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13/01/2010

Démocratisation de la culture : fin... et suite ?

Depuis sa création, une des principales missions du ministère français de la culture est de promouvoir un meilleur accès à la culture. Selon Olivier Donnat, sociologue et auteur du rapport sur les pratiques culturelles des Français, cet objectif de démocratisation a été peu à peu oublié sans que celui-ci soit atteint. Article extrait de Culture et société : un lien à reconstruire, sous la direction de Jean-Pierre Saez, Editions de l’Attribut, 2008.

Le ministère français des affaires culturelles, quand il fut créé en 1959, s’est vu confier comme principale mission de « rendre accessible au plus grand nombre les œuvres capitales de l’humanité et d’abord de la France », ce qui plaçait d’emblée la question du public au cœur de la politique culturelle. Pendant de longues années, le projet de démocratisation a servi de légitimation à l’action des pouvoirs publics en matière culturelle : élus en charge de la politique culturelle, responsables d’établissements, artistes, etc., tous faisaient référence – certes avec plus ou moins de lyrisme ou de conviction – à l’exigence de démocratisation pour justifier leurs choix ou préciser le sens de leur action. Puis, le vent a tourné, le souffle de l’histoire est passé et ces dernières années, le terme a totalement disparu de la rhétorique ministérielle au profit d’autres thématiques, celle de la diversité culturelle notamment.

Il ne peut être question ici de revenir sur les dimensions contradictoires du projet initial de démocratisation ni sur le foisonnement d’initiatives du début des années 80 qui a contribué à l’engloutir [1], mais simplement de constater que la politique culturelle a progressivement « oublié » ses missions touchant à l’élargissement de la demande au profit de celles relatives à la création et à l’aménagement culturel du territoire. Le projet de démocratisation a peu à peu quitté l’horizon de la politique culturelle, sans que personne n’assume explicitement la responsabilité de cet abandon ni ne procède à un examen précis des raisons qui le justifiaient. Faut-il en déduire que les inégalités d’accès à l’art et la culture ont été réduites ou que les questions soulevées par la problématique de la démocratisation ont été résolues ?

Je pense au contraire que la « question du public » reste pleinement d’actualité. Même si on laisse de côté le caractère messianique du projet initial de Malraux et les arguments d’ordre éthique ou social qui constituaient le fondement de la politique de démocratisation pour s’en tenir aux seuls arguments financiers ou économiques, demeure une vérité que beaucoup cherchent à fuir : la survie de pans entiers de la vie culturelle – et donc des artistes et des œuvres – passe par l’élargissement des publics qui y accèdent. C’est pourquoi une des conditions - nécessaire quoique insuffisante - à la refondation de la politique culturelle [2] que tout le monde semble appeler de ses voeux réside dans notre capacité à renouveler la « question du public » et à lui trouver des réponses qui tiennent compte des nouvelles conditions d’accès à l’art et la culture liées au numérique mais aussi de l’état des inégalités aujourd’hui dans la société française [3].

Oublier ou refonder l’exigence démocratique ?

Bien sûr, on aura beau jeu de rappeler qu’il y a toujours eu un écart considérable entre la grandiloquence des discours et la réalité des moyens humains et financiers effectivement mis en œuvre. Ceci n’est pas contestable : même au temps des plus grandes envolées lyriques sur les maisons de la culture, le ministère de la culture n’a consacré qu’une faible part de son budget à la réduction des inégalités de l’accès à l’art et à la culture. Il n’en reste pas moins que la problématique de la démocratisation permettait de maintenir une tension entre les deux séries de missions poursuivies par les pouvoirs publics en matière culturelle, celles qui concernent l’offre culturelle et la qualité de la création d’une part et celles qui touchent à la question des publics d’autre part. La vertu essentielle de ce dispositif rhétorique, outre le fait qu’il mettait en débat la question des inégalités d’accès à l’art et à la culture, était de poser comme une évidence le fait que « l’offre entraîne la demande » et ainsi de lier les objectifs relatifs à l’offre et ceux portant sur l’élargissement de la demande.

Or, le bilan du demi siècle qui vient de s’écouler est sur ce point sans ambiguïté : la relation offre/demande n’a rien de mécanique, l’entreprise de soutien aux professionnels et aux institutions artistiques et celle d’élargissement ou de diversification des publics ne sont pas indissociablement liées. Autrement dit, les objectifs relatifs à l’offre culturelle (soutien à la création, mise en valeur du patrimoine, création d’équipements...) et ceux relatifs à la demande, qui ont été longtemps pensés comme les deux volets d’un seul et même projet, sont en réalité largement autonomes ; les uns et les autres sont également légitimes, mais la poursuite des premiers ne garantit en aucune façon la réalisation des seconds.

