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07/01/2010

Le FMI dicte, la Roumanie abdique

Jérôme Duval

La poursuite à la tête de l’Etat du président Traian Basescu (Parti démocrate libéral, PDL) reconduit de justesse pour un second mandat de cinq ans lors des élections suspectées de fraude du 6 décembre, est censé mettre fin à une crise politique de plus de deux mois durant laquelle la Roumanie, en proie à une sévère récession, était gouvernée par un exécutif intérimaire. Le Premier ministre Emil Boc, lui aussi reconduit, vient donc de constituer son gouvernement libéral. La Roumanie intégrée à l’Otan depuis 2004, constitue l’un des Etats les plus pauvres de l’Union européenne à laquelle elle a adhérée en 2007.

Pour autant, l’accord conclu en mars 2009 avec le Fond monétaire international (FMI), l’Union européenne (U.E), la Banque mondiale et d’autres bailleurs de fonds sur une aide de 20 milliards d’euros n’aidera hélas pas la population pauvre à sortir de la crise financière qui secoue le pays. Comme à son habitude, par ce prêt, le FMI s’immisce dans les politiques économiques du pays, en l’occurrence, pour réformer le système des retraites et baisser les salaires de la fonction publique, empêchant toute souveraineté du gouvernement. Pour ce faire, asphyxiant encore plus une économie en déroute, Il bloque avec l’U.E une tranche de 2,5 milliards d’euros prévue dès novembre 2009. Tout comme en ce moment même en Ukraine |1| , l’institution de Washington, insouciante des effets de la crise économique qui affecte les plus pauvres, bloque une tranche de prêt afin de faciliter les négociations pour satisfaire ses exigences néolibérales.

Déjà au mois d’août, Jeffrey Franks responsable du FMI, alors en plein pourparler sur l’avenir économique du pays, annonce que les autorités doivent réduire la masse salariale du secteur public, de 9% du PIB actuellement à environ 6% d’ici cinq ans. M. Franks estime alors ces conditions imposées à la Roumanie « ambitieuses mais réalistes » et « adaptées au pays »… Cela ne semble pourtant pas être l’avis de la population qui se mobilise fortement : le 7 octobre, les Roumains descendent dans la rue par milliers pour manifester contre les mesures d’austérité du gouvernement. Par ailleurs, signe d’effervescence sociale, d’autres fronts de mobilisation voient le jour comme au sein de la multinationale Alcatel Lucent où les salariés décident de créer leur premier syndicat et de se mettre en grève pour défendre leurs droits (la multinationale présente depuis 18 ans en Roumanie prévoit le transfert de 30% des effectifs vers le sous-traitant indien Wipro |2|).

S’il était besoin de faciliter les tractations en cours avec le FMI, le 15 octobre 2009, le président Traian Basescu nomme Lucian Croitoru, ancien représentant du FMI en Roumanie ayant aussi travaillé à la Banque mondiale, nouveau premier ministre… Fin décembre, Sebastian Vladescu, le prochain ministre des Finances du nouveau gouvernement d’Emil Boc, confirme l’assujettissement à l’institution financière en s’engageant à supprimer 100.000 postes de fonctionnaires en 2010, soit 7,5% des effectifs de la fonction publique. Les conditions du prêt du FMI seront donc respectées par le nouveau gouvernement. Même si une grande partie des effectifs sera réduit par le non-remplacement de départs à la retraite, il est inconcevable d’accepter un plan faisant partie d’une stratégie visant à réduire de moitié la masse salariale de la fonction publique. Le FMI et l’U.E, en mission à Bucarest le 14 décembre 2009, interviennent directement dans l’élaboration du budget 2010 qui est une condition à la poursuite du prêt. Ainsi, M. Lybeck, représentant du FMI à Bucarest, signale : « Une mission technique restreinte du FMI et de l’UE visite Bucarest pour continuer les discussions sur le projet de budget 2010 avec les experts du ministère des Finances |3| ». De son côté le Premier ministre Emil Boc souligne on ne peut plus explicitement : « Le budget est basé sur des indicateurs acceptés par le FMI » (…) « Mes priorités sont les suivantes : remplir les engagements découlant de l’accord avec le FMI et ceux pris auprès de la Commission européenne |4| ». Hormis les 100.000 suppressions de poste, figurent dans les mesures imposées par le FMI et inscrites dans le budget, un gel des retraites et des salaires avec un maintien du salaire mensuel minimum à 600 lei (204 euros). En échange de quoi, le 17 février la Roumanie pourrait recevoir une « aide » de 2,3 milliards d’euros du Fonds.

