La psychiatrie n’est pas à l’abri de l’obsession sécuritaire et du fichage généralisé qui se met en place. La journée de réflexion, organisée à Lyon le 29 mai 2010 par Delis Santé Mentale Rhône Alpes consacrée au fichage en psychiatrie, a mis en évidence les dangers auxquels elle se trouve confrontée.
Comme les enseignants du primaire, les psychiatres craignent les conséquences à venir de l’obligation qui leur est faite d’entrer des dossiers médicaux sur ordinateur et ils demandent leur “anonymisation à la source” : que, sur le dossier médical qu’ils remplissent, le nom du patient soit remplacé par un code.
Comme les enseignants du primaire, les psychiatres craignent les conséquences à venir de l’obligation qui leur est faite d’entrer des dossiers médicaux sur ordinateur et ils demandent leur “anonymisation à la source” : que, sur le dossier médical qu’ils remplissent, le nom du patient soit remplacé par un code.
Camisole informatique pour les fous
par Antonio Fischetti, Charlie Hebdo, n° 939, 16 juin 2010
Les psychiatres protestent contre l’obligation qui leur est faite d’entrer des dossiers médicaux sur ordinateur. Ils redoutent les risques d’un fichage des malades au nom d’une parano sécuritaire et au détriment du soin.
C’est vrai, il arrive que les fous décapitent des infirmières, poussent des passants sous le métro ou poignardent de braves pères de famille. La télé ne se prive pas de le rappeler. Est-ce à dire que nous sommes à la merci de hordes de psychopathes lâchés dans les rues par des psychiatres inconscients ? Si c’est le cas. il faut vite s’en protéger [des psychopathes, pas des psychiatres, quoique], et la première chose à faire est de les recenser.
Seulement, il y a un truc qui s’y oppose un peu, et ce truc s’appelle secret médical. Jusqu’ici, c’était sacré, le dossier d"un patient, ça restait pieusement consigné dans le cabinet du médecin, à l’abri de la belle-famille, des banquier, et des flics. Mais voilà, les temps changent. Depuis 2007, les psychiatres doivent transmettre les données médicales dans un fichier informatique. Diagnostics, traitements, hospitalisations, mises à l’isolement..., tout est consigné. Dès qu’il sort de l’hôpital, ce fichier est – théoriquement – rendu anonyme puis envoyé à l’Agence technique de l’information sur l’hospitalisation (ATIH), où il sert à établir des statistiques permettant, dit-on, d’améliorer la gestion des soins.
Mais alors, si le fichier est anonyme, où est le problème ? Le problème, disent les psys, c’est qu’on met le doigt dans un engrenage qu’on n’est pas sûr de maîtriser par la suite. Des craintes que résume Claire Gékière, psychiatre, vice-présidente de l’Union syndicale de la psychiatrie et membre de Délis (Droits et libertés face à l’informatisation de la société) : « Tous les recueils de données qu’on connaît jusqu’ici ont connu une extension ultérieure. Une fois que l’outil est en place, on ne sait jamais ce qu’il peut devenir. » Contrairement au vieux dossier médical en papier conservé dans un tiroir du cabinet, le fichier informatisé est en effet lâché dans la nature : quid de la confidentialité ? Ce que les psychiatres demandent est donc très simple : « Nous ne sommes pas contre les statistiques, mais nous demandons juste une anonymisation à la source. » Que, sur le dossier qu’il envoie, le psychiatre remplace le nom du patient par un code. C’est facile, c’est la seule garantie de confidentialité... mais la loi ne le permet pas.
Malade et stigmatisé : la double peine
Certains – optimistes ou naïfs, c’est selon – diront qu’il ne faut rien dramatiser, car, comme nous l’avons dit, le fichier psychiatrique n’est plus nominatif dès sa sortie de l’hôpital. D’autres – pessimistes ou lucides ? — répondent que les premiers jalons d’un fichier sont déjà posés et qu’il faut agir avant qu’il soit trop tard.