Dès lors, l’alternative est claire.

On peut être tenté tout d’abord d’abandonner – en le disant ou sans le dire… - tout projet de lutte contre les inégalités d’accès à l’art et à la culture et considérer que le projet de démocratisation de la culture relevait, certes, d’une noble ambition mais qu’il était totalement irréaliste car trop ignorant des mécanismes sociaux produisant le « désir de culture ». Pourquoi, après tout, ne pas prendre acte de l’impuissance de l’action culturelle à remédier aux inégalités sociales entravant l’accès à l’art et la culture et accepter de tourner la page en privilégiant sans culpabilité les objectifs de la politique culturelle relatifs à l’offre ? Cette position, que défend par exemple P.Urfalino [4] quand il encourage les décideurs culturels à rompre avec une grandiloquence qui n’est plus de mise à un moment où l’Etat doit apprendre à se faire modeste, présente l’avantage de la cohérence : les discours sont enfin en accord avec la réalité des budgets, et en passant d’une légitimation de l’action des pouvoirs publics structurée autour de la thématique de la démocratisation à un discours auto-centré sur les conditions de création et de production des biens culturels, la politique culturelle atteint l’âge de raison. Mais, il faut bien reconnaître qu’elle a pour principal inconvénient de pas être facile à tenir (au moins publiquement...) dans un régime démocratique [5].

On peut, à l’inverse, rester fidèle à l’exigence qui était au fondement de la politique culturelle et rechercher, à la lumière des enseignements qui peuvent être tirés du passé, un équilibre politiquement et moralement acceptable dans une démocratie entre les missions relevant du soutien à l’offre et celles relatives à l’élargissement de la demande. Une telle orientation est aussi, bien entendu, difficile à tenir car elle implique un redéploiement des moyens financiers, sauf à imaginer un doublement du budget consacré à la culture, comme cela avait été le cas en 1982. A budget constant, toute politique de rééquilibrage ne peut que heurter des habitudes acquises et réduire les « marges artistiques » à un moment où les milieux concernés attendent au contraire leur augmentation.

Qu’on nous comprenne bien : en se situant dans une telle perspective, il ne s’agit pas de céder aux charmes de la nostalgie ou de lancer un vibrant appel pour qu’on revienne à un quelconque âge d’or. Si, comme nous le pensons, le demi-siècle de politique culturelle qui s’achève nous oblige à rompre avec l’illusion qui était au fondement du projet de démocratisation, le défi à relever pour tous ceux qui n’ont pas abandonné toute ambition en matière d’élargissement de la demande peut se formuler ainsi : quelles révisions faut-il opérer pour continuer à faire vivre l’idéal d’égalité qui fondait le modèle de la démocratisation, tout en tenant compte des profondes mutations intervenues depuis le début des années 60 tant au plan économique, politique, social que des conditions de production et de diffusion de la culture ? Ou pour dire les choses plus directement : quelles sont les principales inflexions ou ruptures que réclame un rééquilibrage de la politique culturelle en faveur des questions relatives à la demande ?

Je propose d’apporter quelques brefs éléments de réponse personnels à cette interrogation, en évoquant successivement les trois principaux leviers susceptibles de faire évoluer les conditions de production du désir de culture : l’éducation artistique et culturelle, la politique des établissements culturels en direction des publics et la « culture à domicile ».

En finir « vraiment » avec la démocratisation

D’abord, sans succomber aux charmes du paradoxe, on est tenté de penser que l’abandon du terme de « démocratisation » constitue aujourd’hui une des premières conditions pour mener une politique plus efficace en matière d’accès à l’art et à la culture. Renoncer à ce terme qui a trop servi permettrait d’abord d’éviter les amalgames et les confusions coupables : l’augmentation de la fréquentation des équipements, la conquête de nouveaux publics et la fidélisation des publics en place par exemple ne sont pas des objectifs équivalents ou complémentaires, mais différents ; ils demandent par conséquent à être explicitement distingués et réclament la mise en œuvre de stratégies spécifiques. Abandonner le terme de “ démocratisation ” au profit d’objectifs plus précis peut par conséquent aider à séparer les finalités relatives à l’offre culturelle et celles relatives au public. Cela permettrait de déchirer l’épais écran de fumée qui trop souvent recouvre les objectifs réellement poursuivis et empêche une réelle évaluation des actions menées. Cela serait aussi une manière d’admettre non seulement le caractère formel du principe d’égalité au fondement du projet de démocratisation mais aussi le fait que la politique d’offre qui est menée peut produire des effets d’aubaine contraires au principe d’équité. Le temps n’est-il pas venu de tirer les enseignements du constat répété, enquête après enquête, que les citoyens ne sont pas tous égaux devant l’art et que la politique culturelle, si on se fie au profil socio-démographique des publics qui en profitent le plus, relève plutôt d’une redistribution à rebours ? Dès lors, pourquoi ne pas admettre que la diversification des publics de la culture passe nécessairement par des actions soigneusement ciblées et pleinement assumées comme telles [6], puisque chacun sait bien que chercher à « convertir » les personnes les moins portées vers l’art exige plus de temps, d’énergie et de pouvoir de conviction et par conséquent réclame plus de moyens ?

