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26/03/2009

Non, les Français ne sont pas nuls en économie !


Béatrice Mathieu

Notre sondage montre qu'ils sont moins fâchésavec cette science qu'ils ne le croient. Enquête sur les raisons d'un désamour, davantage façonné par l'histoire et la religion que par l'école.

Voilà une nouvelle qui, dans la grisaille de la récession, devrait réjouir à la fois Christine Lagarde, ministre de l'Economie, et Xavier Darcos, son homologue à l'Education : non, les Français ne sont pas nuls en économie ! On les disait incultes, incapables de comprendre le fonctionnement des entreprises, la confrontation de l'offre et de la demande, les enjeux de la mondialisation... autant d'explications commodes à leur hostilité aux réformes. Un Prix Nobel d'économie, Edmund Phelps, a même été jusqu'à affirmer qu'en relevant le niveau de culture générale des Français, le potentiel de croissance de l'économie serait accru de 3 à 4 % ! Mais voilà, le sondage exclusif réalisé par BVA pour L'Expansion et l'Institut de l'entreprise balaie sans équivoque ces idées reçues.

Non seulement les Français ne sont pas nuls en économie, mais ils arrivent plutôt en tête de la classe européenne, devant les pays du nord de l'Europe, et notamment le Royaume-Uni. Ainsi, dans l'Hexagone, sur la notion de pouvoir d'achat, près des deux tiers des sondés donnent une définition correcte, contre la moitié en Allemagne ou un tiers en Italie. Mieux encore en ce qui concerne le profit d'une entreprise, puisque 93 % des Français interrogés en trouvent un synonyme exact, contre 45 % des Britanniques. Un résultat d'autant plus surprenant que les Français eux-mêmes se trouvent assez ignorants en économie, comme s'ils finissaient par croire ce qu'on leur rabâche depuis des lustres !

Mais quelle autre explication pouvait-on avancer à l'exception française, seul peuple dans tout l'Occident à préférer le socialisme au capitalisme ? Selon une étude réalisée au début de 2006 par l'université du Maryland, seulement un tiers des Français estimaient que le système de la libre entreprise et de l'économie de marché était le meilleur pour l'avenir, contre près des trois quarts des Américains et les deux tiers des Britanniques et des Allemands !

« Pour la plupart des Français, économie renvoie à ultralibéralisme, libre-échange, délocalisations, chômage, précarité, inégalités, dérives financières, des convictions que la crise ne fera que renforcer », décrypte Gaël Sliman, directeur des études de BVA. Un lexique teinté de connotations plus anxiogènes les unes que les autres ! « Les Français ont toujours abordé l'économie sous l'angle de la politique », ajoute Jean-Christophe Le Duigou, l'économiste de la CGT. Au coeur de tous les fantasmes : l'entreprise. Une enquête réalisée l'été dernier par la Fondation nationale pour l'enseignement de la gestion des entreprises (Fnege) révèle ce degré de méfiance. Les personnes sondées ont - encore une fois ! - de bonnes connaissances techniques. Mais lorsqu'elles se trompent, c'est toujours pour donner une image négative de l'entreprise.

A qui la faute ? Une partie du patronat accuse l'Education nationale. « Toutes nos enquêtes montrent que les Français ont en matière de connaissances économiques des besoins non satisfaits », assure Nicolas Bordas, patron de TBWA-France et président du Conseil pour la diffusion de la culture économique (Codice). Sur le papier, l'économie n'est pourtant pas le parent pauvre de l'enseignement. « La France semble être le seul pays à consacrer dans le secondaire autant d'heures aux sciences économiques et sociales », peut-on lire dans le rapport commandé par Xavier Darcos à Roger Guesnerie, professeur au Collège de France.

En Allemagne, l'économie reste une option tout au long des études du second degré. Tout comme au Royaume-Uni, où la matière ne fait plus recette. Le nombre d'élèves ayant passé leur A-level - l'équivalent du baccalauréat - avec une option économie est tombé à 17 600 en 2004, contre un peu plus de 45 000 en 1989 ! Et que penser des Etats-Unis, où les bambins sont dès leur plus jeune âge familiarisés avec l'argent et la consommation ? En 2007, seuls 35 % des Etats obligeaient les élèves à suivre un cours d'économie. En France, la filière ES, qui accueille 43 % des élèves des lycées d'enseignement général, serait donc une spécificité.

« Le hic, c'est les 57 % restants, qui jusqu'au bac n'entendront jamais parler d'entreprise ni de marché, car la matière obligatoire en seconde jusqu'en 1992 est aujourd'hui optionnelle », objecte Philippe Hayat, professeur à l'Essec et président de 100 000 Entrepreneurs. Plus grave, le contenu des programmes et des manuels d'économie conduirait à diaboliser l'entreprise et propagerait une vision négative de la mondialisation. Thibault Lanxade, un jeune entrepreneur président de l'association Positive Entreprise, s'enflamme : « J'ai épluché la plupart des manuels utilisés en classe de seconde et on n'y aborde l'économie qu'à partir de ses dysfonctionnements : le chômage, la pénibilité ou encore les inégalités. Le progrès technique, source de croissance, est à peine abordé. » Des séquelles, probablement, de l'époque où l'économie a fait son entrée au lycée (1966), portée par les maîtres à penser venant tant de l'école des Annales de Fernand Braudel que de l'école bourdieusienne, convaincus que l'enseignement des sciences économiques et sociales au lycée consiste à former des esprits critiques, comme une superéducation civique.

l'Expansion - 26.03.09

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