La multiplication des contrôles dans les caisses d’allocations familiales précipite des foyers dans l’endettement. Or, la fraude est loin d’expliquer tous les « indus ». En cause : la complexification de la réglementation.
Marina, 800 euros de revenu mensuel, 588 euros de trop-perçu, et donc une partie du revenu de solidarité active (RSA) à rembourser. Bernard, aucun revenu, 56 ans, aucun bien mobilier ni immobilier, est aujourd’hui hébergé par une amie. La Caisse d’allocations familiales (CAF) lui conseille de se tourner vers la Banque de France pour préparer un dossier de surendettement au motif qu’il a cumulé un trop-perçu de 2 000 euros sur deux ans. Un comble pour cet homme qui déclare n’avoir jamais eu de dette ! Les témoignages de ce genre abondent sur Internet : blogs d’usagers, sites de conseil juridique se multiplient pour répondre à l’urgence sociale et surtout aux redressements de plus en plus nombreux exigés par les CAF. Modification des droits des allocataires alors que la situation n’a pas changé, erreurs informatiques ou humaines : les causes pullulent alors que l’administration peine à expliquer les mécanismes qui génèrent ces indus. Odile, une mère de famille, ne comprend pas : « Ce n’est quand même pas à nous de faire le travail de la CAF ! »
Les allocataires ignorent souvent qu’il est de leur responsabilité de « signaler tout changement de situation ». Peu importe que la caisse fasse une erreur ou non, « je suis obligée de demander une remise de dette ou un échelonnement », raconte Marie. Comme bien d’autres, cette allocataire qui doit rembourser des indus est victime d’une nouvelle réglementation, adoptée en 2009 dans la loi de financement de la Sécurité sociale. Au nom de la lutte contre la fraude dans les organismes de la Sécu, cette loi autorise les CAF à récupérer les sommes trop perçues sur toutes les prestations. Un indu de RSA peut désormais donc être retiré sur une allocation logement et inversement.
« En voulant récupérer les indus sur d’autres allocations, vous risquez d’entraîner un phénomène de dégradation en chaîne. Au lieu de tendre la main à la personne en difficulté, vous l’enfoncez ! », avait répliqué la députée de gauche Martine Billard au ministre du Budget, lors des débats sur le projet de loi de financement de la Sécu. Et la fraude n’explique pas la totalité des montants soumis à remboursement par les CAF. Pour les syndicats, la complexité de la réglementation est en cause, avec le déferlement des contrôles. « En mettant en place des critères d’attribution de plus en plus complexes, les cas où les allocataires ne répondent plus aux critères se multiplient, constate Francis Mergel, administrateur CGT de la Caisse nationale d’allocations familiales, et directeur de la CAF de Bar-le-Duc (Meuse). Une modification du dispositif d’accès aux allocations entraîne un risque de neutralisation des ressources. Les indus se créent très rapidement, d’autant que les caisses sont submergées de dossiers ». Le syndicaliste ajoute qu’en 2009, « sur les prestations sociales, hors RSA, 60 décrets ont modifié les modalités d’attribution par complexification ».
Ainsi, il suffit qu’un étudiant travaille quelques jours de trop pendant les vacances pour que ses parents sortent du dispositif d’allocations. « Une personne bénéficiaire d’une allocation logement se retrouve au chômage et n’est plus en mesure de payer son loyer. Son allocation logement lui est supprimée et la CAF lui demande le remboursement de l’indu pour les mois où elle a reçu l’allocation sans payer de loyer. Cela peut paraître normal, mais il faut rappeler que notre pays connaît une crise du logement », souligne aussi Martine Billard. Les ménages les plus modestes dépensent entre 40 et 50 % de leurs ressources pour le logement en 2006, rappelle l’Insee, et subissent de plein fouet les effets de la crise. Et selon Droit au logement, 1,8 million de personnes seraient confrontées à des difficultés de paiement de loyer. De quoi provoquer un engorgement des procédures de remboursement dans les CAF, d’autant qu’un autre paramètre vient s’ajouter : l’emploi précaire se généralise, les allocataires changent de types de contrat sans cesse, et donc de statut, perdant au passage certaines de leurs allocations.
Florence est tombée dans cet engrenage : seule avec un enfant et sans boulot, elle doit rembourser 91 euros tous les mois et elle craque : « T’as plus qu’à crever la gueule ouverte ! » Francis Mergel estime que, « sur l’ensemble des indus créés, toutes allocations confondues en 2008, soit 2 milliards d’euros, 1,6 milliard ont déjà été récupérés par les caisses ». Une somme récupérée chez les nombreux allocataires de minima sociaux, des ménages en grande précarité, des jeunes en difficulté face à leurs loyers. « La situation actuelle est intenable », constate Francis Mergel.
Elle entraîne des conflits entre locataires et bailleurs après des retenues sur les allocations versées directement à ces derniers, des redressements causant la disparition ou la suspension de tout ou partie des ressources, parfois des procès auxquels les supposés fraudeurs ont à faire face. En sonnant la charge contre la fraude, l’État s’est transformé en une machine à poursuivre les plus démunis, et les CAF sont devenues créatrices de détresse sociale. Comme le rappelle le site Internet des caisses, la lutte contre la fraude a été érigée en axe prioritaire par la loi de 2009. Les contrôleurs ont désormais les mêmes prérogatives que les agents du fisc : « Au travers de sa mission confiée par les pouvoirs publics, la CAF doit être garante de la bonne utilisation de l’argent public. »
De nouveaux outils ont été mis en place, tel un fichier partagé entre les caisses régionales. Les échanges de fichiers informatiques sont désormais garantis par une convention avec les autres organismes sociaux (CPAM, Urssaf, Pôle emploi, etc.) et avec les fournisseurs de services (EDF, France Télécom, etc.). La transmission des dossiers fiscaux est systématique. D’autre part, les interventions au domicile des allocataires augmentent et, s’il y a une fraude, la CAF « est en droit de sanctionner l’allocataire par un avertissement, une pénalité financière, la suspension des droits à l’aide au logement ou encore en effectuant un dépôt de plainte ».
À l’arsenal répressif s’ajoute aussi la dénonciation, dont l’Internet fourmille d’exemples. Ainsi, en 2009, les CAF ont publié le chiffre de 9 400 fraudes pour l’année 2008, et estimé le montant de celles-ci à 80 millions d’euros, soit une hausse de 37 %, sans révéler qu’elle est la part d’erreurs dans ces fraudes. Un tel constat est à relativiser : la population des allocataires n’est pas soudain devenue plus malhonnête. Ces chiffres sont plutôt symptomatiques de l’intensification d’une politique de contrôles, tandis que les allocataires doivent suivre le parcours du combattant des réclamations : la commission de recours à l’amiable permet, dans la plupart des cas, une annulation de la dette. Et, avant la loi de 2009, 40 % des indus ont fait l’objet d’un recours (2005). Devant les difficultés que rencontrent les usagers d’organismes sociaux, des fonds de solidarité logement ont été mis en place, dont la gestion est départementale. « Les gens se tournent aussi vers les centres communaux d’action sociale pour avoir des aides sur l’énergie, l’eau, des bons d’achats, ou ils vont aux restos du cœur », déplore Francis Mergel. En pleine crise, l’État social disparaît au profit d’une politique répressive laissant aux collectivités et associations la charge de gérer la détresse et l’urgence.
Clémentine Cirillo-Allahsa
http://lesyeuxpasdanssapoche.over-blog.com/article-vous-etes-pauvre-a-la-caisse-47799577.html
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