Toutefois, la clarification sémantique que permettrait un usage raisonné des termes de fidélisation, de diversification et d’élargissement des publics à la place de celui de démocratisation risque d’être insuffisante, si elle ne s’accompagne pas d’une profonde remise en cause de toutes les représentations qui tendent à survaloriser le pouvoir des œuvres et des artistes. Beaucoup d’acteurs de la vie culturelle continuent en effet à croire en la capacité "naturelle" d’attraction des œuvres et/ou des artistes, ce qui est toujours une manière de méconnaître les mécanismes réels à travers lesquels naît le désir de culture, et restent de ce fait convaincus que les personnes auxquelles ils s’adressent sont prêtes à adhérer aux modèles qu’ils leur proposent : à leurs yeux, le désir de culture est toujours là, présent bien que muet, tapi derrière les « mauvaises habitudes » (la télévision, la routine ou les mentalités qui - on le sait - évoluent toujours lentement…) ou contenu par des contraintes matérielles (le prix, l’éloignement de l’offre, etc. ..) qu’il suffirait de lever pour que la « révélation » opère.

Personne n’a en réalité totalement rompu avec le modèle initial de l’action culturelle, et l’hostilité manifestée à l’égard de ceux ou celles qui s’y sont risqués [7] en dit long sur les résistances idéologiques qui empêchent aujourd’hui encore de s’affranchir des illusions qui étaient au fondement du projet de démocratisation. Il suffit d’analyser les discours autour des expériences de résidence d’artistes ou d’interventions en milieu scolaire pour se rendre compte que le mythe de la révélation perdure, même s’il prend désormais des formes plus diffuses qu’au temps de Malraux. Bien entendu, il n’est pas question de nier que le désir de culture puisse naître de l’émotion surgie à l’occasion d’une rencontre avec un artiste ou une œuvre, ou de contester l’existence de ces expériences « miraculeuses » qu’aiment rapporter les professionnels de la culture : un élève immigré de milieu défavorisé devenu grand lecteur après avoir découvert la littérature à la bibliothèque, un jeune apprenti ébloui par la peinture classique lors d’une visite scolaire, etc. Il s’agit simplement de rappeler que de tels cas de conversion à l’amour de l’art demeurent statistiquement peu fréquents car liées à des trajectoires personnelles particulières ou à des circonstances exceptionnelles, et qu’il est par conséquent difficile d’imaginer qu’on puisse les généraliser, même en faisant l’hypothèse que tous les artistes sont soucieux de faire partager leur expérience, et dotés de surcroît des qualités humaines ou pédagogiques pour le faire.

L’observation des faits oblige à faire le deuil du mythe de la révélation et à reconnaître que le désir de culture comme le plaisir éprouvé au contact des œuvres, loin d’être spontanés et universels, font souvent partie du legs hérité de son milieu familial : l’un comme l’autre renvoient, sauf exception, aux conditions de socialisation des personnes concernées et à leur environnement social immédiat. Admettre cette vision des choses conduit évidemment à voir dans l’éducation artistique et culturelle le seul véritable levier de transformation des conditions de production du « désir » de culture et à déplorer la place trop modeste que lui accorde en France le système scolaire. On sait que cette question figure en bonne place dans l’agenda politique depuis les années 80 : plusieurs plans nationaux se sont succédés sans que les moyens nécessaires à leur mise en œuvre soient toujours dégagés, en partie pour des raisons liées à l’histoire tumultueuse des relations entre les ministères de la culture et de l’éducation nationale. Notre propos n’est pas ici de revenir sur cette question, mais juste de souligner qu’à nos yeux l’objectif d’une telle politique, loin de se limiter à la seule promotion de l’offre proposée par les institutions culturelles dans une perspective de formation des « spectateurs de demain » ou à la stimulation du potentiel créatif des enfants et adolescents, doit concerner l’ensemble de la production culturelle d’hier et d’aujourd’hui, dans toute sa diversité. Comment l’éducation artistique et culturelle pourrait-elle aujourd’hui esquiver les débats sur le statut désormais incertain de l’œuvre d’art et sur la pluralisation des instances de légitimation en restant prisonnière d’une conception de la culture limitée aux seules grandes œuvres de l’art et de l’esprit, définie en opposition par rapport aux produits culturels marchands [8] ? Et surtout comment pourrait-elle faire l’impasse sur le rôle que jouent dans notre société les « usines du rêve » pour parler comme Malraux ?

