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14/05/2009

Sortie de crise… Quand, comment et qui paye ?

77.000 demandeurs d’emplois supplémentaires en mars, 444.000 de plus en un an pour la seule catégorie dite « A », c’est-à dire n’ayant aucun travail. Toutes catégories confondues, le chômage en France dépasse maintenant les 3,6 millions de personnes. Des centaines de plans sociaux et des milliers de postes supprimés. Les entrées au Pôle Emploi pour « licenciement économique » ont progressé de 31% en douze mois. ! Les entrées pour fin de missions d’intérim ont augmenté de 16% et de 8% pour les fins de CDD.

La dernière enquête de l'Insee sur le niveau de revenus des Français fait froid dans le dos. Elle révèle que 13,2 % de la population soit 7,9 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté. Ce seuil est fixé à 880 euros par mois pour une personne seule et 1 320 euros pour un couple sans un enfant. Il s'agit d'une véritable explosion puisque lors de l'enquête précédente, on recensait 7 millions de pauvres soit 11,7 % de la population.

Quel bilan ! Nous voilà très loin du « pouvoir d’achat », très loin du « travailler plus… ». Il faut donc croire que les politiques menées jusqu’à présent (et poursuivies avec arrogance) n’étaient pas faites pour cela. En matière d’environnement, lorsqu’il s’agit de remontrer la chaîne des responsabilités, l’on dit que les pollueurs doivent être les payeurs. Dans cette crise due à la cupidité et aux politiques menées durant 30 ans, pour le moment, ce sont les pollués qui payent. Combien de temps encore ?

L’économie vue par des scaphandriers

« A-t-on touché le fond » ? Telle a été la grande question des dernières semaines avant que quelques mauvaises nouvelles sur les banques et sur le recul de l’activité viennent à nouveau refroidir la bouillie médiatique servie chaque jour à la population.

« Toucher le fond » et puis quoi ? Remonter, mais remonter vers quoi ? Qui remonte et qui reste au fond ? Si la métaphore du scaphandrier suffit à remplir quelques éditoriaux, elle reste un peu courte pour appréhender la crise actuelle.

Car le calendrier n’est le même pour tous. L’horizon du rétablissement des profits n’est pas celui du pouvoir d’achat. Le moyen terme n’a pas le même sens pour ceux qui continuent à toucher des dividendes et ceux dont le salaire est bloqué. L’horizon n’est pas le même pour ceux qui considèrent que la crise va purger le marché et permettre de nouvelles concentrations et pour ceux qui voient s’ouvrir une longue période de menace sur leur emploi et ceux dont l’emploi a d’ores et déjà disparu. Alors que la collectivité va devoir éponger durant des années l’explosion actuelle de la dette publique, à moins que cela ne se fasse par le biais d’une forte inflation, quelques secteurs tireront leur épingle du jeu en s’engouffrant dans de nouvelles privatisations et de nouvelles déréglementations sociales. Mauvaise passe pour certains, catastrophe pour les autres. Les grandes fortunes mondiales, qui ont perdu beaucoup d’argent, sauront se refaire très vite, alors que des dizaines de millions de personnes paieront le prix fort sur le long terme.

Le débat actuel sur la sortie de crise n’est finalement qu’un exercice médiatique. La Commission européenne s’attend désormais à un recul de 4% de l’activité économique sur le continent en 2009 (dont plus de 5% en Allemagne le pays le plus industrialisé) et à la perte de 8,5 millions d’emplois. Dans la zone euro, elle prévoit un taux de chômage de 11,5% en 2010 avec des pointes de 20,5% en Espagne et de 16% en Irlande. Et pour le monde entier, les estimations actuelles parlent de 50 millions de chômeurs supplémentaires. L’alchimie complexe des débats sur les subprimes laisse maintenant la place à un champ de ruines sociales.

Rebelote ?

