« Les Irlandais devront revoter » déclarait avec force Nicolas Sarkozy le 15 juillet 2008 après le rejet par le peuple irlandais du Traité de Lisbonne qui reprenait l’essentiel d’un autre traité rejeté lui aussi par les français et les néerlandais en 2005. Les peuples lorsque les gouvernements les consultent doivent voter non pas pour exprimer leur propre volonté mais celle de « leurs » dirigeants. Mais il ne s’agit là que d’un exemple parmi tant d’autres, montrant que la démocratie bourgeoise n’est qu’un concept creux sans réel contenu. Les classes dominantes l’utilisent comme instrument idéologique au service de leurs seuls intérêts de classes.
Effrayés par le « Non » français et néerlandais (les seuls peuples consultés par référendum) au Traité instituant une Constitution pour l’Europe (TCE), les dirigeants européens ont signé le 13 décembre 2007 à Lisbonne un traité qui ressemble étrangement à celui qui vient d’être rejeté. Pendant que les chefs d’Etats ou de gouvernements sabraient le champagne dans le splendide monastère des Hiéronymites, des centaines de milliers de manifestants scandaient dans les rues de la capitale portugaise des slogans hostiles à cette Europe libérale qui se fait contre la volonté des peuples. Ce contraste rappelle un peu une scène de la Ferme des Animaux de G. Orwell où la majorité des animaux regardaient ébahis les cochons faire la fête « (…) et les chopes furent vidées avec entrain. Mais alors que les animaux observaient la scène du dehors, il leur parut que quelque chose de bizarre était en train de se passer. » (1).
La rencontre de Lisbonne n’avait pour ainsi dire qu’un seul objectif : faire passer le nouveau traité sans consulter les peuples concernés. Chaque Etat doit alors se « débrouiller » pour trouver le moyen qui lui permet de faire avaler à sa propre population, sous des apparences démocratiques, la potion très amère d’un traité entièrement au service d’une minorité de nantis. Un seul pays ne pouvait le faire, l’Irlande dont la constitution exige un référendum pour chaque traité européen. Les irlandais furent donc consultés le 12 juin 2008 et comme les français et les néerlandais, ils ont à leur tour rejeté le nouveau traité.
Mais les dirigeants européens méprisent la volonté des peuples. Ils sont d’abord là pour gérer les intérêts de la classe qu’ils représentent. Traités, accords et autres directives doivent, vaille que vaille, passer. Les irlandais doivent donc revoter et re-revoter tant que le « Oui » n’est pas obtenu. Le vote n’a qu’une seule fonction ici, soumettre le peuple à la volonté et aux intérêts de la classe qui l’organise. Il ne faut pas que le peuple déçoive la confiance des dirigeants. Bertolt Brecht disait dans un de ses poèmes « (…) Le peuple avait par sa faute perdu la confiance du gouvernement et que seul un travail redoublé lui permettrait de la reconquérir. Ne serait-il pas encore plus simple que le gouvernement dissolve le peuple et en élise un autre ? ».(2).
Le fonctionnement « très démocratique » de l’Union Européenne n’est, hélas, pas le seul exemple ; l’omniprésence voire l’omnipotence du président de la république et l’absence quasi-permanente du premier ministre des affaires politiques en est un autre. Or L’article 21 de la Constitution du 4 octobre 1958 stipule « Le Premier Ministre dirige l’action du Gouvernement » et l’article 20 de la même constitution précise « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». Force est de constater que ces deux articles sont violés au quotidien par l’omni président Sarkozy. C’est une situation singulière où Mr. Fillon, le premier ministre fantôme, n’est que l’ombre de son maître. Il est réduit à faire quelques apparitions ici ou là pour « radoter » des décisions déjà prises et connues par tout le monde avant de disparaître à nouveau ! Fin décembre 2008, le Premier ministre a « choisi » d’être absent physiquement et politiquement, et ce, pour une durée indéterminée. Il a décidé de prolonger ses vacances de luxe, déjà longues, dans la station balnéaire de Charm el-Cheikh en Egypte.
On est à mille lieux de la constitution, loi suprême source de la légalité et de la légitimité comme disent les juristes. Loi suprême, légalité et légitimité sont des mots qui n’ont de sens que par rapport aux intérêts de la classe dominante qui, seule, possède le pouvoir de les transgresser en toute impunité.