Loin de nous l’idée de contester la nécessité de transmettre les références nécessaires à la compréhension des œuvres de la culture classique à des jeunes générations de moins en moins armés pour les « lire » en raison du recul concomitant des humanités dans les programmes scolaires et de la religion dans l’éducation familiale ; loin de nous aussi l’idée de nier que la création contemporaine, plus que tout autre forme d’expression, appelle un travail d’explicitation et de sensibilisation préalable pour être appréciée comme oeuvre, qu’il s’agisse d’arts plastiques, de musique, de théâtre ou de danse. Il est en effet plus que jamais indispensable que les politiques éducatives intègrent ces dimensions, mais à condition de les inscrire dans le contexte qui est le nôtre aujourd’hui, à savoir celui d’une société dominée par les médias et les industries de la distraction où le statut symbolique des œuvres et des produits culturels est devenu plus incertain. Qui aujourd’hui en effet peut prétendre ne pas ressentir un certain embarras au moment de définir ce qu’est une œuvre d’art ou un produit culturel ? La logique interne de l’art contemporain qui pousse à s’interroger sans cesse sur la frontière entre art et non art, la tendance au métissage artistique observée dans plusieurs formes de spectacle vivant (danse contemporaine et hip hop, nouveau cirque…), la programmation de plus en plus éclectique des lieux de spectacle, la patrimonialisation d’objets ou de lieux considérés auparavant comme ordinaires, l’accentuation du caractère évènementiel de la politique culturelle, etc., tout cela rend particulièrement redoutable l’exercice consistant à définir les contours du monde de l’art ou à situer les genres artistiques les uns par rapport aux autres à l’aune des critères qui, il a encore quelques décennies, servaient à distinguer les arts majeurs des arts mineurs. Et ceci d’autant plus que cela fait maintenant longtemps que se développent au sein de l’espace domestique de nouveaux rapports à l’art et à la culture. Avec la diversification de l’offre télévisuelle et l’arrivée d’internet, il est devenu absurde de réduire la culture médiatique aux émissions les plus populaires des grandes chaînes hertziennes et aux grands succès de l’industrie du divertissement. En réalité, les contenus des médias et des industries culturelles constituent aujourd’hui une source essentielle d’informations, de connaissances et de modèles référentiels qui participent activement à la représentation de la réalité : les livres, les films, mais aussi les chansons de variétés, les séries télévisées, les émissions de télé-réalité, les blogs, etc. alimentent en permanence une sorte de supermarché mondialisé des biens symboliques, où les adolescents puisent des manières d’être et de paraître, mais aussi des éléments de discours qui les aident à exprimer ce qu’ils pensent, ce qu’ils ressentent ou ce dont ils rêvent ; en un mot, la profusion de produits culturels permise par la diversification de l’offre et des moyens de diffusion - des chaines de télévision généralistes aux sites internet les plus « personnalisés » - constitue une source permanente de ressources identitaires que les adolescents utilisent de manière privilégiée pour signifier leur appartenance à des groupes de pairs, tout en revendiquant leur statut d’individu singulier et en se vivant comme tel. C’est pourquoi l’éducation culturelle a un rôle décisif à jouer dans ce que M. Gauchet appelle la formation de l’individualité [9] : dans une société de l’hyper-choix où le formatage des préférences opéré par la publicité va croissant à mesure que celle-ci participe de plus en plus directement à la diffusion des produits culturels et dans un contexte médiatique où la circulation des informations et des marqueurs identitaires est toujours plus rapide, il est devenu essentiel de doter chacun des ressources permettant de maîtriser les flux d’images, de sons et de textes, de donner sens à l’ensemble des phénomènes culturels en les inscrivant dans une perspective historique, et au final d’exprimer ses préférences culturelles « en connaissance de cause ».

Faire de l’éducation artistique et culturelle une priorité de la politique culturelle ne doit pas toutefois être une habile tactique pour décharger les établissements culturels de toute responsabilité en matière de formation et de diversification des publics, et se dérober devant la question des moyens effectifs qu’ils mobilisent pour atteindre les publics qui ne constituent pas leur cible « naturelle ». En effet, un rééquilibrage de la politique culturelle en faveur de la demande passe aussi nécessairement par une attention plus soutenue dans les établissements culturels aux questions relatives à la diffusion des œuvres et la mise en œuvre d’une « véritable » politique de développement des publics.

