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21/11/2009

La «réforme de Bologne» inspirée des Etats-Unis a 10 ans

Alfred Burger, chercheur en éducation, Zurich

Des dizaines de milliers d’étudiants ont manifesté la dernière semaine d’octobre à Vienne et dans d’autres villes contre la réforme de Bologne. L’objet de ces manifestations était notamment l’introduction de frais d’inscription et d’un numerus clausus ainsi que la suppression de postes d’enseignants. Les manifestants demandaient le retrait des filières bachelor (licence) et master (maîtrise) et la réintroduction de cursus à caractère plus scientifique. Ailleurs en Europe également, l’insatisfaction augmente: les professeurs d’université se plaignent d’un énorme surcroît de travail, d’un manque de temps à consacrer aux étudiants et d’un excès de bureaucratie.

Les promesses et la réalité

La Déclaration de Bologne du 19 mai 1999 était assortie de grandes promesses. On prétendait qu’elle permettrait une plus grande perméabilité des universités et des cursus, une plus grande mobilité des étudiants et qu’elle favoriserait les échanges scientifiques entre les universités européennes. Pour augmenter la compétitivité des établissements et les chances des diplômés sur le marché de l’emploi, on imposa à toutes les universités un système de diplômes unique à trois niveaux (LMD: licence, maîtrise, doctorat) et de crédits (ECTS: European Credit Transfer System/Système européen de transfert et d’accumulation de crédits) transférables d’une université à l’autre qui devaient apporter la transparence, l’efficacité, la mobilité, la flexibilité et la compétitivité.
Cette réforme a complètement bouleversé les divers systèmes européens qui avaient évolué au cours des siècles et les a alignés sur le système américain, entreprise qui aurait dû rencontrer de nombreux obstacles en raison de l’histoire des structures universitaires en Europe. Mais ce ne fut pas le cas. Le système de Bologne a été mis en application au cours des dix dernières années sans débat démocratique, sans légitimité juridique et contre l’avis de la plupart des professeurs. Les promesses n’ont guère été tenues, elles se sont révélées être, comme c’est toujours le cas, des paroles en l’air destinées à dissimuler une stratégie prévue de longue date. Il en est résulté un désert universitaire standardisé et imposé d’en haut typique de l’économie dirigée.
Comment cela a-t-il été possible?

Stratégies classiques

Dès le début des années 1950, on a cherché à aligner les universités allemandes sur les américaines mais des mouvements de gauche ont réussi à empêcher cela dans les années qui ont suivi. 30 ans après, face à l’apparente réussite de l’économie américaine, l’opinion européenne était très bien disposée.1 A l’époque, peu de personnes savaient que ces «succès» reposaient sur une montagne de dettes et ne représentaient pas une véritable réussite économique. Aussi nombreux furent ceux qui jugèrent le moment venu de lancer une réforme: représentants néolibéraux de l’OMC et de la Banque mondiale, multinationales, administrateurs d’universités qui louchaient depuis longtemps vers le modèle américain (notamment Helga Novotny, ancien professeur d’économie à l’EPFZ et vice-présidente du Conseil européen de la recherche). Le capitalisme européen fondé sur les théories de Milton Friedmann conquérait le monde entier avec des slogans tels que globalisation, dérégulation, privatisations, efficacité accrue, etc. et abandonnait de plus en plus les structures de l’économie sociale de marché en Allemagne et dans d’autres Etats européens. Quasiment tous les partis européens, et notamment la gauche, montèrent avec enthousiasme dans le train de la globalisation.
«L’époque est favorable à une telle réforme: tout d’abord, l’examen des structures, des contenus et des procédures en vue d’une efficacité, d’une souplesse accrues et d’un allègement est une tendance que l’on observe dans le monde entier […] Deuxièmement, d’ici à 2005, environ 50% des actuels professeurs d’université […] partiront à la retraite. C’est l’occasion de mettre en place, dans un esprit de compétition et avec un personnel en grande partie renouvelé, de nouvelles struc­tures plus internationales»2, écrivait le ministre allemand de l’éducation de l’époque Jürgen Rüttgers qui a pris une part active aux travaux de la réforme de Bologne.
Cette réforme fut précédée, selon le schéma classique, d’une campagne de dénigrement dirigée contre les anciennes structures. En utilisant des termes comme «sclérose», «corps enseignant dépassé», on préparait le terrain pour une réforme profonde des universités européennes. Sachant que dans les différents Etats européens des systèmes scolaires très différents avaient été développés au cours des siècles, on procéda différemment dans chaque pays. En Allemagne, par exemple, on se référa au modèle hollandais. Il n’était certes guère différent du modèle anglo-saxon mais on savait que les Allemands n’auraient pas été favorables au système élitiste américain.

Que cache le système de Bologne?

Le processus de Bologne ne peut être dissocié de la stratégie économique de l’Union européenne déterminée en mars 2000 à Lisbonne. L’objectif formulé là-bas – faire de l’économie européenne «la plus compétitive et la plus dynamique du monde» – a considérablement influencé la réforme du système universitaire européen.3 L’Europe ne doit plus seulement être une Europe de l’économie mais une Europe du savoir. C’est pourquoi la réforme en cours repose avant tout sur des principes économiques imposés par les forces néolibérales d’organisations économiques comme l’OCDE, l’OMC et la Banque mondiale. Cela apparaît clairement dans le vocabulaire qui se répand depuis des années comme un cancer dans tout le domaine de l’enseignement supérieur: compétitivité, spécificité, amélioration de la qualité, évaluation, gestion des universités, orientation clientèle, autonomie financière, analyse comparative, etc. Les universités doivent devenir des entreprises privées produisant et vendant du savoir au sein de l’économie globalisée. Ce n’est plus la science qui pose les questions mais l’économie et la société qui disent à la science ce qu’elle doit chercher et faire.

