Longtemps l’activité funéraire était le monopole des communes. Depuis la loi Sueur du 8 janvier 1993 , elle est désormais contrôlée par le marché. La mort fut ainsi privatisée ! Les sociétés de pompes funèbres se développent, entre autres, au rythme du vieillissement de la population et du nombre de décès. Les projections de l’INSEE concernant l’évolution de la population sont éloquentes : le nombre de personnes de plus de 60 ans doublera et celui des décès passera de 530 000 en 2005 à 770 000 en 2049 soit une augmentation de 45 %. Les entreprises funéraires exploitent bien évidemment un besoin auquel tout le monde est confronté !
La demande sur ce marché rentable ne peut que continuer à croître. Il s’agit donc d’un marché prometteur, dynamique et si l’on peut dire vivant. Mais c’est aussi un marché où la concurrence est, paradoxalement, absente. Or la loi de 8 janvier 1993 (2) avait pour objectif majeur l’abolition du monopole communal de l’activité funéraire pour lui substituer la concurrence des opérateurs privés. La loi Sueur voulait également protéger les familles, fragilisées par le deuil, contre d’éventuelles pratiques opaques et abusives des prix. Là encore l’échec est total. Ainsi selon UFC-Que Choisir, « ces pratiques expliquent la hausse considérable des prix des obsèques (34% en dix ans) et les différences de prix totalement injustifiées » (3). Les familles frappées par le deuil ne peuvent donc compter sur la protection des gouvernements (4). La complicité de l’État avec les croque-morts, comme d’ailleurs avec tous les détenteurs du capital, est un fait bien établi.
Le mort et ses proches sont intégralement pris en charge par les entreprises funéraires. La liste de leurs prestations est impressionnante. Aucun aspect lié de près ou de loin à la mort ne leur échappe. Cela va de l’organisation des funérailles proprement dites avec leur « cortège » interminable de produits et de services, aux formalités administratives en passant par les contrats de prévoyance. Chaque article, chaque prestation est chèrement facturé. Concernant les contrats de prévoyance, la guerre fait rage, de votre vivant déjà, entre les sociétés de pompes funèbres, les banquiers, les compagnies d’assurance, les mutuelles santé et autres organismes de prévoyance. Ces institutions savent que la mort est un marché très lucratif. Les entreprises funéraires exploitent non seulement la vulnérabilité des familles dans des moments singuliers, mais aussi leur volonté d’accompagner dignement leur proche à sa dernière demeure.
Il faut préciser que l’offre et la demande sur ce marché ont beaucoup évolué. La thanatopraxie (technique qui consiste à embaumer le mort pour lui donner les apparences de la vie) par exemple est de plus en plus pratiquée. Les familles utilisent également les chambres funéraires, structures commerciales, pour le recueillement et les visites. Aujourd’hui de plus en plus de personnes décèdent à l’hôpital ce qui nécessite le transport du corps dans des véhicules spécialisés. Ces pratiques et bien d’autres, qui ne sont pas toutes obligatoires, augmentent nettement le prix final perpétuant ainsi, dans la mort, les inégalités sociales.
Certainement le marché évoluera vers de nouvelles prestations et donc de nouvelles tendances et pratiques, nécessaires ou non. Les marchands de la mort trouveront là une juteuse extension de leurs activités. Et avec leurs techniques marketing de plus en plus sophistiquées, ils imposeront leurs rites, leurs cérémonies et leurs lois à des familles déchirées et déstabilisées par la douleur. Déjà, les pompes funèbres tentent d’exploiter les préoccupations des citoyens pour leur environnement. Le Voeu, un opérateur funéraire important, estime que « la France accumule un retard par rapport à ses voisins européens et anglo-saxons. Dans ces pays, la démarche respectueuse de l’environnement intègre déjà tous les aspects de la filière » (5). Pompes Funèbres Général (PFG) ou Le Choix Funéraire proposent déjà des cercueils « écologiques ». Le cercueil de cette dernière entreprise par exemple « est conçu de façon écologique avec 80% de bois de chêne issu de forêts durablement gérées. Le tissu recouvrant l’intérieur est en matières naturelles et d’origine renouvelable. Enfin, la finition du bois est sans solvant et les poignées ont été choisies en bois pour faciliter leur biodégradabilité ! » (6). Les cercueils en carton, beaucoup moins chers, existent également. Mais les grandes sociétés de pompes funèbres, dont la vente des cercueils représente des marges substantielles, rechignent pour l’instant à les commercialiser. Cercueils en bois ou en carton, la logique reste invariablement la même : faire du profit. « L’écologie capitaliste » est une valeur porteuse, comme en politique d’ailleurs, et les pompes funèbres ne vont pas tarder à proposer à leurs clients des « obsèques vertes » ! Là encore la mort se révèle un marché fructueux.