Maîtriser les outils du marketing au service d’une diversification des publics

La mise en œuvre d’une telle politique, qui dépasserait les déclarations d’intention et les expériences ponctuelles sans lendemain, constitue à l’évidence un défi de taille. En effet, combien de lieux de spectacle vivant ou de musées [10] ne disposent d’aucune structure en charge des publics ou, quand elles en ont une, considèrent leur activité comme un simple volet de l’activité de communication, confondant « relations publiques » avec « relations avec le public » ? Quelle est la proportion d’établissements culturels disposant d’un personnel qualifié capable non pas de « faire du marketing » mais d’utiliser efficacement les outils du marketing au service des missions figurant à leur cahier des charges ? Par exemple, pour s’en tenir à des considérations très opérationnelles, combien d’entre eux tirent pleinement profit des potentialités offertes en matière de connaissance des publics par les logiciels de vente de billets ou de gestion des abonnements ?

Réintroduire avec force la problématique du public dans le jeu de la subvention sans tomber dans les facilités du discours sur la démocratisation commence par une meilleure connaissance des usagers des équipements, de leur profil, de leurs comportements et de leurs attentes, mais aussi de ceux qui ont cessé de venir (les abandonnistes) et ceux qui ne sont jamais venus (le « non public »). La nécessité de « connaître ses publics » est depuis longtemps déjà une figure rhétorique obligée pour la plupart des responsables culturels, mais dans bon nombre de domaines, notamment celui du spectacle vivant, les intentions sont loin de se traduire toujours en actes. Certains dénoncent la production de chiffres comme une capitulation devant la logique de l’audimat qui mettrait en avant les préférences du « grand public » pour mieux étouffer le pouvoir des programmateurs ou entraver la liberté des créateurs, sans toujours échapper d’ailleurs à la peur de la démocratie finement dénoncée par J. Rancière [11] ; d’autres continuent à parler du public de leur établissement au singulier, comme d’une entité abstraite, ou parlent des publics au pluriel à travers des catégories idéologiques et/ou administratives (les jeunes, le grand public,...) sans interroger leur pertinence dans le contexte qui est le leur ; d’autres enfin se risquent sur le terrain des enquêtes mais comme à regret, avec des préventions qui ne tiennent pas seulement au caractère souvent littéraire de leur formation, évoquant tantôt le risque que les résultats soient répétitifs, routiniers, bref qu’ils n’apportent rien qu’on ne sache déjà, tantôt le risque qu’ils révèlent ce qu’il est préférable de taire pour ne pas fournir d’armes à ses adversaires (réels, potentiels ou imaginaires....). Au final, rares sont ceux qui se donnent les moyens de développer une réelle approche par la demande en recrutant des professionnels compétents, maîtrisant sans tabou mais sans fascination les outils du marketing, et en dégageant des budgets suffisants pour mener à bien des études « scientifiquement correctes » sur les problématiques qu’ils auraient eux-mêmes définies en fonction de l’offre qu’ils proposent et du contexte social dans lequel celle-ci s’inscrit. De même que sont peu nombreux ceux qui surmontent les préventions anciennes des milieux culturels à l’égard de toutes mesures visant à soutenir la demande – on pense notamment aux chèques culture – toujours suspectées de préparer plus ou moins directement un désengagement des pouvoirs publics au niveau de l’aide à la création.

Et pourtant, la description de la réalité constitue un passage obligé avant la définition des actions à mettre en place pour tenter de la modifier : les études sont là pour aider à poser un diagnostic et engager une réflexion sur les objectifs à poursuivre et bien entendu sur les stratégies les plus appropriées pour les atteindre. S’agit-il de fidéliser les publics en place ? d’élargir le cercle des amateurs en cherchant à attirer les personnes dont les propriétés sociales les portent à venir ? de rechercher une diversification en partant à la conquête de nouveaux publics ? ... On sait qu’une fois les objectifs définis, la palette des registres d’intervention dont dispose tout responsable soucieux de faire évoluer le profil du public de son établissement est particulièrement riche : choix des horaires, politique tarifaire, politique de communication, conditions de réservation et d’accueil, actions de sensibilisation auprès de populations-cible…Tout le travail d’un service en charge du développement des publics consiste précisément à maîtriser l’ensemble de la chaîne des décisions qui pèsent sur la réception de l’offre et à rechercher la combinaison optimale en jouant sur les différents leviers possibles. Bien entendu, il n’existe pas de recette miracle : aucune mesure ne peut prétendre transformer radicalement les conditions générales de production du désir de culture, mais toute action entreprise en matière de communication, toute modification de la politique tarifaire ou des conditions d’accueil, etc.. peut contribuer à faire bouger les lignes, toute initiative peut rapprocher de l’objectif poursuivi mais ... aussi générer des effets d’aubaine qui éloignent de cet objectif [12].

