Della Sudda Magali - Ecole des hautes études en sciences sociales - EHESS PARIS
Cette recherche historique qui croise les apports des études de genre, de la science politique et de la sociologie religieuse met en lumière la façon singulière dont les militantes d'action féminine catholique sont venues à la politique en France et en Italie durant les premières décennies du XXe siècle. Deux associations catholiques féminines de masse ont fait l'objet de cette analyse comparée : la Ligue patriotique des Françaises active de 1902 à 1933 et l'Unione fra le donne cattoliche d'Italia de 1909 à 1919. La thèse réalisée dans le cadre d'un doctorat en co-tutelle entre l'Ecole des hautes études en sciences sociales et l'Université de Rome ‘La Sapienza' s'est appuyée sur différents fonds d'archives qui ont été dépouillés, pour certains d'entre eux intégralement, durant cinq ans. La problématique qui a guidé cette recherche est celle de l'activité politique féminine conservatrice dans des contextes d'exclusion des femmes du suffrage. Si l'activité des suffragistes, des féministes, des militantes socialistes de la période contemporaine est bien connue, les mobilisations conservatrices sont restées dans l'ombre de l'histoire, malgré leur caractère massif et durable. Le point de départ de mon travail a été de comprendre comment les femmes qui n'étaient pas féministes, dans le sens où ce terme est défini par les organisations féminines en faveur du suffrage et des femmes au début du siècle dernier, se sont mobilisées pour faire émerger une parole féminine conservatrice. Il fallait éclairer les modalités d'action de ces femmes, saisir le paradoxe de leur engagement à la fois conservateur sur le plan politique, religieux et social et en même temps porteur de redéfinition pratique des normes de genre. Tout en étant très attachées à un ordre social inégalitaire et à une hiérarchie des genres sous-tendus par la reconquête du terrain perdu par l'Église, certaines de ces femmes ont dans certains contextes pu faire preuve d'une contestation plus ou moins silencieuse des normes en vigueur dans l'Église et dans la société. La comparaison est centrale dans cette démarche. L'Italie et la France sont deux pays que les contextes de sécularisation et de séparation de l'Etat de l'Église catholique rapprochent. Leur système politique libéral repose sur l'exclusion des femmes du corps électoral d'abord sur des motifs juridiques – elles ne sont pas libres depuis le Code civil de 1804 en France et en Italie –, puis politiques – jugées trop proches de l'Église et sous la coupe du clergé. Mais dans ces contextes proches, la naissance de l'action catholique féminine prend des formes distinctes. La Ligue patriotique des Françaises voit le jour en 1902, en tant qu'entreprise électorale pourvoyeuse de subsides pour les candidats catholiques. Tandis qu'en Italie, ce ne sont pas les élections qui provoquent l'apparition d'une association de laïques organisées mais le congrès féministe de Rome en 1908. Le cas italien fait saillir les spécificités du rapport à la politique de l'association française. Bien que s'en défendant, en France, les femmes de la Ligue entrent dans l'arène politique, non pas pour voter directement mais pour prendre une part dans la division sexuelle du travail militant qu'elle justifient par les compétences supposées de leur sexe. A l'œuvre en 1902, lors des municipales de 1904, des législatives de 1906, elles diffusent les tracts des candidats catholiques, collent des affiches, gèrent les caisses électorales, nettoient les listes électorales dans les mairies, et même monnayer leur « devoir conjugal » contre une promesse de vote pour le bon candidat. Cette activité se poursuit de façon plus discrète après 1906, date à laquelle le pape Pie X leur interdit toute action politique. Tout autre est la situation italienne, où, parce que le non expedit du pape Pie IX déconseille la participation des catholiques italiens au jeu démocratique censitaire d'un Royaume d'Italie impie, les femmes catholiques n'ont pas vocation à contribuer à la rechristianisation du pays par les urnes. C'est l'articulation complexe de ces deux cas, auxquels vient s'ajouter un troisième acteur qu'est la hiérarchie vaticane, qui est au centre de l'analyse comparée. Ce travail s'est appuyé sur des archives mais aussi une littérature scientifique de différentes disciplines : outre les travaux d'histoire du catholicisme, d'histoire du genre, d'histoire sociale, d'histoire de l'éducation et d'histoire de la Grande Guerre, les ouvrages de science politique, de la sociologie des mobilisations sont venus enrichir le corpus des sources secondaires. Des sources inattendues pour l'histoire du genre aux sources inexploitées Plusieurs types de fonds dans chacun des trois pays – France, Italie, Vatican – ont été consultés. Des sondages ponctuels dans des fonds américains – Schlesinger