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14/05/2009

Comment légaliser les fichiers policiers ?

Le nombre de fichier policiers répertoriés a augmenté de 70% ces trois dernières années, et le quart des 58 fichiers recensés n’a aucune existence légale : ils ont en effet le “droit” d’être “hors la loi” jusqu’en 2010. Or, la moitié des Français y sont fichés, et, rien que sur ces trois dernières années, plus d’un million y sont toujours considérés comme “suspects” alors même qu’ils ont été blanchis par la Justice. Deux députés viennent de déposer une proposition de loi pour (partiellement) y remédier.

Non à Edvige

Dépassé par l’ampleur du scandale lié au fichier EDVIGE, le Parlement avait chargé les députés Delphine Batho (PS) et Jacques Alain Bénisti (UMP) de lui remettre un rapport d’information sur les fichiers de police.

Adopté (à l’unanimité) le 24 mars 2009, il comporte 57 propositions relevant, pour la plupart, “de mesures réglementaires ou budgétaires, voire de la définition de bonnes pratiques“.

On y découvre qu’il serait ainsi opportun de :

- confier à une “commission” le soin de trouver un moyen pour que le nouveau super-fichier ARDOISE n’hérite pas du “stock d’erreurs accumulées” (plus d’un million, rien que pour ces trois dernières années) dans les fichiers (de police) STIC et (de gendarmerie) JUDEX qu’il doit absorber,

- donner les moyens permettant à la CNIL de traiter les demandes de mises à jour, afin de les réduire à un mois (contre plus d’un an à l’heure actuelle),

- transmettre aux parlementaires en charge du contrôle des services de renseignement les textes relatifs à leurs fichiers (qui ne sont pas publiés au Journal Officiel),

- mettre en place un système d’alerte en temps réel (et non a posteriori, comme c’est le cas aujourd’hui) afin de lutter contre la “tricoche“, du nom qu’on donne au détournement, par des policiers, des informations et données personnelles contenues dans les fichiers (cf aussi ce que j’en disais dans l’émission Dimanche +, sur Canal Plus, ce 10 mai 2009),

- “avertir systématiquement” toute personne risquant de perdre son emploi du fait qu’elle est fichée, afin de lui permettre d’être “entendue, pour exposer son cas“, et non plus l’en informer, après coup, une fois la décision prise,

- “mettre en place une politique de formation adaptée au profit des agents administratifs affectés à l’alimentation des fichiers” (sic : serait-ce à croire qu’ils ne sont pas “formés” ?…),

- “respecter la règle du contradictoire” et verser au dossier des prévenus mis en examen les fichiers policiers les concernant, afin qu’ils puissent les consulter (à l’instar de ceux qui les accusent), et donc se défendre “à armes égales“,

- permettre “à titre provisoire” à la SDIG (le service ayant succédé aux RG) d’alimenter et consulter le fichier des RG, en attendant la création d’EDVIRSP (le successeur d’EDVIGE).

Les fichiers “hors la loi” seront-ils effacés ?

Le constat est sévère. Plus précisément, il est accablant, tout comme le fut, par exemple, les (nombreux) rapports témoignant du délabrement de nos prisons : on ne peut pas, dans un état de droit, dans une démocratie, maltraiter de la sorte les droits de l’homme, non plus que substituer comme c’est le cas la présomption de culpabilité à la présomption d’innocence.

Mais il y a pire : car, et en attendant de connaître les suites données à ces propositions de mise en oeuvre “de bonnes pratiques“, les deux députés notent que vingt-six d’entre-elles nécessitent des mesures législatives. Ils viennent donc de déposer un projet de loi, dont la lecture n’est pas non plus pour rassurer.

En premier lieu, il s’agit en effet de modifier la loi informatique et libertés de sorte que la création d’un fichier policier ne puisse être autorisée sans en passer par une loi. Jusqu’en 2004, tout fichier “de sûreté” ou portant sur la totalité de la population devait en effet être autorisé par la CNIL.