La fonction première de la médiation culturelle est de permettre au plus grand nombre de s’approprier les œuvres mais aussi de veiller à toutes les dimensions, autres que la qualité de l’offre artistique ou culturelle en elle-même, qui concourent à la satisfaction des usagers : facilité d’accès, convivialité du lieu, qualité de l’accueil, diversité des services offerts, etc.... Or, en France plus qu’ailleurs, la sacralisation des œuvres et des artistes a souvent conduit à considérer les personnes assurant cette fonction plus comme des intercesseurs ou des serviteurs à leur service que comme des prestataires de services (publics). N’oublions jamais que les expériences esthétiques sont aussi toujours des activités sociales, comme le souligne judicieusement D. Pasquier quand elle rappelle que « la sortie à l’opéra est parfois moins une relation aux œuvres qu’une relation aux autres » [13]. Le plaisir éprouvé à la confrontation des œuvres est en effet souvent un plaisir partagé, inscrit dans la sociabilité amicale ou familiale et souvent nourri du sentiment d’être attendu. Comme en amour, le désir peut naître dans le domaine culturel du désir de l’autre, et nombreux sont les moyens qui peuvent alimenter ce désir tant au plan de l’aménagement de l’espace que de l’attitude des personnels en charge de la médiation.

Certains grandes institutions ont pris la mesure de cette question et assument désormais sans état d’âme une démarche marketing dans la perspective d’augmenter le volume de fréquentation mais aussi d’améliorer la qualité des services offerts aux usagers. C’est le cas notamment de l’Opéra de Paris qui a mis en place depuis plusieurs années un « programme qualité » [14]. Mais, l’existence de telles expériences dans quelques lieux emblématiques ou dans certains musées ou médiathèques récemment crées ne doit pas abuser. En réalité, que de chemin à parcourir dans ce domaine pour la plupart des établissements culturels ! Au risque de se faire traiter de populiste et de se montrer injuste à l’égard des théâtres, musées, médiathèques, etc. qui mobilisent d’importants moyens pour apparaître comme des lieux ouverts et chaleureux, il faut bien reconnaître - c’est une litote de le dire – qu’il existe encore une marge de progression en matière d’accessibilité, de communication ou de convivialité.... Nous ne nous prêterons pas au jeu facile qui consisterait à recenser tout ce qui, trop souvent, fait apparaître les établissements culturels comme des lieux intimidants ou peu accueillants pour des non initiés, et pourtant.... Faut-il rappeler le contenu de certains supports de communication pour se persuader que les discours des milieux culturels sont parfois clos sur eux-mêmes, ou se faire ethnologue pour décrire dans le détail le catalogue des codes, tics de langage et diverses postures qui peuvent fonctionner comme autant de machines à exclure pour ceux qui ne font pas partie du "milieu" ?

Ces brèves remarques sur la nécessité de développer dans les établissements culturels une politique de développement des publics ne doit pas faire oublier que depuis longtemps déjà, la rencontre avec les œuvres, petites et grandes, ne passe plus systématiquement par eux. C’est pourquoi la question des inégalités d’accès ne peut plus, comme au temps des maisons de la culture, être posée seulement dans une perspective d’aménagement du territoire, surtout depuis que la progression spectaculaire d’internet a profondément transformé les conditions de diffusion des oeuvres.

Développer un service public de « culture à domicile »

Le mouvement continu d’équipement des ménages en appareils audiovisuels - depuis l’arrivée de la télévision jusqu’à l’internet haut débit – fait qu’aujourd’hui, la plupart de nos pratiques et consommations culturelles se déroulent au sein de l’espace domestique. La politique culturelle peine à prendre en compte cette réalité car elle a toujours été pensée presque exclusivement par rapport aux équipements culturels : depuis la création des premiers musées nationaux jusqu’à la politique des années 80 en passant par la décentralisation théâtrale, l’objectif a toujours été, quelle que soit la conception de la culture ou les options retenues, de travailler à l’extension d’un espace public de la culture défini par une double opposition : d’un côté par rapport au domaine du privé/commercial (la culture comme lieu préservé des lois du marché et des intérêts économiques) et de l’autre par rapport au domaine du privé/intime (les spectateurs ou visiteurs des lieux culturels comme citoyens « sans identité », simples éléments du peuple rassemblé). Les changements de ces dernières décennies ont rendu largement caduque cette vision des choses. D’une part parce que – nous l’avons évoqué à propos des mutations survenues dans les années 80 – les frontières entre le public et le privé/commercial se sont largement estompées du fait de l’essor des industries culturelles mais aussi du caractère de plus en plus évènementiel de la vie culturelle (festivals, expositions, ...) et de la « marchandisation » relative des établissements culturels, notamment dans le domaine patrimonial avec le développement des produits dérivés. D’autre part, parce que les frontières entre le public et le privé/intime se sont trouvées, elles aussi, singulièrement brouillées avec l’évolution des programmes des différents médias – on pense notamment au succès des émissions de libre antenne à la radio ou de télé-réalité [15] et bien entendu à l’essor de la blogosphère ces dernières années.

