Le titre s’étale en “une” du Figaro : “Deux fois moins d’agressions grâce à la vidéosurveillance“. La preuve ? Une étude (non publiée) du Ministère de l’Intérieur -qui s’apprête à lancer (ce vendredi) une campagne de communication sur la “vidéoprotection“-, reposant sur des chiffres (biaisés) révélés par un journaliste* qui ne donne la parole qu’aux seuls promoteurs de la vidéosurveillance… (les intertitres sont du Figaro, ce qui est en gras l’a été fait par moi)
300 communes ont mis en place des systèmes de vidéosurveillance ces dernières années. Selon les chiffres auxquels le Figaro a eu accès, cet outil, combiné avec des actions traditionnelles de police (renseignement, patrouilles…) a permis de faire reculer la délinquance de rue de 48% à Cannes, de 40% à Avignon ou encore de 45% dans les quartiers équipés de Strasbourg.
Nul besoin d’être un grand clerc pour savoir que l’on peut faire dire ce que l’on veut aux statistiques, que tout dépend du corpus, et de la méthodologie. Ainsi, il est tout à fait possible de titrer que la vidéosurveillance a permis de diviser par deux le nombre d’agressions, pour préciser ensuite que ce résultat ne peut se comprendre que combiné avec les “actions traditionnelles de la police“.
La part de responsabilité de la vidéosurveillance ? L’article n’en dit rien. Faute d’avoir accès à l’étude, je m’en réfèrerais donc aux précédentes études menées par des chercheurs universitaires, à qui, je le confesse, j’accorde plus de crédit qu’à un ministère de l’Intérieur.
Or, tous ou presque estiment que, a contrario, la vidéosurveillance est relativement inefficace -au regard des investissements réalisés en tout cas- ou, plus précisément, et pour reprendre l’expression de Noé Le Blanc, qui a compilé un grand nombre d’études universitaires, que “la vidéosurveillance est aussi efficace que des boîtes en carton peintes en noir sur des poteaux“.
Tanguy Le Goff, un sociologue chargé de mission sur la sécurité à l’Institut d’aménagement et d’urbanisme d’Ile de France, vient d’ailleurs de publier, début février, le tout premier “Etat des lieux des évaluations menées en France et à l’étranger“.
«L’intérêt opérationnel de la vidéoprotection n’est plus à démontrer», assure Christian Sonrier, le directeur départemental de la Sécurité publique des Hauts-de-Seine.
Invité par Isabelle Giordano à en parler dans son émission Service Public sur France Inter (pour la réécouter, cliquez-là), Tanguy Le Goff explique que Michèle Alliot-Marie n’a eu de cesse de répéter, elle aussi, pour valider son plan de triplement du nombre de caméras, que “l’efficacité de la vidéosurveillance n’est plus à démontrer“…
Or, et aussi étonnant que cela puisse paraître pour un gouvernement qui se targue pourtant de mettre un terme aux dépenses iraisonnées de l’argent public, aucune étude n’avait jamais, jusque-là, été effectuée à ce sujet (ce que confirme également la revue britannique Surveillance & Society).
Le ministère de l’Intérieur en tire cette conclusion : «Sur cinq ans, dans une tendance générale à la baisse des faits, le volume de la délinquance a diminué presque deux fois plus rapidement dans les espaces vidéoprotégés.»
L’étude de Le Goff est beaucoup plus mesurée : si la vidéosurveillance est efficace, et dissuasive, dans les parkings, ainsi que pour limiter le nombre de cambriolages, vols à la roulotte et vols de voiture, “par contre, la vidéosurveillance n’a strictement aucun effet sur les atteintes aux personnes“.
Son efficacité resterait par ailleurs très “mitigée et limitée” en terme d’élucidation des crimes et délits et, même en matière de dissuasion, “la vidéosurveillance ne produit que très peu d’effet“.
A Londres, le constat est pire : le chef de la police en charge de la vidéosurveillance -qu’il qualifia d’ailleurs de “véritable fiasco“- déplore ainsi que sur l’ensemble des vols à l’arraché commis sur la voie publique, seuls 3% ont été élucidés grâce à la vidéosurveillance. En cause : la démultiplication du nombre de caméras de vidéosurveillance, sans que les moyens humains permettant de visionner les images, ou de les traiter, n’aient suivi.
De Lyon à Mulhouse, en passant par Saint-Germain-en-Laye et Carpentras, pas un des quelque trois cents maires concernés ne regrette d’avoir équipé sa ville de caméras. Le nombre de communes sous protection vidéo devrait même rapidement atteindre les cinq cents en France.
Voire : en mai 2008, un rapport de l’Institut National des Hautes Etudes de Sécurité relevait que “le nombre de communes ayant eu recours depuis 1997 à la vidéosurveillance est évalué à 1142“, et à 1297 si l’on y ajoute les les conseils régionaux, généraux et les Etablissements publics équipés.
La publication de l’étude du ministère de l’Intérieur permettra très certainement de savoir ce que sont devenues les 842 communes manquantes, et l’incidence que leur non-mention a pu avoir dans l’élaboration statistique de l’Intérieur.
En attendant, on ne peut que se contenter de mettre en doute l’affirmation quelque peu péremptoire du Figaro, et s’étonner du fait qu’il ne mentionne pas l’étude de Le Goff, non plus que les nombreuses études britanniques, ou encore le fait, souligné par Isabelle Giordano dans son émission, que certaines villes, telles Boston et Miami par exemple, ont décidé, à contrario, d’abandonner leur système de vidéosurveillance, l’investissement étant bien trop important pour les résultats obtenus.
* On notera enfin que Jean-Marc Leclerc, le journaliste auteur de cet article, est par ailleurs membre du groupe de contrôle des fichiers policiers, une émanation du ministère de l’Intérieur présidée par Alain Bauer, qui préside également la Commission nationale de la vidéo-surveillance, chargée d’”animer” le plan de Michèle Alliot Marie.
Le Monde - 23.03.09
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