La nouvelle loi informatique et libertés a fait sauter ce verrou : l’Etat doit toujours, certes, saisir la CNIL, mais il n’a plus à tenir compte de son avis, déniant ce pour quoi la CNIL avait pourtant été créée, à savoir protéger les citoyens du fichage policier. Cerise sur le gâteau : cette même loi autorise également les fichiers policiers à être… “hors la loijusqu’en octobre 2010.

Résultat : le nombre de fichier policiers a augmenté de 70% ces trois dernières années, et le quart des 58 fichiers de police “n’ont aucune existence légale“.

Les députés proposent ainsi de “prononcer la destruction des fichiers (illégaux, NDLR) par la loi“, tout en laissant la possibilité au législateur de décider de l’opportunité de les effacer… ou pas.

Une procédure d’urgence devrait par ailleurs permettre de répondre “en temps réel” aux demandes de personnes risquant de perdre leur emploi, ou de ne pas l’obtenir, en raison de mentions erronées dans les fichiers policiers.

La CNIL a en effet découvert qu’un million de personnes, blanchies par la justice, étaient toujours considérées comme suspectes dans les fichiers policiers. Or, dans son rapport sur le contrôle du système de traitement des infractions constatées (STIC), la CNIL estime que plus d’un million de personnes sont concernées par ces “enquêtes administratives de moralité“, qui peuvent leur coûter leur emploi.

L’an passé, 83% des fichiers policiers que la CNIL a été amené à contrôler étaient inexacts, périmés ou erronés… et le tiers des fichiers qu’elle a vérifié, dans une opération de “blind test” portant sur des affaires de stupéfiants, était erroné, faute d’avoir été mis à jour par le ministère de la Justice -censé informer la police des suites judiciaires données aux enquêtes policières, mais qui n’a transmis en, 2007, que 31% des “relaxes”, 21,5% des classements “sans suite“, 7% des “acquittements“, et 0,47% des “non lieux“…

Le successeur d’EDVIGE fichera bien les mineurs, les militants… et leurs “relations

Pour en revenir au fichier Edvige, à l’origine du scandale, et donc du rapport parlementaire, et donc aussi de cette proposition de loi, les deux députés proposent la création (par la loi) de deux nouveaux fichiers destinés à remplacer celui des Renseignements Généraux : un pour le service de renseignement de la Préfecture de Police de Paris, l’autre pour la sous-direction de l’information générale (SDIG), qui a récupéré le quart des effectifs des anciens Renseignements Généraux.

La bonne nouvelle, c’est qu’il ne serait désormais plus possible “d’inscrire dans un fichier les personnes physiques ayant sollicité, exercé ou exerçant un mandat politique, syndical ou économique ou celles qui jouent un rôle institutionnel, économique, social ou religieux significatif“. Exit donc les personnalités publiques.

La mauvaise nouvelle, c’est qu’y seront de toute façon fichés les personnes, groupes, organisations et personnes morales qui, en raison de leur activité individuelle ou collective, peuvent porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, par le recours ou le soutien actif apporté à la violence“… ainsi que “les personnes entretenant ou ayant entretenu des relations directes et non fortuites avec ceux-ci“.

De là à penser qu’il s’agit de fichier les “dissidents“, quels qu’ils soient, ou encore d’inciter les proches de la “mouvance anarcho-autonome“, et autres “bandes” subversives, à cesser de fréquenter ceux qui pourraient être dès lors être fichés… il n’y a bien évidemment qu’un pas.

Le risque ? Voir ficher leurs/vos “signes physiques particuliers et objectifs, activités politiques, philosophiques, religieuses ou syndicales, état civil et profession, adresses physiques et électroniques, numéros de téléphone, photographies, titres d’identité, immatriculation des véhicules, déplacements, informations patrimoniales et antécédents judiciaires“.

Les mineurs de 13 ans, qui avaient eux aussi cristallisés une partie des opposants à EDVIGE ? Leur fichier sera effacé au bout de trois ans… sauf s’ils sont de nouveau fichés, ou que le magistrat (du parquet) en charge du contrôle du fichier accepte de les y maintenir, pendant un ou deux ans supplémentaires, à la demande de ceux qui les ont fichés.

Tout reste donc encore à (dé)faire…

Bug Brother - 13.05.09

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