Le capitalisme, déjà mis en cause pour sa logique financière dont le bilan des conséquences reste à faire, ainsi que pour sa contribution à l’utilisation irraisonnée des ressources de la planète, pour ne pas parler de celle au réchauffement de son atmosphère aux effets imprévisibles, est-il ou non en premier lieu responsable de l’impressionnante addition de ces méfaits, dont la liste s’allonge ? Si la réponse devait être affirmative – poser la question n’est pas y répondre pour les autres – il serait alors vraiment urgent de changer de modèle de société, sans attendre qu’il ne s’effondre de lui-même, sur nous, ou bien qu’il se réforme et s’amende, ce dont il ne donne pas de signal extrêmement convaincant.
S’il était décidé de lui donner une dernière chance, dans un accès d’insouciance ou bien d’inconscience, pourrait-il lui être proposé de régler un autre petit problème, dont on va parler à l’occasion de la Conférence de la FAO qui débute demain à Rome ? Jacques Diouf, secrétaire général de la FAO, vient d’effectuer une grève de la faim symbolique de 24 heures, rejoint a-t-il été annoncé par Ban-Ki Moon, le secrétaire général de l’ONU. Il a estimé que la production agricole devait augmenter de 70% d’ici 2050 et demandé aux Chefs d’Etats des engagements et du concret (ceux du G8 devraient briller par leur absence). « Les pauvres ne peuvent pas se nourrir de promesses », a répondu Francisco Sarmento, de l’ONG ActionAid. Car, pour la première fois, nous avons dépassé le cap du milliard d’êtres humains officiellement frappés de malnutrition. Les discours sur le recul de la pauvreté et de famine ne sont plus de circonstance et ne sont d’ailleurs même plus prononcés. Nous sommes également placés devant la perspective d’alimenter en 2050 (dans une génération et demie) les 9 milliards d’habitants que la terre devrait alors compter. Au regard de ce que nous constatons déjà, de la pitoyable comédie de la régulation financière qui nous est jouée, ainsi que de l’échec annoncé du sommet de Copenhague sur le réchauffement climatique, que l’on tente de camoufler au dernier moment, est-ce qu’un tel pari de notre part serait très responsable ? Et pourtant…
L’orientation donnée depuis des décennies à la production agricole mondiale est un fiasco. Organisée sous les auspices des organisations internationales, au premier rang desquelles la Banque Mondiale, elle a bénéficié l’agro-business moderne, pas à ceux qui devaient en profiter. Un agro-business de plus en plus tourné ces temps-ci, pour faire encore plus mauvaise mesure, vers la satisfaction des besoins énergétiques et non pas ceux de l’alimentation. Que n’a-t-il pas été écrit et dénoncé, à juste titre mais en vain, ne rendant pas nécessaire de pourfendre une fois de plus le modèle du capitalisme agricole, dont l’activité en matière de biotechnologies végétales de Monsanto, ainsi que l’achat des terres agricoles de par le monde (pour se constituer les réserves alimentaires de demain), sont les symboles de l’éclatante impasse – et non pas réussite – dans laquelle nous continuons résolument de progresser. Cela aussi a déjà été dit et redit.
Devant des promesses gouvernementales de soutien financier qui souvent ne se concrétisent même pas, les projecteurs des conférences éteints et les micros fermés, et dont l’utilisation procède plus de l’assistance dans l’urgence que du soutien à long terme, la FAO et les ONG recherchent en désespoir de cause auprès des investisseurs privés des interlocuteurs, leur faisant valoir que ce milliard d’affamés pourrait demain devenir autant de consommateurs, utilisant ce qu’ils espèrent être un mot magique. Craignant en même temps que s’intensifie sous leur influence le développement d’une agriculture intensive, utilisant les technologies les plus avancées, ne fournissant que peu de travail et ne nourrissant pas directement ceux qui la produiraient. Une agriculture orientée vers l’exportation, vers la satisfaction d’autres besoins que ceux des populations vivant sur les terres la permettant, alors que l’on parle de la nécessité de développer les marchés intérieurs des pays émergents ! A la considérer simplement sous ce jour, c’est la pire des exploitations.
Le soja, le riz, le mais, le blé, sont devenus des matières premières au même titre que le fer, l’étain, le cuivre ou le pétrole. C’est à dire les vecteurs et les leviers de la spéculation financière. La crise financière, elle, atteint indirectement les populations les plus démunies, qui voient les transferts des émigrés et de leurs diasporas diminuer sous les effets du sous-emploi, accentuant localement la famine. La production de mais et de canne à sucre est de plus consacrée aux bio-carburants. L’impact environnemental et social de l’agro-business, là où il a le plus prospéré, est énorme et souvent irréversible. Faut-il en rajouter ? Il n’y a que dans le domaine de la santé publique que l’on peut trouver un tel gâchis, une telle invraisemblable désinvolture à l’égard des êtres humains, les deux se rejoignant pour contribuer à ce qu’enfle, non pas une nouvelle bulle financière cette fois-ci, mais des sociétés de déshérités qui ne connaissent de la vie que les pénuries et qui n’ont d’autre perspective que d’être de plus en plus nombreux.
L’affirmation d’une alternative, d’une agriculture que l’on qualifie de familiale, se heurte en réalité aux structures sociales et de propriété des pays où il faudrait qu’elle trouve son essor. Qui n’a pas entendu parler, par exemple, du Mouvement des sans terres au Brésil ainsi que des grands latifundiaires, parti des colonels hier et chasse gardée des champions de la déforestation à grande échelle aujourd’hui ? Faute que cette agriculture à taille humaine soit possible, ce sont les mégapoles qui se multiplient, créant l’univers urbain dominant terrifiant de demain, dont aujourd’hui n’existent encore que les prémices, déjà peu fréquentables. Encore un autre sujet.
Mais à chaque fois, c’est bien du même capitalisme, arrivé à maturité, que l’on parle.
www.pauljorion.com/blog - 15.11.09
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