Mr. Sarkozy, lui, décide de tout, nomme les ministres (encore une autre violation de la constitution), marginalise gouvernement et parlement, empiète sur le pouvoir judiciaire, contrôle les grands médias, nomme le président de France Télévisions, surveille tout grâce à sa police et à ses innombrables fichiers, déplace préfets et commissaires sans se soucier le moins du monde des règles et procédures tout simplement parce que le président était chahuté par des manifestants en colère contre sa politique etc. etc.
Ainsi le principe sacré de la séparation des pouvoirs, cher à Montesquieu et garanti par la constitution, celui de la liberté de la presse etc. sont, chaque jour, profanés.
La société française s’enfonce lentement, dans le cadre d’un capitalisme mondialisé et en crise, dans un régime qui n’a de démocratique que la forme, qui paupérise des franges de populations de plus en plus larges, étouffe petit à petit le peu de libertés qui restent encore aux citoyens et réprime toute velléité de résistance.
Mais M. Sarkozy n’est pas seul responsable de cette situation. Il est le fruit des circonstances et des rapports sociaux engendrés par la lutte des classes aujourd’hui en France. Peut-être M. Sarkozy a su profiter de ces circonstances dont il n’est que l’agent inconscient.
Victor Hugo parlait de Napoléon (le petit) en ces termes : « M. Louis Bonaparte a réussi. Il a pour lui désormais l’argent, l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort, et tous ces hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre quand il n’y a à enjamber que de la honte » (3). Sévère réquisitoire ! Mais un réquisitoire qui reste essentiellement moral. Victor Hugo attaquait Louis-Napoléon lui-même rendu responsable de tous les malheurs. Marx, lui, raisonne en termes de classes et de luttes des classes : « je montre comment la lutte des classes en France créa des circonstances et une situation telle qu’un personnage médiocre et grotesque put faire figure de héros » (4).
La France d’aujourd’hui n’est pas celle de 1851 et Nicolas Sarkozy n’est pas Louis-Napoléon Bonaparte. Mais toute tentative d’analyse doit tenir compte du rapport de force actuel.
Les masses populaires, même s’il faut rester très prudent, ont montré à plusieurs reprises quelles sont mûres pour affronter ce pouvoir qui les méprise. La belle et imposante manifestation du 29 janvier 2009 est un signe fort envoyé à la classe dominante. Alors que la situation économique et sociale des plus démunis devient chaque jour plus dramatique, M. Sarkozy, comme à son habitude, à opposé aux revendications des millions de manifestants mépris et arrogance. Par contre, au patronat (une petite minorité), il a, une fois de plus, prodigué quelques milliards d’euros tout en appauvrissant gravement les caisses des collectivités locales (suppression de la taxe professionnelle). Reconnaissante, Mme. Parisot, présidente du MEDEF, s’est félicitée de ce nouveau cadeau : « Bien sûr, c’est une bonne mesure, très compliquée à mettre en œuvre, mais c’est une bonne mesure à condition qu’elle ne soit pas remplacée par un autre impôt qui va pénaliser le même secteur d’activité ». (5)
Les classes populaires, elles, avaient bien compris qu’il n’y avait rien à attendre de ce pouvoir de classes qui se présente pourtant comme le représentant de tous les français. Elles « appellent à poursuivre la mobilisation »(6). Seront-elles entendues par les directions syndicales et politiques ?
Ces quelques exemples montrent que la démocratie bourgeoise, même si elle est utile sur le chemin de l’émancipation de l’esclavage du salariat, non seulement sert les intérêts de la classe dominante, mais surtout permet de les perpétuer en donnant l’illusion qu’elle est la clef de tout changement, capable de réaliser les aspirations les plus profondes de l’immense majorité de la population. Or elle n’est qu’un paravent à la domination économique et, partant, politique.
(1) G. Orwell : « La ferme des animaux ». Gallimard. Folio. Page 150.
(2) Bertolt Brecht « La solution ».
(3) Victor Hugo : « Napoléon le Petit ». Réédité chez Actes Sud (2007) par Jean-Marc Hovasse.
(4) K. Marx. Le dix-huit brumaire de Louis Bonaparte, préface de 1869, p.60
(6) http://www.humanite.fr/Ce-que-veulent-les-Francais-apres-le-29-janvier-notre-sondage-exclusif#nb1
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