Ce qui se passe en Iran nourrit l'imaginaire de nos pays Occidentaux. Les gouvernements et les médias nous disent que l'Iran est un pays islamiste, gouverné par un président antisémite qui ne souhaite qu'une chose : la destruction d'Israël pour probablement prendre le leadership de la région et rassembler les pays musulmans autour de lui. Pour détruire Israël, l'Iran avance vers le nucléaire militaire, fournit des armes au Hamas et au Hezbollah ... Voilà donc, en gros, ce que l’on peut tirer de la presse occidentale.
La guerre de l’information a commencé.
Depuis plus de trois ans, il y a donc une escalade psychologique entre l'Iran d'une part et le reste du monde d'autre part. Alors que l'Iran est accusé de vouloir acquérir le nucléaire militaire, le gouvernement rétorque que le pays ne veut que le nucléaire civil. Alors qu'une énorme campagne de propagande, orchestrée par Washington et Israël, dénonce le fait que l'Iran souhaite rayer Israël de la carte, l'ONU confirme que la traduction de cette phrase d'Ahmadinejad est erronée[1]. L'amalgame entre population et gouvernement laisse penser que tout Iranien est antisémite alors même que la population de confession juive, présente depuis l'exil de Babylone atteint 20 000 personnes. Le gouvernement israélien a même proposé de rémunérer les juifs iraniens pour qu'ils retournent sur la "terre mère" mais a essuyé de cinglants refus. Alors que le fait de réussir à lancer un satellite apparaît pour les pays occidentaux comme un avancement technologique, si c'est l'Iran qui le fait, cela se transforme en menace imminente.
Que faut-il donc penser de l'Iran ? Représente t-il réellement une menace ? Et si oui, pour qui ? Nous ne pouvons répondre à ces questions sans d'abord revenir sur des points historiques de l'Iran.
Un peu d’histoire…
L'Iran et la population iranienne existent depuis l'Empire Perse, empire rayonnant surtout sous la dynastie Achéménide (648 AV JC). C'est donc un pays solide, un des Etats les plus anciens de la région.
C’est sans doute une des raisons pour laquelle l’URSS et le gouvernement britannique envahissent le pays en 1941 pour l’entraîner dans la guerre contre les puissances de l’Axe[2].
En 1953, le docteur Mossadegh est élu mais le malheureux eût pour projet de nationaliser les compagnies pétrolières. Cela ne plût pas aux anglais, très présents par l'intermédiaire de BP (Brithish Pétroleum), qui se tournèrent alors vers Washington et la puissante CIA. Peu après, Mossadegh fut renversé, jugé et exécuté sous l'égide de la CIA qui mit en place le Shah Phalavi. S'en suivit une dictature de 40 ans, renversée par la révolution islamique de
Cela étant dit, il est bon de se rappeler qu’historiquement l'Iran n'est pas une nation qui envahit les autres ou leurs déclare la guerre. Seulement, la République se situe sur une terre riche en gaz et en pétrole. Rappelons aussi que les Iraniens ne sont pas des Arabes (bien qu'il y en ait en Iran) mais des Perses qui parlent, pour la grande majorité farsi. L'Iran a reconnu Israël très vite et n'a pas fait partie du contingent arabe qui se battit contre lui en 48 ou en 67.
C'est donc seulement depuis Ahmadinejad (2005) que l'attention se reporte sur Israël. Ce président, avec son discours agressif, prône le droit à l'Iran d'acquérir le nucléaire et se place dans l'axe des anti-impérialistes américains. Cela réduit de facto les aspirations des Iraniens au développement car le discours présidentiel renforce les embargos internationaux. Mais est-ce la seule raison de l’acharnement sur le pays ? Où y a-t-il, comme trop souvent, des intérêts géostratégiques derrière ? Poser la question est y répondre.
L’Iran : obstacle à l’hégémonie américaine ?
En effet, l’Iran possède 10% des réserves mondiales de pétrole et 15% des réserves de gaz[3]. Il va sans dire qu’en cette époque de raréfaction énergétique, ce fait est loin d’être négligeable. « Le contrôle énergétique est un parfait levier pour la domination mondiale »[4]. Or, comme chacun sait, les Etats-Unis ne s’y sont pas trompés, en atteste leur politique vis-à vis de la région : occupation militaire pour certains pays (Irak, Afghanistan), bases américaines présentes sur d’autres (Arabie Saoudite, Pakistan), soutien aux pétro-monarchies, etc.
A y regarder de plus près, l’Iran est le dernier pays obstacle à une mainmise américaine sur la région. De plus, certaines prises de position du président iranien ont le don d’agacer les tenants de l’ordre économique mondial dominant. En atteste son discours[5] à la conférence contre le racisme de Durban II à Genève.
