 juin. Vont-il enfin se décider à taxer la finance folle, à mettre en œuvre des mesures face à l’épuisement des ressources naturelles et au réchauffement climatique ? Rien n’est moins sûr au vu des positions ultra réactionnaires affichées par le pays hôte. En parallèle, les mouvements sociaux nord-américains tiennent un « Sommet des peuples » à Toronto puis se retrouvent pour un Forum social à Détroit.
Le Canada accueille le G8 [1] puis le G20 [2], ce qui est une première. Les dirigeants des huit nations les plus puissantes de la planète se retrouveront les 25 et 26 juin à Huntsville, petite ville au milieu des lacs et des forêts. Ils sont attendus le 26 en fin de soirée à Toronto pour entamer le sommet du G20.
Journalistes confinés et policiers par milliers
Pendant le G8, la grande majorité des journalistes restera confinée au centre de presse de Toronto, à 200 km d’Huntsville où résideront chefs d’État et ministres. Pour permettre aux envoyés spéciaux de faire comme s’ils y étaient et aux télés de retransmettre de belles images de la région des lacs, le gouvernement d’Ottawa a investi 1,8 million de dollars canadiens (1,5 million d’euros) dans la création d’un lac artificiel. Tout y est : quai, canoës décoratifs, bar, réplique de la Bourse de Toronto, et grand écran projetant les sauvages paysages de l’Ontario… Les 3.000 journalistes prévus sont supposés attendre les dépêches officielles cantonnés dans ce décor. Seule une poignée sera autorisée à se rendre à Huntsville pour filmer et photographier les officielles accolades. En pleine crise financière, dépenser 1,5 millions pour un lac qui durera 72h, et sera ensuite vidé et démonté, passe mal. C’est sans compter le coût global de l’organisation des deux sommets : un milliard de dollars canadiens pour le « sécuriser ».
Des milliers de policiers et de militaires sont mobilisés pour l’occasion. Une immense zone rouge inaccessible paralysera le centre ville de Toronto. La gare centrale sera fermée pour l’occasion. Poubelles, boîtes aux lettres, abris bus ont été supprimés dans une immense zone à proximité de la zone rouge. De nombreux arbres en bordure des trottoirs ont même été déracinés de crainte que les branches puissent servir d’armes aux manifestants. Aux habituels gaz lacrymogènes, gaz au poivre et canons à eau, il est prévu d’utiliser une nouvelle arme de maintien de l’ordre : le « Long range accoustic device » (LRAD), un canon à ultrasons expérimenté contre des manifestants lors du G20 de Pittsburgh en septembre 2009. Pourtant, jusqu’ici, ce ne sont que des militants, certes déterminés, mais pacifistes et créatifs qui affûtent leurs stratégies pour interpeller l’opinion publique mondiale. Une fois de plus, il semble que les droits démocratiques élémentaires ne sortiront pas grandis de la gestion ultra-sécuritaire déployée par le gouvernement canadien.
« plus à droite que Bush »
Car le Canada est dirigé par un gouvernement « plus à droite que Bush » préviennent les militants altermondialistes rencontrés. Le gouvernement du conservateur Stephen Harper est le pire cancre en matière de lutte contre le réchauffement climatique : il a rejeté tout engagement contraignant pour réduire ses émissions de gaz à effets de serre alors que celles-ci ont augmenté de près de 30 % depuis 1990. Le Premier ministre canadien combat également avec la plus grande fermeté toute proposition visant à réguler le système bancaire et financier. Ce G20 ne devrait donc pas entériner la moindre décision sur la question. Harper propose au contraire aux pays européens de prendre exemple sur le système bancaire canadien, épargné jusqu’ici, oubliant que celui-ci a été fortement soutenu par les pouvoir publics avant même que la crise des subprimes ne se déclenche. Il nie même la responsabilité des spéculateurs dans la crise qui se propage en Europe : « A la base, la crise ici ne trouve pas racine dans le secteur financier, mais plutôt dans les finances de certains gouvernements », explique-t-il.
Préférant en rester à un G8 « directoire de la planète » (sans intégrer les nouvelles puissances comme le Brésil, la Chine ou l’Inde), Harper souhaite que les pays du G20 aux forts déficits publics s’engagent sur des plans d’austérité budgétaire de 10 ans. Il préconise de reprendre dans la déclaration du G20 la nouvelle doctrine du FMI et ses nouveaux plans d’ajustement structurel déguisés : « Assainir les finances publiques d’une façon qui ne nuise pas à la croissance ». Par ailleurs, alors que le Canada est fortement concerné, le gouvernement d’Harper n’a toujours pas ratifié la déclaration de l’ONU sur les droits des peuples autochtones. A l’échelon fédéral, le gouvernement multiplie les « attaques contre les institutions démocratiques, les pratiques démocratiques et les droits et libertés » selon la coalition « Pas de démocratie sans voix ». Elle a été lancée le 14 juin par plus d’une centaine d’organisations alarmées « par la dangereuse détérioration des droits fondamentaux et de la démocratie au Canada ». Pour Michel Lambert, directeur de l’ONG québécoise Alternatives, le gouvernement veut normaliser la société civile pour qu’elle s’aligne sur les priorités gouvernementales ou qu’elle « disparaisse ».