Car cette crise est d’abord une crise sociale puisqu’elle est née d’une exacerbation de la cupidité et non pas de simples mécanismes inhérents à la complexité du monde. Après 20 ans de gloutonnerie en tous genres, d’arrogance de la finance, de partage de plus en plus inégalitaire des richesses, de brigandage collectif légalisé… comment la sortie de crise pourrait-elle ne pas dépendre à nouveau du rapport de force social ? Mais dans quel sens ce rapport de force et qui va payer ? Il n’y a pas d’autre question.

Juste un souvenir : l’ère de l’ultra libéralisme s’est ouverte au tournant des années 80 (en France dès 1984-86) pour prendre toute sa dimension dix ans plus tard. Mais rien de tout cela n’est sorti d’un vaste plan soigneusement concocté. Il s’est agi d’un long processus dont le point de départ a été la récession du milieu des années 70. Même question à l’époque qu’aujourd’hui : qui paye, qui garde la main et qui la perd ? A l’époque, l’issue s’était déjà jouée sur le terrain social bien avant les grandes mesures de dérégulation financières.

Ce retour en arrière de 30 ans, éclaire notre actualité. Certains mécanismes de croissance peuvent mettre deux à trois ans pour réapparaître mais le bras de fer social se joue maintenant. Au-delà d’un certain temps, les leviers de sortie de crise seront totalement dans les mains de ceux qui l’ont provoquée. Il suffit de lire le dernier communiqué de l’OCDE du 28 avril 2009 à propos de la France : « Dès la reprise bien engagée, il sera urgent de mettre en application un programme de réduction du déficit public (…) Il est nécessaire que les réformes du marché du travail soient poursuivies, notamment pour abaisser le coût du travail pour les moins qualifiés et pour accroître la participation des plus âgés (…) Le redressement de la compétitivité passe en premier lieu par une hausse de la croissance de la productivité tendancielle et donc par ses principaux déterminants tels la promotion de la recherche et de l’innovation, ainsi que par la baisse du poids des charges fiscales, sociales et administratives qui freinent la croissance des entreprises ». Rebelote ?

« Moralisation », chiche…

Il aura suffi d’à peine quelques heures de discussion au fameux sommet de Londres du 2 avril et nous nous sommes réveillés un lundi matin en apprenant que le monde avait été « moralisé » ! Et en plus, grâce à l’extrême fermeté de la délégation française, of course. Une conférence éclair qui débouche sur des décisions mesurables à l’échelle d’un siècle : un exploit historique, c’est peu dire !

Mais s’il fallait moraliser, c’est donc que c’était amoral auparavant. Dit autrement, qu’est-ce qui n’était pas moral dans nos sociétés et qui aurait pu contribuer à la crise actuelle ? Pour mesurer le gouffre entre les paroles et les actes, regardons un peu ce qu’il y avait de plus amoral et qui pourtant n’était pas à l’ordre du jour de Londres.

* Selon une étude de la Société Générale, la volatilité des dividendes au cours des vingt dernières années a été moindre que celle des résultats. Le dividende est plus constant que le résultat qui est pourtant sa source. L’actionnaire s’est affranchi très largement des aléas de la conjoncture et des performances de l’entreprise. Dans la société du risque tant vantée par le Medef, le placement spéculatif a réussi à reporter une partie de son propre risque sur l’ensemble de la collectivité. Amoral !
* La part des revenus du travail a plongé au profit des revenus du capital, au point de devoir maintenir une part de l’activité économique par l’accroissement irresponsable de l’endettement des ménages, tout en permettant aux banques d’empocher au passage de copieuses commissions. Amoral !
* Depuis vingt ans les vrais tenants de ce système ont réclamé plus de liberté, plus d’indépendance, plus de marché, moins de réglementation, moins d’impôts. Le plus « drôle » c’est qu’ils l’ont obtenu sur tous les continents. Amoral !
* Il y a les paradis fiscaux dont le sommet de Londres à fait grand cas. Mais, l’Union européenne fonctionne ouvertement comme une zone de libre concurrence des fiscalités avec toutes sortes de mécanismes très légaux pour que les grands groupes échappent un peu plus à leurs responsabilités. Pas besoin de forcément utiliser les Bermudes ou le Costa Rica : EADS qui a son siège en Hollande ne l’a pas fait parce que la « main d’œuvre » y serait moins chère ! Pas plus que Renault pour sa direction financière en Suisse. Pas plus que Apple qui pour ses ventes iTunes en France réussit à payer la TVA au Luxembourg car moins élevée. Pourquoi l’Union européenne, qui a été si rigoureuse sur le niveau d’endettement et de déficit des Etats, a-t-elle été si peu contraignante sur la fiscalité ? Amoral !
* L’Union européenne, fondée sur la libre circulation des capitaux et des marchandises, n’a toujours pas été capable, depuis l’Acte unique européen de 1986 et le traité de Maastricht de 1992, d’unifier un tant soit peu le droit de regard des salariés en cas de restructuration, de licenciement ou de délocalisation. Chaque année la Commission européenne a contribué à grignoter un peu plus les droits les plus protecteurs acquis ici ou là. Amoral !


