La fonction publique hospitalière est une grande « consommatrice » de salariés contractuels. Embauchées parfois en intérim, mais le plus souvent en CDD ou en contrat aidé, les soignantes, car ce sont elles les plus touchées par le phénomène, servent surtout de «variable d’ajustement».
«Presque trois ans et demi de bons et loyaux services et toujours rien, même en ayant accepté d’être baladée d’un service à l’autre…» Aide-soignante, Chantal se sent «piégée» et «dans l’impossibilité de faire des projets d’avenir». Jean, quant à lui, est agent hospitalier en gériatrie. Il multiplie les contrats «depuis six ans» et est «sur le point d’entamer le 21e». «Ce qui signifie : pas d’ancienneté, pas de prime d’été, des vacances au bon vouloir des cadres. Et toujours pas de titularisation en vue.» Embauchée comme infirmière il y a un an et demi «en CDD quasiment à l’échelon débutant», Christiane, cinquante-cinq ans, s’est vu signifier qu’elle ne devait «rien attendre» étant donné qu’elle «a passé l’âge de rentrer dans la fonction publique hospitalière». Quand on parle de précarité à l’hôpital, on pense immédiatement aux patients en détresse sociale et financière. On oublie trop souvent que la fonction publique hospitalière est un des grands employeurs de précaires sous toutes ses formes : contrats à durée déterminée (CDD), contrats aidés, intérim…
«Si le recours au travail précaire est massif dans l’industrie, (…) il demeure mal connu et pourtant répandu dans le secteur tertiaire, en particulier dans le milieu hospitalier. Les établissements de santé font en effet appel à des travailleurs temporaires volants, afin de combler un manque chronique de personnel soignant», explique Sophie Divay, sociologue au Centre d’économie de la Sorbonne. Les raisons ? «Une combinaison de facteurs multiples», répond la sociologue : le passage aux trente-cinq heures, les absences, souvent liées à l’alourdissement de la charge de travail, mais aussi les restrictions budgétaires qui supposent des suppressions de postes. «Les personnels précaires sont utilisés comme des “variables d’ajustement”, leur grande flexibilité d’emploi laissant toute liberté à l’employeur d’adapter ses effectifs aux besoins du moment», souligne Sophie Divay.
Mais combien sont-ils, ces précaires ? Difficile de répondre tant les chiffres sur les effectifs hospitaliers restent lacunaires. Cependant, selon le dernier rapport sur l’état de la fonction publique 2009-2010, la part des agents non titulaires dans la fonction publique hospitalière est passée de 9,6% des effectifs en 1998 à 14,6% dix ans plus tard, ce qui représente une augmentation de 5%. Et cette hausse semble particulièrement forte sur les deux dernières années : +6,5% entre 2006 et 2007, et +5,9% entre 2007 et 2008. Au total, quelque 152 100 non titulaires ont ainsi été recensés. Un chiffre «très certainement sous-estimé car il ne prend pas en compte le personnel employé sous contrat aidé, dont les hôpitaux font largement usage», nuance néanmoins Sophie Divay. Une pratique que laisse en effet apparaître le rapport du gouvernement, celui-ci indiquant que 57% des non-titulaires étaient embauchés en CDD en 2008. La sociologue a d’ailleurs constaté que des divisions existaient au sein de cette population : les personnes qui signent un CDD tous les mois sont en effet plus fragiles que celles bénéficiant d’un contrat aidé type CAE (contrat d’aide à l’emploi), qui sont assurées de travailler au moins un an.
Autre enseignement sur les contractuels, le recours aux non titulaires le plus fréquent intervient dans les hôpitaux locaux : 24% du personnel y sont non titulaires. «Plus l’hôpital est petit, plus il est amené à être demandeur de personnels remplaçants, car il dispose de moins de souplesse du fait des effectifs plus restreints», affirme Jerrick Develle, directeur général d’Adecco Medical, société de travail temporaire spécialisée dans le recrutement et l’intérim médical et paramédical. Souvent, d’ailleurs, dans les petits établissements, la catégorie des aides-soignantes (AS) et des agents de service hospitalier (ASH) compte autant d’agents titulaires que de remplaçantes. Donc, une proportion importante de précaires.
Après avoir mené une enquête de terrain dans un hôpital local de province, Sophie Divay a, à ce sujet, pointé une «double précarisa- tion» : «précarisation de l’emploi, d’une part, à travers l’embauche systématique de nouvelles recrues en contrat à durée déterminée ou en contrat aidé, sans garantie de titularisation ; et précarisation du travail, d’autre part, due au déséquilibre induit par la présence constante de remplaçantes, dont le fort turnover bouleverse l’organisation du travail, la définition des tâches et les relations entre agents».
Pour cette chercheuse, le recours à un personnel précaire n’est pas sans effet sur l’organisation dans les unités de soins. Elle va même plus loin, reprenant les théories de Pierre Bourdieu : «Les remplaçantes étant aux prises avec une “misère de condition” subie à travers l’insécurité de leur situation d’emploi et les faibles revenus qu’elle génère ; les titulaires appartenant à la catégorie du “petit personnel”, méprisé ou invisible, qui les enferme dans une “misère de position” au sein d’une institution très hiérarchisée. Avec l’instauration des nouvelles règles de gestion des plannings, les conditions d’emploi de ces agents s’en trouvent grandement détériorées, au point qu’il ne leur reste plus que l’assurance de garder leur emploi. Dans le même temps, les remplaçantes risquent de s’enfoncer dans leur misère de condition, renvoyées sur le marché du travail où elles seront peut-être obligées d’accepter des emplois de plus mauvaise qualité que les CDD renouvelables d’un mois que leur proposait l’hôpital.»
Avec les suppressions d’emplois prévues dans le cadre des plans de retour à l’équilibre des comptes des hôpitaux, la situation ne va sans doute pas s’améliorer pour les «précaires du care».
1 comentário:
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A bientôt
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