Retour sur la polémique de la conférence de Durban II.
Ce dernier était pertinent sur plusieurs points[6], en particulier sur la responsabilité de l’Occident dans un grand nombre de méfaits (esclavage, colonialisme, guerres, etc.). Or, la diabolisation du président iranien (à grand coup d’accusations antisémites et négationnistes[7]) a permis d’occulter l’entièreté du discours, excepté sur la critique de l’Etat d’Israël[8]. Cette attitude typiquement ethnocentrique (le discours a été fort apprécié par des délégations du sud) a démontré une fois de plus l’arrogance et le mépris des gouvernements des pays riches à l’égard du reste du monde. Des crimes commis par le passé et dont les conséquences se font toujours sentir sur des milliards de personnes sont encore trop souvent niés ou minimisés. Prétendre à un monde débarrasser du racisme et de la misère devra indéniablement passer par la reconnaissance et par des réparations quant aux désastres des impérialismes américains et européens. Dans le cas contraire, le risque est grand que des leaders populistes canalisent la rancœur des peuples exploités à des fins haineuses. Cela étant dit, que faut-il retenir de la menace iranienne ?
Que faut-il donc retenir de la "menace iranienne" ?
Que l’Iran n’a jamais envahit un pays voisin. Que les iraniens ont le droit de développer économiquement leur pays. Qu’Ahmadinejad est pour les Iraniens ce que maints dirigeants sont pour leur peuple : un président démagogique, peu apprécié, qui prive son pays des libertés essentielles en donnant au monde une image faussée de sa population. Il serait néanmoins erroné de croire qu’une intervention militaire contre l’Iran rendrait service à la population. La population iranienne est la seule à même de prendre en main son destin. En atteste d’ailleurs les manifestations d’hostilité face au gouvernement toujours plus nombreuses. Si nous voulons vraiment soutenir le peuple iranien dans sa lutte contre la tyrannie, faisons le en exigeant de nos gouvernements la fin de leur politique systématique de 2 poids 2 mesures (arrêt du soutien à l’Arabie Saoudite, pressions sur Israël quant à sa politique guerrière, retraits des troupes en Irak et en Afghanistan, etc.). De plus, les différentes interventions étrangères qu’a connues le pays (invasions soviétiques et britanniques, renversement de Mossadegh, guerre contre Irak, etc.) ont contribué à un important nationalisme de la part de la population. Par conséquent, une nouvelle ingérence peut, à juste titre, être ressentie comme une menace pour le pays et donc contribuer à resserrer la fibre nationaliste.
Au contraire, ne nous laissons pas berner par l’attitude des grands médias internationaux, pour lesquels l’Iran est la nouvelle cible à abattre (après l’URSS, l’Irak, etc.). La propagande qui a lieu n’a d’autre but que de nous rendre l’idée d’une guerre contre le pays comme de plus en plus légitime. L’administration américaine est trop empêtrée en Irak et en Afghanistan pour se lancer dans une nouvelle aventure meurtrière, mais jusqu’à quand ?
A retenir : lorsque les Etats-Unis décident qu'un pays est une menace, c’est qu’il porte directement atteinte à l’hégémonie étatsunienne.
[1] La traduction exacte : « L'Imam a dit que ce régime occupant Jérusalem doit disparaître de la page du temps ».
[2] GRESH Alain, Le régime iranien joue la fibre nationaliste, in L’Atlas du Monde Diplomatique 2010, Paris, Armand Colin, 2010.
[3] http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=15742
[4] ACHCAR Gilbert, CHOMSKY Noam, La poudrière du Moyen-Orient, Paris, Fayard, 2006, p.87.
[5] Celui-ci peut être visionné dans son intégralité sur http://www.dailymotion.com/video/x92ro7_ahmadinejad-lintegralite-de-son-dis_news
[6] Nous insistons que nous ne parlons que du discours, en le prenant indépendamment de la personne qui parle.
[7] La question selon laquelle le président iranien est ou n’est pas antisémite est difficile à déterminer et n’est pas le but de ce texte. Il est clair qu’il a commis des actes plus que douteux, notamment l’organisation de la conférence sur l’Holocauste à laquelle les révisionnistes Faurisson et Roger Garaudy ont été conviés. Cela étant dit, ses propos sur Israël dans le cadre de ce discours à Genève discours n’étaient ni antisémite (dans le sens où il fustigeait le gouvernement israélien) ni négationnistes (puisqu’il évoquait les Juifs victimes de l’Holocauste).
[8] Le tollé et la sortie de plusieurs représentants européens de la salle ont été provoqués par la phrase du président selon laquelle la souffrance juive a été un prétexte à la création de l’Etat d’Israël.
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