Taxer la spéculation ? À l’Ouest, rien de nouveau
Au regard des velléités du pays hôte ou des bilans des engagements pris lors des G8 et G20 passés, les ONG et mouvements sociaux ne peuvent que s’inquiéter. Les pays riches sont capables de débloquer plusieurs milliers de milliards de dollars pour sauver les banques et le système financier. Mais ils n’ont toujours pas réussi à réunir les 18 milliards qu’ils manquent pour tenir leurs propres engagements pris lors du G8 de Gleneagles (Ecosse) en 2005 en matière d’aide au développement. Lors du G20 de Pittsburgh (septembre 2009), promesse avait été faite de mettre fin aux subventions dédiées à la production de combustibles fossiles. Au Canada, ces subventions s’élèvent à 2 milliards de dollars par an, notamment dans le cadre de l’extraction de pétrole des sables bitumineux.
Concrétiser ces engagements à Toronto aurait du sens. C’est peu probable alors qu’il n’est toujours pas certain que les défis climatiques et environnementaux soient à l’ordre du jour. Le G20 de Pittsburgh avait chargé le FMI d’établir des préconisations pour que le système bancaire et financier contribue au coûteux et considérable effort qui a permis de les sauver. Sous l’action d’Harper et de la faible détermination des puissants de ce monde, le début de consensus qui semblait se nouer sur une taxe bancaire, pourtant bien éloignée des préconisations du mouvement altermondialiste, s’est effondré.
Sommet des Peuples à Toronto et Forum social de Détroit
La déclaration finale des chefs d’état du G8 devrait se limiter à des considérations générales, le plus souvent contradictoires avec leurs politiques réelles. Harper veut ainsi faire du G8 un sommet de la « responsabilité » devant s’intéresser à la paix et la sécurité, mais également à la santé des femmes de la planète. En refusant par ailleurs de financer les programmes de soutien à l’accès à l’avortement des femmes dans les pays du Sud, le gouvernement canadien a déclenché de très nombreuses réactions et manifestations auxquelles les autres chefs d’État ne pourront rester indifférents. Pour Alexa Conradi, porte-parole de la Marche mondiale des femmes au Québec et présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), Harper « érode simultanément les droits des femmes dans les pays les plus pauvres et les droits des femmes ici même au Canada ».
Manifestation à Ottawa
Pendant que les employés de 32 grands hôtel de Toronto menacent d’entamer une grève pendant le G20 si leurs conditions de travail et rémunérations ne sont pas améliorées, un Sommet des peuples s’est tenu les 18, 19 et 20 juin à Toronto. Organisé par une coalition extrêmement large, allant des ONG environnementales et de développement aux groupes prônant les actions de désobéissance civile, en passant par les syndicats et les Églises, le Sommet des Peuples permet de rendre visible les exigences des mouvements sociaux. Parmi ces revendications, une taxe sur les transactions financières, l’annulation de la dette illégitime des pays pauvres, une gestion démocratique des ressources naturelles respectant les droits des peuples autochtones ou la remise en cause des politiques libre-échange (notamment face au nouvel accord UE-Canada actuellement en cours de négociation) figurent en bonne place. Lors de la séance d’ouverture, devant 500 personnes, Maud Barlow – auteur et militante canadienne, fondatrice du projet Planète bleue - rappelle combien les dirigeants du G20 servent les intérêts des classes qu’ils représentent et non ceux des population. Seule une mobilisation de masse, déterminée, peut, selon elle, inverser la donne. Rendez-vous est donc pris pour la manifestation du samedi 26 juin et de nombreuses actions de rue. De l’autre côté de la frontière, à Détroit, le 2ème Forum Social des Etats-Unis devrait confirmer le dynamisme de la société civile nord-américaine.
Dans le cadre du projet Écho des Alternatives.
Notes
[1] Allemagne, France, Grande-Bretagne, Italie, Canada, Etats-Unis, Japon et Russie.
[2] Le G20 comprend les pays du G8 plus l’Afrique du Sud, l’Arabie Saoudite, l’Australie, le Brésil, la Chine, la Corée du Sud, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, la Turquie et l’Union européenne.
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