Première opération internationale d’envergure de l’administration Obama, le sommet du G20 à Londres consacre la domination globale de la finance anglo-saxonne. Deux décisions importantes ont été prises : l’augmentation des moyens du FMI et de la banque mondiale, et la « suppression du secret bancaire ». Jean-Claude Paye observe que cette nouvelle règlementation —qui vise en réalité à rabattre l’argent vers les États-Unis— profite aux structures légales anglo-saxonnes de blanchiment : les trusts et les LLC.
D’une part, le G20 a présenté un programme de 1 100 milliards de dollars destiné à soutenir le crédit. L’essentiel a consisté à augmenter les moyens du FMI. Cependant, aucun plan de relance global coordonné n’est annoncé.
D’autre part, les 5 000 milliards de dollars annoncés ne sont rien d’autre que la somme des plans nationaux, c’est à dire une agrégation de mesures différentes [1]. De simples prêts ou des garanties sont comptabilisés. Il y a, à la fois, des dépenses publiques, qui relèvent de la relance et des mesures de baisse des impôts, qui, elles ne se traduisent pas automatiquement par une augmentation de la consommation des ménages, mais plutôt par une hausse de la valeur des actifs financiers.
Comme dans l’ensemble des politiques économiques nationales, l’objectif n’est pas d’entraîner une relance de la machine économique par une augmentation de la demande des ménages, mais de promouvoir une redistribution des revenus, principalement vers le secteur bancaire. Ce processus s’accompagne d’une hiérarchisation accrue du système financier international.
Un révélateur des rapports de forces mondiaux
Ce sommet se révèle comme un instrument de la main-mise anglo-saxonne sur la finance internationale. L’essentiel des travaux a porté sur « la lutte contre les paradis fiscaux ». L’action se fonde à partir de trois listes qui viennent d’être établies par l’OCDE. La première, la liste noire ne comprenait que quatre États, tel le Costa Rica et l’Urugay, des pays n’ayant aucun rapport de force au niveau international. Suite à des engagements « à procéder à des échanges de renseignements fiscaux en fonction de la norme OCDE » [2], ils viennent juste d’être rayés de cette liste, qui, ainsi reste vide. La deuxième, la liste grise, qui comprend les pays « ayant des efforts à faire en matière de coopération fiscale » comprend la Suisse et le Luxembourg, mais aussi, par exemple, la Belgique. La troisième, la liste blanche, celle des pays coopératifs comprend le Royaume-Uni, qui, avec la City possède un des principaux centres offshore du monde, ainsi que quatre de ses « territoires dépendants » : Jersey, Guernesey, l’Ile de Man et les Iles Vierges. Les États-Unis en font évidemment partie et cela sans aucune note désignant les pratiques opaques d’États tels que le Delaware ou le Wyoming [3].
Ainsi, les résultats du G 20 traduisent fidèlement les nouveaux rapports de forces au niveau international. Les États-Unis ont dévoilé leur pouvoir de réorganiser le système financier à leur avantage. L’Union européenne a montré son empressement à soutenir les intérêts anglo-saxons, tandis que la Chine est parvenue à préserver ses paradis fiscaux, Macao, Hong Kong et Singapour. Quant à Israël, il confirme son statut de pure anomie, de territoire placé en dehors du droit et des accords internationaux, puisque, bien que généralement considéré comme un pays blanchisseur d’argent sale, il n’apparaît sur aucune liste, ni la noire, ni la grise, ni la blanche.
Les « trusts »
L’offensive s’est focalisée sur le secret bancaire, présenté comme étant le moyen privilégié de l’évasion fiscale. Lors de leur déclaration finale, les pays du G20 ont même affirmé que « l’ère du secret bancaire est terminée ».
Cependant, actuellement, la moitié du marché offshore se concentre dans les trusts, des créations juridiques anglo-saxonnes, qui ne nécessitent pas de secret bancaire pour pouvoir se mettre à l’abri du fisc. Ce n’est plus un marché de la discrétion bancaire, mais celui des techniques juridiques en ingénierie fiscale. Ainsi, l’évasion fiscale s’est déplacée progressivement vers ces structures légales. Les trusts sont devenus le principal outil de la soustraction fiscale, le substitut le plus efficace au secret bancaire.
Le trust est un véhicule de droit anglo-saxon, qui permet à une personne fortunée de se dessaisir de sa fortune, afin de ne pas en apparaître comme le propriétaire aux yeux du fisc. S’il est « discrétionnaire et irrévocable », la banque qui ouvre le compte peut ne pas exiger l’identité du bénéficiaire. Une personne qui a constitué un tel trust à l’étranger n’est nullement taxée, car elle n’est plus considérée comme propriétaire de ses biens. Quant au bénéficiaire du trust, qui est en principe imposable, son identité n’est pas exigée lors de l’ouverture du compte.