Moraliser - puisque c’est le terme employé - nécessitait de s’attaquer entre autres à ces cinq anomalies sociales. Moraliser dans les faits et non en paroles aurait consisté à inverser le sens des politiques menées depuis trente ans, celles de la destruction des services publics, du salariat flexibilisé, du grignotage des droits du travail. Moraliser ce ne pouvait pas être seulement l’admonestation de quelques paradis fiscaux, une vague promesse d’encadrement des fonds spéculatifs et le rêve chimérique d’empêcher la finance de contourner régulièrement les mécanismes de contrôle. En Europe, moraliser c’était :

* Mettre en place un secteur bancaire public européen et dominant,
* Lancer un processus serré de convergence des fiscalités (par le haut et non par le bas comme aujourd’hui),
* Relancer les politiques salariales, encadrer les taux de rémunération des actionnaires et des dirigeants.
* Redévelopper les services publics et les politiques sociales,
* Construire une codification étendue du travail européen qui limite la concurrence sociale entre les pays et qui vise une convergence par le haut, etc.


Le festin va-t-il reprendre ?

Rien de tout cela n’est évidemment sorti du G20 de Londres. L’esbroufe de la « moralisation » est une ruse de la pensée libérale, une manière de dire que cette crise est la dernière, qu’on ne les y reprendrait plus, comme cela avait déjà été dit au moment de la bulle Internet en 2000. Une manière de plaider non coupable et de faire porter le chapeau à quelques banquiers anonymes et à leurs traders. Une manière de nier le rôle des politiques et de leur faire jouer maintenant le rôle de redresseurs de tort.

Il s’agit de dissimuler la vérité. Cacher le fait que la crise actuelle n’est que le prolongement du très long conflit social mené depuis trente ans à l’initiative des pouvoirs économiques et financiers. Un conflit social permanent pour accroître la part du profit, pour conforter la rente de ceux qui jouent au casino du rendement et dividende et en reporter le risque sur l’immense majorité. Ce fut bel et bien un conflit social permanent et très souvent remporté par ceux-là mêmes qui aujourd’hui font mine de découvrir les excès de ce monde.

Aussi, ne faut-il pas s’étonner que l’offensive sociale ait besoin à un moment donné de changer de camp. Mais la pendule tourne et le risque est de se retrouver dans la même situation qu’à la fin des années 70, à laisser la main aux mêmes. C’est sans doute le moment clef pour beaucoup de contestations :

* sur le scandale des licenciements par effet de concurrence dont l’essentiel des coûts revient à la collectivité.
* sur le scandale des sous-traitances en cascade qui font que des branches comme l’automobile, les aéroports, les chantiers navals, une bonne partie de la construction permettent de siphonner la marge vers le haut tout en créant des secteurs d’immense précarité.
* sur le scandale d’un système bancaire privatisé, mis en concurrence et déréglementé pour finalement servir à remonter du dividende et à faire vivre une caste.

Si ce n’est pas maintenant que ces questions-là sont posées, de quoi sera faite la fameuse sortie de crise ? L’avenir ne doit pas être comme le passé et le présent.
Apex. - 14.05.09

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