Librairy, spécialisée sur l'histoire des femmes, et Boston College, université de la Compagnie de Jésus, à Boston ont complété ces consultations principales. Les fonds français sont constitués des fonds de l'association Ligue patriotique des Françaises (1902-1933), déposés à l'Action catholique des femmes ; des Archives historiques des archevêchés de Lyon et de Paris, des Archives départementales du Rhône, des Alpes-Maritimes, du Tarn, de l'Yonne – dont certains n'ont parfois rien donné -, des Archives nationales, série F7 « partis et associations politiques ». Ce dernier choix de ne prendre en considération que les documents identifiés comme relevant d'une activité politique était justifié par la volonté d'attester montrer qu'un engagement conservateur féminin avait existé et était identifié comme tel par les pouvoirs publics. La perception de la Ligue patriotique des Françaises sous l'angle de son activité politique indique une féminisation précoce de la profession politique par le biais de cette association connexe de l'Action libérale populaire. Une deuxième phase de dépouillement a été effectuée à Rome. Le fonds personnel de Cristina Giustiniani Bandini, première présidente et fondatrice de l'Unione fra le donne cattoliche d'Italia (U.D.C.I.) en 1909 a été intégralement dépouillé. Il est conservé près l'Archive général de l'ordre prêcheur (dominicains) en l'Église Sainte-Sabine de Rome. Les archives d'État de Rome (Archivio di stato di Roma) ont été sondées pour établir une comparaison dans la surveillance politique de ces associations catholiques féminines. La localisation des sources révèle ainsi que l'Action catholique féminine italienne n'est pas structurée comme une organisation à vocation politique ou sociale. Elle n'est pas déclarée auprès des autorités, il n'y a pas de trace aux Archives d'Etat en tant qu'association politique ou de bienfaisance. Enfin, les Archives secrètes vaticanes ont offert un regard inédit sur ces associations. Ces matériaux inexploités jusqu'ici – papiers du fonds personnel Pie XI, fonds Pie IX ouvert à la consultation depuis septembre 2006 – ou qui n'avaient jamais été consultés pour l'action catholique féminine française et italienne – fonds Secrétairie d'État pour les pontificats de Léon XIII, Pie X et Benoît XV ; Affaires ecclésiastiques extraordinaires France et Italie – ont été d'une importance majeure dans cette recherche. Ils permettent de comprendre le regard porté par l'institution sur ces associations mais aussi la complexité du rapport à l'autorité de ces organisations de laïques qui avaient un pied dans l'Église et un pied dans la société. La presse de ces deux associations a également été dépouillée. Organisation de la thèse L'exploitation du matériau a été organisée de façon thématique et chronologique. Trois parties scandent ce travail. La première porte sur l'émergence et le développement des deux organisations, la seconde s'intéresse à la citoyenneté sociale mise en œuvre par ces associations et enfin, une troisième partie examine l'élaboration complexe d'une citoyenneté politique qui ne passe pas nécessairement par le vote dans un premier temps puis qui intègre le suffrage féminin au lendemain de la Grande Guerre. La première partie de la thèse traite de la genèse du militantisme d'action catholique féminine de part et d'autre des Alpes. Elle éclaire la naissance, le développement et l'institutionnalisation de chacune des deux associations. Un premier chapitre retrace la naissance de la Ligue patriotique des Françaises à Paris, durant les derniers mois de l'année 1901. Il montre comment un premier noyau parisien composé de femmes consacrées sans toutefois qu'elles portent un habit religieux et d'« entrepreneuses » - comme certaines dirigeantes se définissent -, rompues à l'entreprise électorale de leur mari sous le Second Empire et la IIIe République, a créé une organisation de laïque qui gagne très vite la Province. Forte de 300 000 adhérentes dès son troisième anniversaire, la Ligue est d'abord une œuvre électorale, qui doit fournir aux candidats catholiques des subsides et des propagandistes zélées dans le contexte de structuration de l'offre politique par les partis. La loi de 1901 sur les associations, votée pour contrôler les congrégations religieuses offre alors une opportunité inattendue d'organisation pour ces catholiques. L'échec aux élections législatives de 1906 et l'évolution des positions pontificales vers un rejet de la démocratie chrétienne et de l'engagement politique des catholiques marque l'arrêt officiel de l'œuvre électorale pour les femmes. Dès 1907, l'action sociale et religieuse sont mises au premier plan : c'est par elles, et par elles seules, que les femmes referont la société chrétienne et non par les urnes. Dans la pratique cependant, l'interdit est contourné jusqu'en 1914. Peu de temps après, en 1909, est proclamée la naissance de l'Union