Ben Bernanke, le président de la Réserve fédérale, a donné aux citoyens un aperçu de la triste vérité au sujet de leurs perspectives d'avenir. En bref, les entreprises ont découvert qu'elles peuvent se débarrasser des travailleurs et compter sur les progrès techniques et les usines d'outre-mer pour fonctionner avec beaucoup moins d'employés locaux.
Lundi, au Club Économique de New York, Bernanke a déclaré que certaines compagnies étasuniennes pourraient commencer à renforcer leurs effectifs pour satisfaire la demande croissante, mais, a-t-il ajouté, « les autres entreprises, devant les conditions financières difficiles et la pression intense en faveur de la réduction des coûts, ont semblé trouver plus viable des changements qui leur permettent de réduire leur personnel en améliorant le rendement. »
« Dans la mesure où les entreprises peuvent trouver des mesures de réduction des coûts supplémentaires tout en augmentant leur production, elles peuvent retarder l’embauche. »
En d'autres termes, des ouvriers de l’industrie aux employés de bureaux, les citoyens ne seront plus nécessaires. Car, à l'avenir, pour améliorer la productivité, beaucoup d’entreprises se débarrasseront des travailleurs qui restent et transféreront davantage d'emplois à l'étranger.
Cela signifie qu’on peut s’attendre à ce que le chômage reste élevé et les salaires bas, a dit Bernanke.
« Compte tenu de cette faiblesse du marché du travail, la question naturelle est de savoir si nous pouvons avoir, sans emploi, une ainsi nommée reprise, dans laquelle la production croît et l'emploi ne parvient pas à s’élargir, » a déclaré le président de la Fed, en insinuant fortement que la réponse était oui.
« Depuis décembre 2007, en net, l'économie étasunienne a perdu environ 8 millions d'emplois dans le privé, et le taux de chômage a augmenté, passant de moins de 5 pour cent à plus de 10 pour cent, » a dit Bernanke. « Le déclin de l'emploi comme l'augmentation du taux de chômage ont été plus graves que dans toute autre récession depuis la Seconde Guerre mondiale.
« En plus de la réduction de l’emploi, de nombreux employeurs ont réduit les heures des travailleurs qu’ils ont gardé. Ces données suggèrent que l'offre de main-d'œuvre excédentaire est plus grande encore que ne l'indique le taux de chômage seul.
« Avec un marché de l'emploi aussi faible, les entreprises ont pu trouver ou conserver tous les employés dont elles avaient besoin avec des augmentations de salaire minimes, ou même avec des baisses de salaire. La meilleure chose que nous pouvons dire à présent au sujet du marché du travail, c’est qu'il se pourrait qu’il s'aggrave plus lentement. »
Pourtant, alors que l’emploi étasunien est tombé à-pic, la productivité, définie comme la production par heure de travail, est montée en flèche, passant cette année au taux annuel de 5,5 pour cent, a dit M. Bernanke.
Mettez tout ça ensemble et il se pourrait que les citoyens moyens veuillent repenser la façon dont ils perçoivent leur système économique du « marché libre, » maintenant que beaucoup d'entre eux ont réalisé qu’ils sont en trop. Le chômage élevé pourrait aussi provoquer une grande récession, et encore plus de licenciements, puisque, sans emploi, les citoyens ne pourront ni payer leurs traites, ni acheter de nouvelles voitures ou d’autres biens de consommation.
Que faire ?
Dans ces conditions, que peut-on faire ? La réponse évidente, c’est que le gouvernement intervienne en créant directement une infrastructure de travail et encourage le privé à répartir le travail disponible à proximité (et n’expédie plus massivement le travail à l’étranger).
Mais, avec un gouvernement fédéral profondément endetté (merci à George W. Bush pour ses énormes réductions d'impôts en faveur des plus riches et à ses deux guerres à durée indéterminées en Irak et en Afghanistan), il n'y a guère d'argent à consacrer à quelque stimulus économique supplémentaire.
L'administration Obama est ainsi confrontée à un dilemme : soit emprunter plus d'argent, soit augmenter les impôts des riches pour aider à payer les programmes pour accroître l'emploi. Aucune perspective n’est attrayante politiquement, depuis que, avec les Républicains, les « faucons du déficit » de la bande démocrate bloquent tout autre emprunt et que de nombreux politiciens craignent de lever des impôts, même uniquement pour les millionnaires.