Les îles de Jersey et Guernesey, toutes deux territoires britanniques, sont des juridictions spécialisées dans la constitution des trusts. C’est également le cas du Delaware et des Caraïbes, qui servent de refuge à l’argent « gris » en provenance des États-Unis, ainsi que de Miami, qui accueille aux USA les capitaux latino-américains qui veulent échapper au fisc de leur pays. Singapour, en traitant des fortunes asiatiques ou européennes, a la même fonction [4].
Les grandes banques suisses se sont également lancées dans le marché des trusts. Elles exigent peu d’informations sur les ayants droit économiques de trusts « discrétionnaires et irrévocables », mais elles conservent l’identité du constituant du trust. Les banques anglo-saxonnes pratiquent un usage encore moins contraignant, en ne retenant que des informations sur le contractant, le « trustee », la société de gestion et d’administration du trust. Ce qui leur permet, dans les faits, obtenir une une opacité complète de la personne désirant échapper au fisc. Elles arrivent ainsi à une confidentialité encore plus grande, sans secret bancaire au sens formel du terme. Même si, lors d’une enquête déterminée, les législations obligent ces places financières à remettre les informations sur leur clients, ces dernières ne peuvent fournir des renseignements qu’elles ne disposent pas.
Ainsi, les juridictions anglo-saxonnes disposent d’un avantage substantiel sur la Suisse en cas de disparition du secret bancaire : l’opacité de leurs trusts est plus complète.
Une hiérarchisation du système financier
La Suisse, l’une des principales places financières mondiales, est la cible principale de ce G 20. Il s’agit en fait d’une tentative de réorganisation du système financier international à ses dépends. Les choses sont déjà apparues clairement à travers l’affaire UBS. L’action de l’administration états-unienne contre cette banque helvétique est l’utilisation d’une opération contre l’évasion fiscale de ses nationaux, afin de modifier, à son avantage, les règles de fonctionnement du système bancaire mondial [5].
Les États-Unis et leur satellite des Caraïbes ainsi que les centres offshores sous pavillon britannique, contrôlent chacun un marché de l’« argent gris », presque égal à celui de la Suisse. Suite à l’offensive étasunienne, la Suisse, qui détient encore 27 % du marché du marché de l’épargne mondiale, gérée hors du pays de résidence, pourrait rapidement abandonner le terrain à ses concurrents principaux : le Royaume-Uni et ses îles Anglo-Normandes, l’île de Man et Dublin qui traitent 24 % de ces capitaux, ainsi que New York, Miami, les Caraïbes et Panama qui détiennent 19 % des 7 300 milliards de dollars placés hors frontières. La moitié de cette somme ne serait pas déclarée [6].
Suite à la menace d’être inscrite sur la liste des paradis fiscaux de l’OCDE, la Suisse a ouvert une brèche dans son secret bancaire. Elle va abandonner la distinction entre fraude et évasion fiscales et consentir à l’échange de renseignements, au cas par cas, en réponse aux demandes, concrètes et fondées, des administrations fiscales de pays tiers. Le Luxembourg et l’Autriche, les deux derniers membres de l’Union européenne désirant garder leur secret bancaire ont fait de même. Cependant, il n’a jamais été question, par exemple, d’inclure sur cette liste des États américains comme le Delaware dont les LLC (Limited Liabilities Compagnies) sont soustraites à toute forme d’imposition [7].
Placée dans le contexte de la crise financière, cette opération, sous hégémonie états-unienne, « de lutte contre la fraude fiscale », apparaît bien comme une tentative de la part des États de récupérer des capitaux destinés à financer en partie les aides consenties aux banques et aux assurances. Cependant, tous les fraudeurs du fisc ne sont pas appelés à apporter leur contribution, les plus aisés auront toujours la possibilité de faire appel à l’ingénierie fiscale des trusts afin d’échapper à l’impôt. Cette opération de soustraction fiscale leur sera d’autant facilitée s’ils placent leurs capitaux dans des centre offshores états-uniens ou anglo-saxons, dans des territoires placés sous contrôle direct de la puissance dominante.
[1] « G20 : des promesses à coup de milliards de dollars. Six experts analysent les décisions adoptées dans les domaines clés », propos recueillis par Nicolas Cori et Vittorio de Filippis, Liberation, 3 avril 2009.
[2] « Paradis fiscaux : plus aucun pays sur la liste noire », Le Monde, 7 avril 2009.
[3] « Paradis fiscaux : la liste noire et la liste grise », Libération, 3 avril 2009.
[4] Myret Zaki, « Jersey, les Bahamas, le Delaware et Miami, plus opaques que la Suisse », Le Temps, 9 mars 2009.
[5] « L’affaire UBS : une acte de souveraineté impériale. Lutte contre la fraude fiscale ou main mise sur le système financier international ? », par Jean-Claude Paye, Réseau Voltaire, le 3 mars 2009.
[6] Myret Zaki, « Londres et New York veulent rafler le marché de l’évasion fiscale à la Suisse », Le Temps, 9 mars 2009.
[7] Tax Issues for LLC, United States, Department of the Treasury Internal Revenue Service. Document téléchargeable.
voltairenet
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