La religion elle même n’échappe pas à cette logique marchande. Quelques soient vos croyances et votre religion, les entreprises funéraires sont toujours là pour vous prendre en charge moyennant un prix le plus souvent élevé. Les rites catholiques, musulmans, juifs, bouddhiste etc. ne sont sur ce marché que des produits qui se vendent et s’achètent comme n’importe quel autre article de commerce. André Comte-Sponville disait « Ce que la religion apporte, lorsqu’on a perdu un être cher, ce n’est pas seulement une consolation possible ; c’est aussi un rituel nécessaire, un cérémonial, même sans faste, comme une politesse ultime, face à la mort de l’autre, qui aiderait à l’affronter (...) » (7). On peut ajouter que ce cérémonial religieux non seulement se fait aujourd’hui avec un certain faste, mais surtout se transforme de plus en plus en rituel commercial !
D’autres pratiques plus ou moins marginales encore se manifestent ici ou là sur ce marché. Des sites proposent ainsi « l’insertion et la consultation d’avis de décès, de pages d’hommages et de faire-parts de mémoire(... ) pour laisser une trace éternelle des personnes qui nous sont chères ». D’autres exploitent la messagerie posthume : « Écrivez de votre vivant les messages d’amour ou d’amitié que vous désireriez transmettre à titre posthume aux personnes qui ont marqué votre vie » (8).
Mais la tendance de fond reste la crémation tout du moins en France, car elle est très développée dans des pays comme la Suède, le Danemark, la Grande Bretagne, la Suisse etc. où sa part dans l’ensemble des obsèques dépasse les 70 %. En France cette part ne représente, selon le CREDOC, que 28 % en 2007. Mais ce taux est en forte progression puisqu’il n’était que de 1 % en 1979. Le nombre de crémations a été multiplié, lui, par 27 entre 1980 et 2008 selon la Fédération Française de Crémation (FFC) (9). Les crématoriums sont eux aussi en augmentation constante passant de 7 en 1975 à 28 en 2008 (10). De belles perspectives de profit donc pour les pompes funèbres qui vendent toutes des obsèques avec crémation ! En effet les marchands de la mort organisent dans le moindre détail chacune des étapes de la cérémonie y compris la dispersion de vos cendres. Nonobstant une législation stricte sur ce dernier point, la loi du 19 décembre 2008 relative à la législation funéraire n’interdit nullement aux pompes funèbres d’accomplir ou plus précisément de vendre aux familles cette prestation (11). La loi stipule « Les restes des personnes décédées, y compris les cendres de celles dont le corps a donné lieu à crémation, doivent être traités avec respect, dignité et décence » ; elle a simplement oublié que ces « restes » humains dans cette société, sont une marchandise livrée aux opérateurs privés dont l’unique but est de faire du profit.
Une autre pratique apparaît et se développe notamment dans les pays nordiques ; il s’agit de la promession présentée comme plus écologique encore que la crémation. Cette fois ce n’est plus la chaleur qui va réduire votre corps en cendre, mais le froid. Le cadavre du défunt est transformé en poussière grâce à l’azote liquide. Ce procédé n’est pas encore autorisé en France. Il le sera probablement lorsqu’il deviendra rentable pour les pompes funèbres. L’écologie n’est qu’un prétexte que les entreprises funéraires n’hésiteront pas à exploiter comme elles le font déjà avec la crémation. Si cette technique peut-être bénéfique pour notre planète, il n’en demeure pas moins que ce n’est pas là leur but qui reste toujours le même : faire du chiffre.
Le poète abbasside Al Maari (973 – 1057) disait, en substance que « la tristesse à l’instant de la mort est autrement plus intense que la joie au moment de la naissance ». Les marchands de la mort ne reculent devant rien pour arriver à leur fin. Ils exploitent, en plus de la force de travail de leur salariés, un sentiment singulier et commun à tous les hommes : la tristesse et la douleur liées à la perte d’un être cher. Le marché de la mort, peut-être plus encore que celui de la naissance, a donc un bel avenir devant lui. Le marché de la mort est le miroir d’une société marchande qui a perdu ses repères humains ; il ne lui reste comme guide et comme horizon ultime que le profit.
(1) http://www.ined.fr/fichier/t_telech...
(2) http://www.jpsueur.com/archives/med...
(3) http://www.quechoisir.org/Ressource...
(4) A cet égard, voir le travail de l’Association Française d’Information Funéraire (AFIF) : http://www.paca-communiques.com/com...
(5) http://www.capgeris.com/services-fu...
(6) http://www.lecoinbio.com/2008103045...
(7) André Comte-Sponville, L’Esprit de l’athéisme. Introduction à une spiritualité sans Dieu, Paris, Albin Michel, « Le Livre de poche », 2006, p. 19-20.
(8) Voir notamment http://www.net-obseques.com et http://www.messavista.com
(9) http://www.cremation-france-ffc.com...
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