entre les femmes catholiques d'Italie. Les cérémonies de béatification de Jeanne d'Arc en avril de cette même année sont l'occasion de lier les deux organisations qui se placent ainsi sous la protection de la sainte. La vierge guerrière symbolise le renouveau de l'apostolat féminin sous tendu par une spiritualité de combat qui prend tout son sens dans un contexte de laïcisation des institutions d'Etat. Le deuxième chapitre porte sur cette « petite sœur italienne » qui naît au lendemain du congrès féministe de Rome de mai 1908, qui avait vu des femmes catholiques prendre part au vote d'une motion supprimant le caractère obligatoire de l'instruction religieuse à l'école. Une aristocrate romaine proche du pape Pie X, la princesse Cristina Giustiniani Bandini, mobilise ses réseaux religieux et nobiliaires pour fonder une association de laïques sur le même modèle que la Ligue. Mais, contrairement aux Parisiennes, la dirigeante romaine se place dans une ligne intransigeante et refuse toute forme de participation politique féminine. Il n'est pas question de voir les Italiennes financer les candidats catholiques aux élections locales – les seules où ils sont autorisés à se présenter en tant que tels par la hiérarchie ecclésiale jusqu'en 1912, ni de réclamer le suffrage. La mise en conformité de la cité terrestre avec la cité céleste se fera par l'action religieuse, par les pèlerinages, par une piété féminine accrue et éventuellement par les œuvres de bienfaisance. Dans ces deux contextes, qui ont pour point commun l'affirmation de l'État nation sur des bases laïques et l'institution d'un régime démocratique fondé sur le citoyen masculin, la capacité des femmes catholiques à imposer leur programme politique dans le débat public se traduit donc par des modalités d'action différentes. Dirigées toutes deux par des aristocrates, défendant une hiérarchie sociale, une hiérarchie de genre et une hiérarchie religieuse ces femmes ont, pour certaines d'entre-elles, maintenu leur autonomie à travers ce militantisme conservateur. Une deuxième partie s'intéresse aux déclinaisons d'une citoyenneté sociale féminine. Elle montre comment au sein de ces associations l'acception restrictive de la citoyenneté politique identifiée au vote, attribut masculin en France et en Italie jusqu'en 1945, est contournée pour proposer une autre forme d'appartenance à la cité. Cette citoyenneté sociale est alors définie comme l'ensemble des droits et des devoirs assignés aux femmes en tant que mères biologiques ou spirituelles, afin de transposer à l'ensemble de la société les activités de soin, de prise en charge des œuvres sociales, aujourd'hui désignées sous le terme de care. Le troisième chapitre porte sur l'action sociale catholique. Il intègre de façon comparée les étapes du passage de la dame patronnesse à la militante d'action catholique. Il montre comment la résolution de la question sociale « les Évangiles à la main » se heurte à la différence des positions sociales des militantes : la solution corporatiste où patronnes et ouvrières sont réunies dans une même structure est difficilement envisageable dans les comités composés d'ouvrières. Si la Ligue délègue cette question délicate aux syndicats féminins chrétiens, l'Union italienne entend monopoliser l'encadrement des catholiques en contrôlant les syndicats des professions pensées comme féminines – infirmières, institutrices, téléphonistes...-. À travers l'organisation chrétienne de ces occupations féminines s'opère dans certains cas une professionnalisation de ces activités. Tant en France qu'en Italie, le brevet d'aptitude vient se substituer à la formation uniquement religieuse pour devenir enseignante ou infirmière d'Etat. Cette professionnalisation s'étend après la Grande Guerre à d'autres activités féminines : la formation professionnelle est proposée en France aux agricultrices, aux ouvrières. Elle est sous-tendue par l'idée que l'élite féminine militante doit d'abord être une élite de professionnelles. Cependant, la crise des années Trente met un frein à cette activité quand la mère au foyer devient le cheval de bataille de l'Église catholique. Une deuxième dimension de cette citoyenneté sociale est son enracinement dans l'expérience de la maternité qui est présentée par ces associations comme constitutive du genre féminin. Bien que la plupart des dirigeantes n'aient pas d'enfants – parce qu'elles sont vierges consacrées ou tertiaires - elles entendent néanmoins promouvoir la maternité. Se distinguant des associations natalistes plutôt républicaines en France, les catholiques s'inscrivent dans la mouvance familialiste. Mais, elles se singularisent par le fait que cette promotion de la maternité est faite par des femmes, pour des femmes. On observe alors des nuances importantes sur l'acception de la maternité : celle-ci peut être entendue comme la mise au monde des enfants mais aussi le maternage