La crise financière dont le FMI porte une lourde responsabilité n’aura pas freiné les ardeurs de l’Institution, bien au contraire. Ces dernières années, plusieurs pays avaient remboursés anticipativement leurs dettes envers le FMI et celui-ci a vu son portefeuille de prêt passer d’environ 100 milliards de dollars début 2000 à 17 milliards de dollars juste avant la crise de 2007 alors qu’il ne prêtait plus qu’à la Turquie |5| . C’est alors qu’intervient le G20 qui, réunit à Londres le 2 avril dernier, demande aux Etats (nous autres contribuables) de renflouer l’institution d’environ 1000 milliards de dollars. Ainsi, le G20 propulse au devant de la scène un FMI décrédibilisé et décrié par les mouvements sociaux, sujet à de graves problèmes de corruption et affaibli car en mal de liquidités. Le FMI peut dès lors poursuivre sa politique lucrative de prêt envers toute une série de nouveaux pays en difficulté (Islande, Lettonie, Ukraine, Hongrie, etc.) et Dominique Strauss-Kahn, tel un banquier ravi de trouver de nouveaux clients, explique alors : « Le Fonds est là, il a été créé pour cela, et nous sommes prêts à fournir aux différents pays qui le désireraient les liquidités dont ils ont besoin ». Depuis les affaires reprennent et l’institution annonce des bénéfices en hausse, environ 700 millions de dollars pour l’exercice 2009-2010 et ce sans compter les 4,7 milliards de dollars de profit généré par la vente de quelques 212 tonnes de son stock d’or.

Comme lors de la crise de la dette en 1982, le FMI arrive en prêteur de dernier ressort accompagné de ses funestes conditions communément appelées ajustements structurels. Dès lors, comment expliquer le discours erroné de certains économistes, tel Bernard Maris, qui apparemment réconcilié avec le FMI de Dominique Strauss-Kahn, affirmait le 7 octobre 2009 : « Mais il est vrai qu’avec DSK et ses interventions ponctuelles, sans contrepartie structurelle en Hongrie, en Irlande, en Pologne, en Ukraine etc. le FMI a renoué avec sa modestie et sa philosophie d’origine. Et c’est pourquoi DSK est aujourd’hui, unanimement salué . » |6| ? Puisse un économiste être à ce point aveugle pour ne toujours pas voir dans les récents prêts du FMI aux pays du Nord, l’imposition des ajustements structurels dévastateurs qui les accompagne ? La cour Constitutionnelle de Lettonie, elle, semblait pourtant avoir bien vu la baisse des pensions de retraite conditionnée au prêt de 7,5 milliards de dollars du FMI et de l’U.E, puisqu’elle estimait en décembre 2009, la mesure anticonstitutionnelle et ordonnait le remboursement aux retraités des sommes correspondant à la baisse de leurs pensions |7|

Contrairement à ce que disait Michel Camdessus (ancien Président du Fond monétaire international de 1987 à 2000), nous ne pensons pas qu’il faille « adapter le capital |8| » au monde en crise pour mieux le préserver, mais plutôt s’attaquer au problème de manière radicale, c’est-à-dire à la racine du système capitaliste mortifère et promouvoir une égale répartition de la richesse. Il faut supprimer le FMI dont les politiques ultralibérales nous mènent de crises en crises avec toujours les mêmes remèdes qui engraissent les mêmes actionnaires. Il est temps de remplacer cette institution dont les multiples défaillances ont maintes fois prouvé son incapacité à stabiliser l’économie mondiale, mandat qu’elle s’est elle-même donnée. Nous devons instaurer des Institutions financières démocratiques, fonctionnant sous contrôle citoyen, rompant définitivement avec le Consensus de Washington et qui œuvrent enfin pour un réel développement humain visant à une décroissance matérialiste.

notes articles :

|1| Malgré la visite d’une délégation ukrainienne à Washington en décembre, l’octroi d’une nouvelle tranche d’un crédit de 16,4 milliards de dollars que le FMI avait accordé à Kiev en novembre 2008 reste bloquée, fortement remise en cause par l’augmentation de 20% du salaire minimum fin octobre. Les négociations doivent se poursuivre en janvier 2010.

|2| Lire les salariés d’Alcatel-Lucent font leur révolution à Timişoara http://balkans.courriers.info/artic...

|3| http://www.lesechos.fr/info/inter/a...

|4| http://www.lexpress.fr/actualites/2...

|5| Lire l’interview d’Eric Toussaint, http://www.cadtm.org/Cette-crise-va...

|6| Interview audio : http://sites.radiofrance.fr/francei...

|7| http://fr.reuters.com/article/frEur...

|8| « Un écart s’est produit. Nous sommes encore dans un système qui repose sur le monde tel qu’il était à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le monde a changé, il faut donc adapter le capital. » , Michel Camdessus, 11.02.2008, RFI.

http://www.legrandsoir.info/Le-FMI-dicte-la-Roumanie-abdique.html

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