Le gouvernement vient de décider une baisse importante des subventions aux associations s’occupant de « conseil conjugal et familial ». Est-ce que les problèmes d’information sur la sexualité, la contraception et l’IVG se posent de façon moins aiguë aujourd’hui ?
Michèle Ferrand. L’augmentation de la scolarisation des filles a amélioré leurs connaissances et on a maintenant Internet. Mais les cours d’éducation sexuelle sont encore très insuffisants, et même si l’on peut souligner la nouveauté du recours à Internet, ce qu’on y trouve est très inégal et souvent favorise les rumeurs. Quant aux médecins, ils sont très peu formés à la contraception (deux ou trois heures dans tout leur cursus) et restent très prescriptifs. Pour la plupart la pilule reste la panacée et ils ne prennent que rarement le temps d’en discuter avec leurs patients. Enfin, dans certaines familles, la sexualité est encore un tabou. Les problèmes d’information continuent d’exister sous de nouveaux habits. Tout est à refaire à chaque génération.
Le Planning familial estime qu’un tiers de ses associations risquent de se trouver dans l’impossibilité de fonctionner. Quelles seront les conséquences, selon vous ?
Michèle Ferrand. On risque de voir augmenter les échecs de contraception et le nombre des avortements. Et surtout les femmes en demande d’avortement, particulièrement lorsqu’elles seront hors délai, seront confrontées à des obstacles encore plus grands. Le Planning familial, c’est quarante ans d’expérience accumulée, c’est la connaissance et le respect des populations, c’est un ancrage dans la vie quotidienne des femmes. Les femmes du Planning ont tissé des liens dans les collèges, les quartiers. Or on sait que pour les adolescentes, comme pour les femmes plus âgées en difficulté, le contact est ce qu’il y a de plus efficace.
Le fonctionnement collégial du Planning est assez exemplaire. Les conseillères discutent des cas entre elles - le film de Claire Simon, les Bureaux de Dieu, montre très bien cela - et l’organisation, à la fois régionale et nationale, permet une véritable formation des intervenants. À l’heure actuelle, le Planning est la structure la plus ouverte pour informer sur tout ce qui a trait à la sexualité, aux rapports homme-femme, à l’homosexualité. Toutes les questions peuvent y être abordées : les violences contre les femmes, les mariages forcés, la virginité, l’homophobie, etc. Et le discours n’y est, du moins en général, jamais normatif. On ne parle pas uniquement du risque : grossesse, sida. On parle aussi de plaisir, de relation. C’est la personne entière qui est prise en charge, pas seulement son problème gynécologique. Il faudrait donc, au contraire, augmenter le nombre des antennes du Planning, mieux informer les jeunes de leur existence, des horaires de fonctionnement. Les fermetures qui s’annoncent risquent aussi d’accentuer les disparités territoriales. Dans certaines régions il existe de bons centres d’IVG et de contraception à l’hôpital, mais ailleurs, c’est souvent le Planning qui supplée.
Certaines femmes risquent-elles d’être davantage affectées ?
Michèle Ferrand. Les plus touchées seront celles qui sont isolées, de la femme immigrée à la jeune fille bourgeoise à qui on ne reconnaît pas le droit à une sexualité adolescente. Cela concernera en premier lieu les jeunes parce que le Planning leur donne accès gratuitement à la contraception. De plus, ses antennes sont discrètes et, détail très important, on peut s’y rendre à deux. C’est un fonctionnement qui permet de toucher largement. Une femme qui s’est rendue au Planning et s’en est trouvée bien en parle autour d’elle. Cela fait boule de neige. C’est un cadre très efficace pour la prévention.
Les conquêtes dans le domaine du « droit à la sexualité » et de l’égalité hommes-femmes sont le résultat de grandes mobilisations, en particulier des femmes. Pensez-vous qu’il y a aujourd’hui des retours en arrière possibles ?
Michèle Ferrand. Nous avons un gouvernement qui ne raisonne qu’à court terme dans tous les domaines. Il réduit les coûts sans penser aux conséquences, y compris financières. Il est certain aussi que le côté clairement féministe du Planning exaspère quelques-unes. Et, dans ce domaine, rien n’est jamais acquis. On l’a vu, pour le droit à l’avortement, en Pologne ou aux États-Unis. Dans notre pays le principe de l’égalité entre les sexes est reconnu par la loi mais dans la réalité on en est loin. Depuis 1995, on assiste à une régression de l’activité des femmes à cause de l’APE (allocation parentale d’éducation) et du chômage. L’écart entre les salaires masculins et féminins qui, depuis les années soixante, n’avait cessé de se réduire recommence à augmenter depuis le milieu des années quatre-vingt-dix. Les femmes effectuent toujours 80 % du travail domestique sauf celles qui peuvent se faire aider par une autre femme. Par rapport aux hommes, elles ont des situations dans l’emploi toujours plus précaires, avec les pires horaires et des salaires moindres. La crise accentue ces formes subtiles de régression. Les conquêtes des femmes sont récentes, il faut veiller sur elles. Et rappeler que tous les acquis féministes sont toujours menacés.
Entretien réalisé par Jacqueline SellemL'Humanité - 07.02.09
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