Les premiers contingents des forces armées américaines, qui devraient atteindre 10 000 soldats, sont arrivés en Haïti alors que la colère monte devant l’échec de l’aide internationale à venir en aide aux millions de personnes qui ont été blessées, qui sont devenues sans-abris et qui ont été laissées sans ressource par le tremblement de terre de mardi.
Il y a eu des reportages de pillage et de résidents de Port-au-Prince faisant des barricades dans les rues avec les corps des morts pour protester contre le manque d’aide. Des milliers et des milliers de corps garnissent les rues et sont empilés à l’extérieur des hôpitaux et des morgues.
Les responsables haïtiens ont rapporté vendredi que 40 000 corps ont été enterrés, plusieurs d’entre eux dans des fosses communes qui ressemblent à des sites d’enfouissement. Ils estiment qu’il y a encore 100 000 corps qui doivent être retrouvés. Dans certaines zones, le nombre de morts est tellement grand que les corps ont été empilés et brûlés.
Le ministre de la Santé haïtien, Alex Larsen, a dit que le nombre de morts provenant du tremblement de terre du 12 janvier pourrait grimper jusqu’à un demi-million, en plus de 250 000 personnes blessées.
Plus de 300 parachutistes équipés pour aller au combat rattachés à la 82e division aéroportée ont atterri à l’aéroport de Port-au-Prince jeudi dans la nuit. Il provenait de Fort Bragg en Caroline du Nord. Une flottille navale américaine menée par le porte-avion nucléaire propulsé à l’énergie nucléaire, le USS Carl Vincent, est arrivée sur les côtes vendredi.
Les parachutistes, l’avant-garde d’une force d’environ 3000 personnes, seront rejoints par 2000 marines provenant de la 22e unité expéditionnaire des Marines basée à Camp Lejeune en Caroline du Nord. Transportés dans un navire amphibie, le USS Bataan, les Marines vont demeurer dans le port de Port-au-Prince, prêt à entrer en action pour mater tout désordre social.
Le chef d’état-major des armées des Etats-Unis, le général Mike Mullen, a dit que plus de 10 000 troupes américaines seront déployées dans la nation caribéenne ravagée si nécessaire.
Pour trois millions de personnes, nombre estimé des personnes ayant été affectées par le tremblement de terre, les conditions deviennent de plus en plus désespérées. Ils ne peuvent trouver de la nourriture adéquate ou de l’eau potable ; les soins de santé sont rudimentaires ou non existants ; et l’électricité et les communications téléphoniques demeurent coupées.
Les correspondants situés dans la capitale haïtienne ont rapporté vendredi peu de signes, sinon pas du tout, que l’aide avait rejoint la population.
Au moins 300 000 personnes sont devenues sans-abris alors que des structures de toutes les sortes se sont effondrées lors du tremblement de terre d’une magnitude de 7.0, qui a frappé Port-au-Prince et tous les environs avec une force égale à 500 000 tonnes de TNT ou 25 fois celle de la bombe atomique lancée sur Hiroshima.
Alors qu’un tel évènement catastrophique aurait infligé des dommages énormes partout, l’impact en Haïti est multiplié par les conditions préexistantes de pauvreté intense et d’arriération économique, le produit d’un siècle d’oppression impérialiste principalement sous l’emprise de Washington.
Avec les minutes qui s’égrainent pour plusieurs des victimes du tremblement de terre, que ce soit celles piégées dans les décombres ou celles qui souffrent de blessures internes, de fractures multiples et de blessures sévères qui ne seront pas traitées, le supposé embouteillage entravant l’arrivée de renforts équivaut à une peine de mort.
« Les gens sont sans eau; les enfants sont sans nourriture et sans toit », a dit Ian Rodgers, un conseiller de haut rang pour Save the Children, au réseau de télédiffusion de nouvelles CNN. « Ce que nous verrons avec le manque d’eau est la possibilité de maladies diarrhéiques qui peuvent, bien sûr, tuer des enfants en quelques heures si elles ne sont pas traitées adéquatement. »
« Il est entièrement possible », a ajouté Rodgers, « que la situation puisse aller de terrible à absolument catastrophique si nous n’apportons pas suffisamment de nourriture et de soins médicaux et que nous ne travaillons pas avec les enfants et leurs familles pour les aider. »
En d’autres mots, des centaines de milliers de personnes qui ont survécu à la destruction initiale pourraient mourir de blessures ou de maladies.
Le manque d’infrastructure adéquate en termes d’aéroports, de routes et d’établissements portuaires pour apporter les vivres combiné à l’absence presque totale de toute présence gouvernementale coordonnant les opérations de sauvetage ne sont pas seulement le résultat du désastre naturel de mardi. Ils ne sont pas non plus, comme l’a dit vendredi le secrétaire à la Défense des Etats-Unis, Robert Gates, simplement des « choses de la vie ».
Plutôt, ils sont la manifestation de l’arriération forcée à laquelle Haïti a été condamnée par les principales banques et entreprises représentées par le gouvernement américain et les agences de la finance internationale. Leur seul intérêt en Haïti a été un intérêt prédateur, basé sur la capacité de faire du profit à partir de salaires de crève-faim. Tous ont systématiquement cherché à affaiblir le gouvernement haïtien depuis les soulèvements de masse de 1986 qui ont mis fin aux trois décennies de dictature par les Duvalier, appuyés par les Etats-Unis.