Abandon de l’idéal humaniste de Humboldt

Au cours des siècles, les peuples européens ont acquis de haute lutte l’indépendance des universités par rapport aux forces religieuses et autres. Les professeurs pouvaient faire des recherches et enseigner à l’abri des pressions de l’économie de marché. Ils étaient rémunérés par les pouvoirs publics et les résultats de leurs recherches étaient publiés et appartenaient à la collectivité. Au cours des dix dernières années, la «main invisible du marché», sous couvert de «progrès» et de «modernisation» a mis la science et la recherche universitaires à son service et sapé durablement la relative autonomie de la recherche et de l’enseignement. Cela représente un abandon fondamental de l’idéal humaniste de Humboldt. L’université devient de plus en plus une prestataire de services à la carte et cesse d’être un lieu de recherches indépendantes. Elle doit se mettre au service de l’économie si elle ne veut pas mourir. «Si les universités ne s’adaptent pas, on se passera d’elles.»4

Des universités en compétition

Alors qu’avant, c’était la qualité de la recherche et de l’enseignement qui faisaient le renom des universités, ce sont aujourd’hui le nombre des brevets déposés et l’importance des moyens financiers apportés par des tiers. Pour que ces brevets puissent être commercialisés, les politiques de tous les pays européens modifient maintenant le droit des brevets, réduisent les budgets des universités et forcent ces dernières à commercialiser davantage leurs services.
Aujourd’hui, la réputation des universités et la place qu’elles occupent dans les classements sont déterminées par la nécessité de recherches de pointe lucratives. Le fait que l’Academic Ranking of World Universities 2003 mentionnait avant tout des universités américaines montre clairement selon quels critères seront évaluées les universités à l’avenir: sur ceux du modèle américain.

Universités à l’américaine

Le paysage universitaire américain est dominé par l’«Yvy-League». Il s’agit d’un groupe d’universités prestigieuses qui pratiquent une sélection sociale et assurent ainsi la pérennité de l’élite américaine. Chacune d’entre elles dispose d’un capital comparable à celui d’une multinationale. Il est donc naturel qu’elles puissent attirer les meilleurs scientifiques et professeurs du monde. De plus, il existe une série d’autres universités privées qui vivent des dons des familles aux enfants desquelles elles permettent d’accéder, après leurs études, aux postes les mieux rétribués de l’économie et de la politique. Souvent l’importance du don décide de l’admission dans l’université souhaitée. La plupart des universités d’Etat ont peu d’importance. Même celles, peu nombreuses, qui ont un nom, n’arrivent jamais au niveau des établissements privés. Ce système élitaire est constamment nié mais les faits parlent un autre langage: dans les 146 meilleures universités, seuls 3 % des étudiants sont issus de familles socialement défavorisées.

Un féodalisme qui renie les Lumières

On appelle ce système dans lequel les universités cherchent à obtenir la meilleure place dans les évaluations «système d’excellence». En théorie, il doit élever le niveau général des universités dans le monde entier. En pratique, une lutte commence à s’instaurer entre les universités pour savoir qui pourra jouer en première division en tant que global player et qui sera relégué en deuxième division. Les perdants sont les disciplines «non rentables» qui doivent disparaître. On «assainit» les universités. La simplification promise des séjours d’études à l’étranger se révèle être une escroquerie: seuls les étudiants issus de familles aisées peuvent se les offrir. Comme toutes les études sont soumises à la logique du marché, les étudiants sont constamment soumis à une course contre la montre. De plus, les frais d’inscription augmentent sans cesse si bien que, comme aux Etats-Unis, seuls les fils et les filles de familles aisées peuvent faire des études. La suppression des bourses relève de la même logique. A l’avenir, seule la licence sera tout au plus accessible au commun des mortels alors que la maîtrise et le doctorat seront réservées aux riches et à quelques spécialistes bornés. On peut de moins en moins nier que le système de Bologne vise à rabaisser les moins privilégiés au niveau qui, selon les élites, doit être le leur.
Alors que jusqu’ici, le paysage universitaire européen était d’une grande diversité culturelle et institutionnelle, il se voit uniformisé dans une perspective globale et géré par des bureaucrates. La tradition intellectuelle des universités européennes doit s’incliner devant une logique comptable qui ne peut que nuire non seulement aux établissements mais également aux autres secteurs de la société. Le nouveau système est autoritaire et antidémocratique. On le planifie au sommet et on l’impose au mépris de l’homme.
Faut-il répéter les erreurs de l’économie dirigée qui ont ruiné l’Union soviétique? La génération actuelle foule-t-elle aux pieds les Lumières européennes uniquement pour mettre au pouvoir une ploutocratie? •

1 cf. Wuggening, Ulf, in: Schultheis, Franz et al. (Hrsg.), Humboldts Albtraum. Der Bologna-Prozess und seine Folgen, Konstanz, 2008, pp. 123 sqq.
2 Rüttgers, Jürgen, Hochschulen für das 21. Jahrhundert, ibid., pp. 141 sqq.
3 Conclusions de la présidence du Conseil européen de Lisbonne, 23 et 24 mars 2000, p. 3
4 cf. Winkin, Yves, ibid. note p. 183

www.horizons-et-debats.ch - 16.11.09

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