La montée en puissance de la « culture à domicile » liée à l’équipement des ménages et au développement du numérique a entraîné un déplacement du centre de gravité des enjeux artistiques et culturels en transformant radicalement les conditions de production, de conservation, de diffusion et d’appropriation des œuvres. Elle a aussi par voie de conséquence déplacé le centre de gravité de la politique culturelle en l’obligeant à intervenir sur des dynamiques de développement très largement dominées par la logique du marché et sur des comportements relevant pour l’essentiel de la sphère domestique. La brutalité des mutations en cours ajouté au fait que celles-ci avaient été peu anticipées par les milieux culturels peut expliquer le caractère essentiellement défensif du discours ministériel, notamment dans les premières réactions face à la diffusion des pratiques de partage de fichiers ; mais aujourd’hui l’évidence s’impose à tous : l’ère du numérique dans laquelle nous venons d’entrer ouvre pour la politique culturelle un nouveau champ d’intervention considérable, au moins aussi important que celui ouvert par Malraux à la création du ministère des affaires culturelles.

Coté offre, le défi consiste à créer les conditions d’un service public de qualité en mobilisant d’importants moyens – mais au fond sont-ils plus importants que ceux qui ont permis ces dernières décennies de mener à bien la politique de Grands Travaux ?– pour la numérisation des fonds patrimoniaux, qu’il s’agisse de bases de données, d’imprimés, de films, de monuments ou d’archives audiovisuelles. A cet égard, le succès rencontré par le site « archives pour tous » récemment crée par l’INA est riche d’enseignements car il montre qu’à l’évidence une forte demande sociale existe du côté de ce qu’il est convenu d’appeler le « grand public », ce qui incite à ne pas concevoir les projets actuellement en cours ou à venir pour les seuls milieux de professionnels et d’amateurs éclairés. Côté demande, le défi consiste, comme toujours, à veiller à ce que les richesses culturelles numérisées soient accessibles à tous car, même si la fracture numérique a eu tendance à se réduire ces deux dernières années, les écarts d’équipement entre milieux sociaux demeurent importants. En effet, le développement de la « culture à domicile » reste essentiellement gouverné par la logique du cumul : de même que les amateurs d’Arte ou des émissions culturelles à la radio ou la télévision sont souvent des habitués des théâtres et des musées, les internautes amateurs de sites culturels fréquentent plus les équipements que la moyenne [16]. De ce fait, le développement de la « culture à domicile » a jusqu’à présent surtout permis aux personnes ayant un intérêt pour l’art et la culture de diversifier leur univers culturel en cumulant les modes d’accès.

Ceci ne veut pas dire que rien n’a changé, au contraire. On a bien vu ces dernières années que le développement des pratiques d’échange de musique ou de vidéos sur internet a eu des effets sur les comportements en matière d’achat de disques ou de fréquentation de concert, même s’il convient de faire preuve d’une grande prudence dans ce domaine, en évitant notamment de raisonner en termes de simple substitution [17]. En réalité, l’essor de la « culture à domicile » a déjà commencé à modifier en profondeur les pratiques culturelles « traditionnelles », et tout indique que ce mouvement ira en s’amplifiant à mesure que les générations ayant grandi avec elle avanceront en âge : on ne regarde pas un film en salle de la même façon quand on a l’habitude de les regarder chez soi, on ne lit pas un livre de la même façon quand bon nombre d’actes de lecture ont pour support les écrans, on n’entretient pas la même relation aux œuvres et au savoir à l’heure du copier/coller. Aussi est-il difficile de ne pas penser que la diffusion de cette « culture à domicile » encore largement en devenir va entraîner à moyen terme de profondes modifications des modes d’appropriation des contenus et des hiérarchies culturelles [18]. Et comment imaginer que le fait que la « culture à domicile » apparaisse de plus en plus fréquemment comme libre d’accès, soit parce qu’elle est financée par la publicité soit parce qu’elle fait l’objet d’un paiement en amont ou en aval, puisse rester sans effet sur le consentement à payer des jeunes générations dans le domaine culturel ?