Le premier président élu après la dictature, Jean-Bertrand Aristide, fut renversé non seulement une, mais deux fois dans des coups d’État appuyés par les Etats-Unis, en 1991 et 2004. Pendant ce temps, Washington et les agences qui prêtent de l’argent ont mis de l’avant une ronde de privatisation après l’autre, privant l’Etat haïtien de tout pouvoir ou ressources réels.
Même dans les meilleures périodes, les services essentiels en Haïti comme la santé, le logement, le transport, les communications, l’électricité, l’eau ou l’évacuation des vidanges sont très inadéquats et précaires.
Ce n’est pas le développement de l’infrastructure du pays ou la diminution de sa pauvreté désespérée que cherche Washington, mais plutôt de maintenir l’ordre et empêcher les Haïtiens de fuir les conditions opprimantes de leur terre natale pour atteindre les côtes américaines.
L’intervention qu’organisent maintenant l’administration Obama et le Pentagone vise à accomplir des objectifs similaires. Elle fait aussi partie du processus amorcé par Washington qui vise à affermir la domination américaine dans l’hémisphère occidental, en ligne avec le coup d’Etat de droite par l’armée au Honduras et l’accord pour l’établissement de bases militaires américaines en Colombie.
Le déploiement de troupes a eu la priorité sur la distribution d’aide humanitaire. Comme le Miami Herald l’a rapporté vendredi passé, « Le cargo aérien américain a été interrompu pour permettre à l’armée de transporter prioritairement l’équipement et les premiers 100 parachutistes du contingent de 900 de la 82e division aéroportée de Caroline du Nord qui seront déployés [en Haïti]. »
L’UNICEF, qui a rassemblé son matériel d’aide humanitaire au Panama, a envoyé un avion de matériel médical, de couvertures et de tentes qui s’est vu interdire la permission d’atterrir et a été forcé de retourner au Panama.
Les premières opérations de sauvetage ont visé à venir en aide aux citoyens américains et d’autres nationalités étrangères. Les équipes de recherche et de sauvetage venant des Etats-Unis et de la France ont commencé leur travail à l’hôtel Montana, un établissement quatre étoiles fréquenté par l’élite dirigeante et les touristes qui s’est complètement effondré, et aux quartiers généraux de la mission de maintien de la paix des Nations unies. Les Haïtiens devaient, eux, tenter de dégager leurs proches et leurs voisins des décombres à mains nues et en s’aidant de débris des bâtiments écroulés.
Les premières personnes qui ont été évacuées de l’aéroport endommagé de Port-au-Prince, maintenant sous le contrôle de l’armée américaine, furent des citoyens américains.
Les Haïtiens sont conscients que l’on donne plus d’importance à la vie des étrangers qu’à la leur. « Ils étaient furieux, mais pas surpris, d’avoir dû entreprendre par eux-mêmes de dégager les personnes capturées sous les décombres, d’enterrer leurs morts et de supplier pour qu’on aide les mourants » a écrit le Los Angeles Times.
Il y a de plus en plus d’articles qui signalent que les survivants au tremblement de terre sont de plus en plus en colère à cause de la longueur de l’attente avant que l’aide arrive. On rapporte que des coups de feu ont été tirés et que des jeunes armés de machettes ont participé à des pillages. Les hauts responsables internationaux ont averti que plus la situation actuelle se prolongera, plus augmenteront les chances qu’elle se transforme en révolte de masse.
« Malheureusement, ils deviennent lentement de plus en plus en colère et impatients », a dit David Wimhurst, porte-parole de la mission de paix des Nations unies sous direction des Brésiliens. « Je crains que nous sommes tous conscients que la situation devient plus tendue alors que les plus pauvres attendent une aide dont ils ont désespérément besoin. Je crois que la colère pourrait s’étendre. »
Kim Boldue, la chef intérimaire de la mission de l’ONU, a dit que « le risque de troubles sociaux à très court terme » faisait qu’il était impératif que l’aide commence à arriver.
La véritable attitude de l’impérialisme américain envers le peuple haïtien a été exprimée dans un article du magazine Time intitulé « Les gangs de criminels profiteront-elles du chaos haïtien pour prendre le contrôle ? » L’article affirmait qu’« Alors que les hauts responsables haïtiens et internationaux essaient de coordonner une réponse efficace à ce qui est probablement le pire désastre à jamais frapper le pays le plus pauvre de l’hémisphère occidental, ils ne doivent pas oublier les rats humains de la capitale qui sortiront de leur cachette dans un moment comme celui que nous vivons actuellement. »
L’article continuait en avertissant que « les bandes de criminels des quartiers pauvres comme Cité Soleil et La Saline vont presque assurément tenter d’exploiter le vide sécuritaire. » Il a cité Roberto Perito, présenté comme un expert sur les gangs haïtiens de l’Institut pour la paix, une agence publique avec des liens étroits avec le renseignement américain et la CIA, qui disait que cette soi-disant menace est « très certainement l’explication des mesures de sécurité importantes mises en œuvre lors du déploiement de l’armée américaine ».
Le Time ajoute : « L’armée américaine a une bonne expérience avec les gangs de Port-au-Prince », notant qu’elles sont souvent « de nature politique », se regroupant autour, dans les termes de Perito, « de personnages charismatiques et impitoyables à la Robin des bois ».
Selon toute vraisemblance, le déploiement militaire américain en Haïti sera utilisé contre le peuple haïtien pour écraser tout désordre de masse. Ayant occupée le pays pendant vingt ans dans la première moitié du 20e siècle et étant intervenue deux autres fois en 1994 et en 2004, l’armée américaine prend de nouveau le contrôle de ce que le haut commandement affirme être une opération à long terme.
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