Paradoxalement, la crise actuelle pourrait avoir un bon côté, si les Étasuniens optaient enfin en faveur d’une stratégie économique qui augmente l’impôt des riches, qui ont le plus bénéficié des progrès technologiques et de l'expansion du commerce international, et partage les gains de productivité avec plus de gens.
Cela pourrait permettre aux Étasuniens de commencer à profiter de l'avenir, qui semblait être attirant il y a des années, quand les gens pensaient que les machines leur rendrait la vie plus facile, et non pas plus difficile.
Mais beaucoup d’Étasuniens ont été persuadés par la droite et le message néo-conservateur, que tout effort étatique répondant aux besoins intérieurs de la nation est du « socialisme » redouté, et que le premier, sinon l’unique, rôle du gouvernement doit être de dépenser des fortunes dans l'armée pour « assurer la sécurité. »
Ce dogme généralisé résulte de trente ans de tambourinage dans leur tête de la phrase accrocheuse de Ronald Reagan, selon qui « le gouvernement n'est pas la solution à notre problème, le gouvernement est le problème, » un thème répété sans fin par les radios d’information, par Fox News et une foule d'autres médias conservateurs qui dominent le paysage étasunien.
Dans le même temps, la gauche étasunienne a peu fait pour contrer la propagande de droite. Pendant ces mêmes trente ans, les progressistes ont relativement peu investi dans la construction d'un appareil de communication qui puisse rivaliser avec le mégaphone géant de la droite. [Voir « The Left's Media Miscalculation » (Le mauvais calcul médiatique de la gauche) sur Consortiumnews.com.]
Cette asymétrie médiatique a des conséquences dévastatrices pour le processus politique. Dans les années 80, Reagan avait une marge de manœuvre pour essayer d’obtenir le « plein emploi » (big labor) ; dans les années 90, collaborant en triangle avec l'administration Clinton, les Républicains ont fait passer les « accords du libre échange » et de la déréglementation bancaire, et, dans cette décennie, Bush Sr. a réduit les impôts pour les plus riches.
Les résultats sont désormais visibles dans les saisies immobilières, les faillites, l'effritement de l’infrastructure et des villes les plus négligées, comme l’a très clairement montré Michael Moore dans son nouveau documentaire, « Capitalism: A Love Story » (Capitalisme : Une histoire d’amour).
Dans l’impasse
Mais le processus politique et médiatique étasunien actuel ne permet pas d’examiner sérieusement ces problèmes. La sagesse conventionnelle de Washington est toujours façonnée par les puissants groupes de réflexion de l'aile droite et définie par l’immense parc médiatique de droite. Les journalistes des grands médias s’activent surtout à sauver leur carrière.
De nombreux chômeurs, des « Joe le plombier, » répètent comme des perroquets la fureur de la droit à propos de la « guerre des classes, » l’imposition de taxes plus élevées sur les millionnaires. D'autres quidams ordinaires attachent des sachets de thé à leur chapeau et vont à Washington pour participer à des rassemblements antigouvernementaux, organisés en partie par des intérêts privés.
Pendant plusieurs décennies de dissimulation des Néo-conservateurs de Washington, je me suis émerveillé de leur opinion cynique, mais pas complètement fausse, envers le peuple étasunien, à surveiller comme du bétail, parqué, parfois fuyant à la débandade et conduit en fin de compte à l'abattoir.
L’affaire du matraquage publicitaire pour la guerre avec l'Irak fut un merveilleux exemple de la capacité des Néo-conservateurs à utiliser le mensonge et la tromperie pour trouver de jeunes hommes et femmes des petites et grandes villes partout aux États-Unis, qui aillent se faire tuer, et être tué par, les pénibles Arabes du Moyen-Orient, les ennemis favoris des Néo-conservateurs.
La réussite de la propagande des Néo-conservateurs est directement imputable à leur domination de la chambre d'écho de Washington, où, de leurs positions, avec soin, ils rédigent savamment des arguments pour les groupes de réflexion influents, et regardent ensuite comment leurs messages sont amplifiés à travers le pays par les animateurs radio de droite, Fox News, Internet et toute une série de publications imprimées, incluant les journaux grand public comme le Washington Post.
À présent seulement, puisque les files de chômeurs s'étirent, puisque l'assurance médicale est refusée, et puisque les shérifs se présentent avec des avis de saisie, certains Étasuniens sentent la fin de cet étrange voyage, avec l'odeur d'un destin désagréable derrière les portes de l'abattoir.
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