Emmanuel Lévy
Un rapport parlementaire pointe une fois de plus la fiscalité très douce pour le CAC40 en regard de ce que payent les PME. Mais il est moins connu que 40% de cette maigre enveloppe de 3,5 milliards provient de seulement 4 entreprises (EDF, GDF, France Telecom, Renault) dont l'Etat est encore actionnaire. Les 36 autres ne payent que 3,3 %.
Longtemps, caché, réfuté, c’est désormais un secret de polichinelle, depuis que Christophe de Margerie, le patron de Total l’a publiquement assumé : le plus riche, le plus rentable, le plus gros des groupes Français ne paye pas un centime d’impôts en France. Au delà du symbole, de nombreux rapports, à commencer par celui du Conseil des prélèvement obligatoire, rattaché à la Cour des comptes, ont largement décrit la lente dérive de l’impôt sur les sociétés (IS). Ses travaux avait montré que avec un taux moyen de 8%, le poids fiscal des sociétés du CAC 40 était 4 fois inférieur à celui de la PME du coin.
Le rapport réalisé par Gilles Carrez, députés maire du Perreux (94) et rapporteur général du budget va plus loin en détaillant ce qui se passe à l’intérieur de ce groupe qui prospèrent sous les cieux fiscaux français finalement très favorable. Et l'affaire a fait mercredi 6 juillet la une des Echos. Ensemble ces géants « Les plus grandes entreprises, celles de plus de 2,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires, paient entre 15 et 20 % de l’IS, alors qu’elles réalisent entre 50 et 70 % du chiffre d’affaires », note le rapport. Résultat en trois ans, elles affichaient collectivement 13,5 milliards d’euros d’IS brut dû sur la période d’étude (2007, 2008, 2009).
A ce stade, quatre groupes du CAC ne devaient pas un centime d’impôt. Pire si l’on regarde ce qu’elles payent réellement, c’est à dire l’IS (impôt sur les sociétés) net et pas l’IS brut. Après remboursement des crédits d’impôt de toutes sortes (mais hors crédit d’impôt recherche qui pèse, lui, 4,5 milliards par an pour toutes les entreprises) ce chiffre tombait à 10,5 milliards, soit 3,5 milliards par an. Mais, une fois le crédit d’impôt recherche liquidé, parmi les 120 bilans (40 sur trois ans), 52 affichent un impôts nul ou négatif. Bref ce ne sont plus 4 entreprise à 0 impôt, mais 17 en moyenne!!!!
Plus inquiétant, le député constate que deux groupes parmi les entreprises du CAC40, se distinguent. Les gros contributeurs, et les autres. Et devinez quoi, ce groupe de gros contributeurs composé de EDF, France Telecom et GDF disposent d’un singularité : l’Etat en est actionnaire. Ensemble ces 4 entreprises fournissent 40 % de l’IS. Le rapport indique que, pour les 36 groupes restant, « en enlevant, d’une part, les crédits d’impôt et, d’autre part, l’impôt payé par les 4 groupes dont l’État est actionnaire, l’IS annuel moyen des autres groupes est inférieur à 2 milliards d’euros. »
Petit exemple pour l’exercice 2009 (un des pires, puisque en pleine crise). Cette année là, le CAC40 réalise 1151 milliards d’euros, pour 72 milliards de bénéfices avant impôts. Si l’on exclut à présent les quatre entreprises comprenant des représentants de l’état à leur conseil d’administration, cela donne respectivement 926 milliards et 60 milliards d’euros. Bref 2 milliards pour 60 milliards de bénéfices, soit un taux de 3,3%.
Elle est pas belle la vie? Cependant, les patrons de Total et consort tiennent leur argument. Nous ne faisons pas ou peu de bénéfices en France, répètent-ils en choeur. Il faut les croire sur parole, puisque les rapports annuels se gardent bien de décrire la géographie des bénéfices. En revanche on connaît celle du chiffre d’affaires.
Malicieux, Gilles Carrez fait ce calcul : les 36 groupes (avant remboursement du crédit impôt recherche) ont acquitté en moyenne en impôt 0,4 % de leur 500 milliards d’euros de chiffre d’affaires réalisés en France !!! C’est peu. Et cela laisse entendre qu’en France on fait pas de profits puisque la rentabilité sous-jacente de cette comptabilité ferait de n’importe quel sandwicherie une véritable mine d’or. En effet, imposé théoriquement à 33,3% le résultat implicite de l’activité en France serait de 6 milliards d’euros, soit une marge de 1,2% sur les 500 milliards de chiffre d’affaires. Une misère.
Ainsi Total avec 36 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France, n’a même pas de quoi se payer un carambar avec ses bénéfices. Au contraire, c’est l’Etat qui lui doit de l’argent ! L’exercice 2010 s’étant soldé par une perte de 60 millions d’euros, le pétrolier dispose d’une créance de 20 millions sur l’Etat. Avec une conséquence pour le moins paradoxale : non content d’enrichir les actionnaires du Christophe de Margerie à chacun de leur passage à la pompe, chaque contribuable Français lui doit de surcroit une gâterie supplémentaire, le prix d’un malabar. Allez chiche….
Les petites combines amaigrissantes
Le report illimité des pertes. Limité à cinq ans, le report sur l'exercice futur ne comporte désormais plus de limites. Les pertes réalisées une année peuvent être déduites des bénéfices imposables réalisés les années suivantes, sans limite dans le temps. Les multinationales sont gourmandes de ce dispositif : elles affichent ensemble 315 milliards de pertes stockées, soit l’équivalent d’une créance 53 milliards d’euros qui s’imputera comme bon leur semble sur leur futures impôts sur les sociétés.
L’intégration fiscale. Les gains et pertes des filiales françaises sont consolidés au bilan de la maison mère. Au sein d’un groupe sont donc agrégés les pertes et les bénéfices de toutes les filiales. Coût pour le Trésor: 19,5 milliards d’euros.
La déductibilité des intérêts. Considérés comme une charge, les intérêts d’emprunt pour investissement viennent réduire le résultat d’exploitation. Cela peut s’entendre comptablement : si j’achète une machine outil a crédits, la rentabilité de cette machine est affectée des remboursements. Mais cette disposition est à l’origine d’abus, désignés « sous-capitalisation ». Plutôt que de mettre du capital, des fonds propres, il est en effet loisible pour une holding de jouer la banque. Elle prête à une de ses filiales selon des intérêts artificiellement élevés.
Le régime fille-mère. Une société peut déduire les dividendes versés par ses filiales, y compris celles situées à l’étranger. Gain pour l’ensemble des entreprises: 35 milliards d’euros.
La « niche Copé », ou « Copé-Sarkozy ». Cette disposition fiscale exonère les cessions de participations à long terme, en fait supérieure à deux ans. La « niche Copé » représente 8 milliards d’euros par an. Un rêve pour les fonds dit LBO qui achètent et vendent les entreprises
Le crédit impôt-recherche. Les investissement dédiés à la recherche ouvrent un droit à un crédit d’impôt (un crédit, donne droit à un chèque, si l’impôt est nul). Ils peuvent être interprétés de façon très large (les entreprises ont fait passé des dépenses de marketing, photocopieuses, voir chez certaines banques des modèles mathématiques automatisant la spéculation). Son coût: 4,2 milliards d’euros.
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