d'autres enfants dans le cadre d'un célibat chaste et consacré. En France, la Ligue établit parallèlement à d'autres institutions républicaines des institutions d'aide aux mères – gouttes de lait, consultation du nourrisson, mutualités maternelles et prix. Ainsi, la Ligue patriotique organise t-elle la fête des mères au mois de mai à partir de 1917 : le prix des mères méritantes est remis aux adhérentes de condition modeste, mères de famille nombreuse et d'observance religieuse rigoureuse. En Italie, c'est surtout la dimension religieuse de la maternité qui est privilégiée à travers la promotion de la dévotion mariale mais aussi de saintes du quotidien comme Anne Marie Taigi, mère de famille battue par son mari qui avait des extases dans ses activités domestiques. Sous le fascisme, un retour à l'action sociale s'opère quand l'Union rejoint les action de l'œuvre nationale de la maternité et de l'enfance et mène « l'apostolat du berceau » (1929). C'est également en tant que mères que ces femmes portent leurs revendications auprès des gouvernements. Le maternalisme catholique se décline de part et d'autre des Alpes et conduit parfois ces associations hostiles au féminisme à rejoindre les positions des féministes laïques sur la recherche en paternité ou la protection de la maternité. Cette acception de la maternité rompt avec l'idée que parce que les femmes mettent au monde un enfant, elles feront de bonnes mères. Au cœur de l'action de ces associations se trouve le projet d'une pédagogie maternelle chrétienne destinée à apprendre aux mères biologiques à être des éducatrices. C'est l'objet d'un cinquième chapitre. Cette pédagogie s'adresse en premier lieu aux ouvrières, redoublant la relation de maternage entre la patronne et ses employées par une relation de mère spirituelle à une mère biologique. Mais les mères de la petite bourgeoisie sont elles aussi invitées à devenir des éducatrices de leurs filles et à s'investir dans la formation des futurs citoyens chrétiens. Les éducatrices catholiques doivent prendre une place centrale dans la famille et dans la société soit en devenant des institutrices catholiques, soit en se fédérant dans des associations de pères et de mères de famille pour mener une activité de lobbying au nom de la défense de leurs enfants. En France, les ligueuses prennent une part active dans la guerre scolaire du début du siècle, tandis qu'en Italie, les aristocrates de l'Union qui font pression sur les hommes politiques de leur entourage pour maintenir l'instruction religieuse dans les écoles primaires en 1912. Elles parviennent ainsi à avoir un monopole sur les demandes d'instruction religieuse formulées par les parents dans les écoles de Rome et font office d'intermédiaire entre les parents d'élèves et les autorités municipales qui accordent cet enseignement dans les écoles. Dans une troisième partie, c'est le passage à la citoyenneté politique qui est analysé. Un sixième chapitre analyse l'épisode de la Grande Guerre comme un moment à la fois de rupture avec les positions de ces associations et d'accélération de certains processus d'inclusion des femmes catholiques dans la gestion des affaires publiques. La guerre ouvre une période d'élargissement de l'action publique pour les deux associations. La professionnalisation de certaines occupations comme les infirmières s'accélère. La matrice maternaliste de l'action collective légitime la prise en charge des enfants des classes populaires, des soldats mutilés etc. L'action des associations ne vise plus seulement à attirer les âmes d'élites mais véritablement à assumer l'œuvre d'assistance que les pouvoirs publics ne peuvent fournir. À la faveur de cette crise, le rôle des congrégations exilées est reconnu en France et celui des laïques de la L.P.D.F. sanctionné positivement par les décorations nationales et religieuses que reçoivent la plupart des dirigeantes, tant en France qu'en Italie. Les jeunes femmes non mariées, les mères célibataires deviennent aussi les cibles des politiques mises en place par la Ligue, tandis qu'en Italie, il semblerait que l'élargissement de l'action sociale suscite un rappel à l'ordre quant à la collaboration avec les non catholiques. La guerre ouvre la voie d'une réconciliation avec les autorités laïques qui passe avant tout par une action locale. S'appuyant sur les notables, sur les réseaux d'œuvres religieuses préexistantes, l'U.D.C.I. acquiert rapidement un rôle important dans les Comités d'assistance civile qui gèrent bon nombre de problèmes matériels liés à la guerre. En France, l'Union sacrée se fait aussi dans certaines communes, mais la reconnaissance de l'action civile des ligueuses sera d'avantage symbolique. Ainsi, nous voyons comment le contexte national structure la façon dont sera pensée et légitimée l'action civile des associations féminines catholiques. Elle passe par une reconnaissance locale puis