En tout état de cause, les dangers éventuels d’un futur fichage sont parfaitement clairs pour tout le monde. Témoin cette psychologue de Lyon : « J’ai par exemple en consultation une jeune fille qui veut être infirmière. Mais elle a des bouffées délirantes. Si c’est marqué dans son dossier médical et que celui-ci circule, cela nuira à sa carrière. » Employeurs, banquiers, marchands d’assurances... ils sont nombreux, ceux qui paieraient cher pour connaître la santé mentale de leurs interlocuteurs.
Mais, en plus de ce risque potentiel, l’informatisation des dossiers psychiatriques présente des inconvénients d’ores et déjà parfaitement réels et concrets. Ainsi, pour entrer le dossier sur ordinateur, le psychiatre doit résumer en quelques mots des troubles souvent très complexes. Autrement dit, il doit coller au malade une « étiquette » prédéterminée. Pour la psychologue et écrivain Chantal Mirail, « à cause de cet étiquetage, on est amené à ne plus regarder le trouble comme une souffrance du malade, mais comme un comportement gênant pour la société. On ne dira plus de quelqu’un qu’il est névrosé, mais qu’il est atteint d’un “trouble envahissant du développement”, sous-entendu : envahissant pour les autres ». Un autre effet très concret du fichage informatique, c’est l’altération de la relation entre le thérapeute et le patient : on ne dit pas la même chose à son psy quand on est certain que rien ne sort du cabinet... ou quand les commentaires du médecin sont consignés dans un fichier informatique lisible par n’importe qui.
Cela dit, au plan strictement sécuritaire, le fichage des fous peut se défendre. Après tout, pourquoi pas un grand fichier des psychopathes que les flics iraient consulter chaque fois qu’ils découvrent une femme découpée en morceaux ? À cet argument, Claire Gékière répond que « les statistiques montrent qu’on a plus de chances d’être découpé par quelqu’un de normal que par un fou. C’est vrai qu’il y a des schizophrènes dangereux, mais on confond à tort dangerosité et trouble mental. L’immense majorité de ceux qui souffrent de troubles mentaux ne sont pas dangereux, à l’exemple des déprimés ou des toxicomanes ».
Au fond, le fichage des fous s’inscrit pleinement dans l’obsession sécuritaire de Sarkozy. Il faut comprendre que nous sommes me-na-cés. Par des délinquants qu’il faut identifier dès la maternelle. Par des pédophiles génétiquement modifiés. Et maintenant par des fous qu’il faut faire juger par un tribunal, et, bientôt, ficher. Il suffit de réécouter le discours présidentiel du 2 décembre 2008 : « L’espérance, parfois ténue, d’un retour à la vie normale – j’ose le dire ici – ne peut pas primer en toutes circonstances sur la protection de nos concitoyens. » Tout est dit. Avant d’être un malade, le fou représente un danger dont il faut protéger le citoyen. Le psychiatre Olivier Labouret, auteur de La Dérive idéologique de la psychiatrie (Érès) y voit « un projet de société paranoïaque, où la suspicion compte plus que le délit lui-même ». Et comme de plus il faut réduire les dépenses de santé, ça tombe bien : un bracelet électronique coûtera toujours moins cher qu’un salaire d’infirmière,
Il est dangereux d’être normal
Cela dit, on pourrait penser que le fichage des maladies mentales n’est pas si grave vu la somme d’infos personnelles déjà stockées dans les ordinateurs de la police ou de l’administration [il existe déjà 70 fichiers de police, selon la Ligue des droits de l’Homme]. Sauf qu’un excès de vitesse ou une opération de l’appendice, ce n’est pas socialement la même chose qu’un internement psychiatrique. Imaginez un gosse de 8 ans qui sème la panique dans la cour de recré en montrant son zizi aux filles. Pour peu qu’il tombe sur une institutrice zélée qui convoque les flics et les psychiatres, le voilà fiché comme exhibitionniste. Il sera toute sa vie tricard dans les boulots éducatifs et convoqué au commissariat à la moindre affaire de moeurs dans sa ville. J’exagère ? Au train où vont les choses, je suis sûr que non.
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