nationale, en Italie, où l'U.D.C.I. se voit accorder la personnalité juridique au lendemain du conflit. En revanche, là où le poids des instances locales de représentation démocratique reste dominé par les institutions nationales, il s'agit plutôt d'une reconnaissance symbolique. Le dernier chapitre de la thèse montre comment les militantes d'action catholique ont participé aux premières consultations électorales sans pour autant détenir le droit de vote et ont ensuite abandonné ces pratiques une fois celui-ci admis comme un moyen de faire changer les lois. En Italie, en revanche, le rapport à la politique plus difficile évolue après la guerre vers des positions plus ouvertes au suffrage féminin. S'esquissent ainsi les linéaments d'une politisation féminine contrainte à la fois par le contexte politique et religieux national et par les propriétés sociales des dirigeantes dont le recrutement n'est pas identique dans chacun des pays. Définissant par la pratique tout autant que par les discours l'activité politique légitime pour des femmes catholiques, ces citoyennes catholiques se positionnent d'abord contre le suffrage féminin, manifestant leur appartenance à la communauté politique et nationale par les œuvres sociales et religieuses. S'appuyant sur leur mission d'apôtres du XXe siècle, pour résoudre la question sociale « l'Évangile à la main », les militantes revendiquent un rôle d'expertise de plus en plus important dans le travail social. De la dame patronnesse aristocrate du début du siècle à la travailleuse sociale qualifiée d'origine plus modeste de l'entre-deux-guerres s'est amorcé un processus de politisation féminine et de professionnalisation. La préparation des femmes au suffrage devient alors une activité importante de la Ligue, qui organise des conférences de préparation civique, qui publie des brochures et veut inciter les femmes à adopter le suffrage familial dans un premier temps, puis individuel dans un second temps. En Italie, en 1925 le bref épisode de l'autorisation du vote pour les femmes de plus de trente ans, mères et épouses de soldats, voit l'Union intervenir pour solliciter les inscriptions sur les listes électorales. Celles-ci ne purent cependant voter jusqu'en 1946. Cette thèse contribue ainsi à repenser les catégories de citoyenneté habituellement définies en rapport avec le suffrage et à comprendre la façon dont les associations de femmes catholiques ont contribué à l'apprentissage de la vie politique durant les premières décennies du XXe siècle en France et en Italie. La citoyenneté telle que l'entendent ces associations est d'abord une citoyenneté sociale, fondée par l'expérience de la maternité spirituelle ou biologique, et vécue à travers la mise en œuvre d'institutions sociales. La citoyenneté politique qui se manifeste par le vote n'est pas considérée, dans un premier temps, comme une pratique légitime pour les femmes catholiques dans chacun des pays. Toutefois, l'intervention dans les affaires politique et la façon dont les femmes de ces associations se pensent comme des sujets politiques et interviennent en leur nom dans les affaires publiques attestent de la volonté de contourner le suffrage masculin. En France, dans un contexte de ralliement de l'Église catholique à la République et de suffrage universel, même les femmes sont invitées à participer de façon indirecte à la compétition électorale. En Italie, un modèle de politisation intransigeante domine : les catholiques hommes et femmes sont invités à se tenir à distance de la compétition électorale. Au terme de la Grande guerre, ces prises de positions se rejoignent. Dans cette évolution, la Grande Guerre a constitué un moment d'accélération plus que de rupture et a ouvert une période de réconciliation entre ces associations catholiques et les pouvoirs publics laïcs. Ce travail invite à une compréhension plus large de l'engagement féminin en intégrant ces associations de masse qu'ont été les associations catholiques. Prises entre la nécessité de se distinguer des féministes et des hommes catholiques, ces associations ont défini des cadres d'action légitimes pour des femmes conservatrices, attachées aux normes de genre inégalitaires mais soucieuses de se ménager des marges d'autonomie. Cette recherche permet de mieux saisir la complexité des rapports sociaux de sexe et de classe en adoptant des questionnements de science politique et de sociologie. Malgré leur conservatisme et leur hostilité au suffrage, ces associations ont été des lieux de socialisation politique et religieuse qui ont marqué les premières générations d'électrices tant en France qu'en Italie. Et on ne peut comprendre pourquoi le vote féminin a d'abord été un vote démocrate-chrétien sans s'intéresser à la façon dont ces milliers de femmes ont appris à « bien voter » durant les premières décennies du siècle dernier. -
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