Par ailleurs, l’essor de cette « culture à domicile » ramène à la question des équipements culturels. En effet, le numérique et les moyens de communication d’aujourd’hui (et plus encore de demain) offrent aux établissements la possibilité d’enrichir considérablement leur offre en proposant une palette diversifiée de services « à distance », et donc de toucher de nouveaux publics au delà des cercles de leurs habitués, tout en engageant avec eux un dialogue permanent et interactif. Cette nouvelle donne contribue par conséquent à décentrer la question des publics en l’étendant à celle de l’ensemble des usagers, qu’ils viennent en personne ou non dans l’établissement, obligeant à considérer les équipements culturels d’un regard neuf : les bibliothèques, les musées mais aussi les lieux de spectacle vivant, s’ils restent bien entendu les lieux privilégiés de la confrontation directe aux œuvres et aux artistes, sont aussi de plus en plus appelés à devenir des centres de ressources et des prestataires de services à distance, surtout bien entendu quand ils disposent de richesses susceptibles d’être numérisées.

Au final, il apparaît qu’une politique qui ne renoncerait à lutter contre la logique du cumul qui fait que spontanément « la culture va à la culture » devrait se fixer (au moins) trois objectifs au demeurant parfaitement complémentaires : inscrire durablement l’éducation artistique et culturelle dans les politiques éducatives, doter les établissements culturels des moyens nécessaires à une politique ambitieuse de développement des publics, produire un service public de « culture à domicile » en direction du plus grand nombre. Autant de chantiers considérables qui, pour être menés à bien, réclament enthousiasme et volontarisme, comme aux premiers temps de l’aménagement culturel du territoire. Cessons donc de nous croire modernes en présentant la « question du public » comme ringarde, historiquement dépassée, et affrontons ce qui reste un véritable défi près d’un demi-siècle après la naissance du ministère des affaires culturelles : mettre en œuvre une « vraie » politique de la demande pour sortir la politique de soutien à l’offre de l’impasse dans laquelle elle se trouve aujourd’hui.



[1] Nous avons traité le premier point dans l’article La question de la démocratisation dans la politique culturelle française, Modern and contempory France, volume 11 (février 2003 ), et le second est développé dans une version plus longue du présent texte consultable sur le site de l’OPC.

[2] On reprend ici volontairement les termes même du rapport de Rigaud J., Pour une refondation de la politique culturelle, La Documentation française, 1996.

[3] Une publication récente fait le point sur cette question : L’état des inégalités en France, Belin 2006.

[4] Quelles missions pour le ministère de la culture ? Esprit, n°1, 1997.

[5] Cf N.Heinich, L’élite artiste. Excellence et singularité en régime démocratique, Gallimard, 2005.

[6] Le fait de savoir s’il convient ou non dans ce cas de parler de discriminations positives ou d’« affirmative actions » relève d’un registre qui n’est pas le nôtre.

[7] On pense notamment aux réactions à l’égard de Catherine Trautmann quand, en tant que ministre, elle avait déclaré : “Il faut aller vers la médiation, l’accompagnement éducatif à partir des pratiques artistiques et culturelles des publics. Sans cet effort d’éducation et de médiation, le discours sur la démocratisation n’est que théorie » TRAUTMANN,C., Conférence de presse sur les réformes engagées pour une démocratisation de la culture 26/2/98.

[8] On fait ici allusion au texte officiel définissant le socle commun de compétences « minimales » que doit acquérir tout élève avant sa sortie du système scolaire, où est évoquée, dans le chapitre concernant la culture humaniste, la capacité à « faire la distinction entre produits de consommation culturelle et oeuvres d’art ».

[9] Cf M. Gauchet La redéfinition des âges de la vie, Le Débat, n°132, 2004.

[10] En 2003, près de la moitié des musées de France ne disposait pas de service des publics. Cf Les musées de France en 2003, Notes statistiques du DEPS, mai 2006.

[11] Quand celui-ci écrit que la « vraie » démocratie, entendue comme le gouvernement de n’importe qui, « est voué à la haine interminable de tous ceux qui ont à présenter des titres au gouvernement des hommes : naissance, richesse ou science », on a envie de rajouter à la liste le capital culturel ou le sens « inné » de l’esthétique... Cf J. Rancière, La peur de la démocratie, La Fabrique, 2005, p.103.

[12] D’où la nécessité de généraliser la démarche évaluative qui - il faut bien l’avouer – tarde dans le domaine culturel à rentrer dans les mœurs, même si elle est présentée depuis de nombreuses années déjà comme une ardente obligation.

[13] D. Pasquier, La culture comme activité sociale, in Penser les médiacultures , ss dir. E. Maigret et E. Macé, A. Colin, 2005.

[14] Voir par exemple Comment l’Opéra de Paris soigne ses spectateurs, La Scène, septembre 2006.

[15] Ce qui a conduit S. Tisseron à proposer le terme d’extimité. Cf L’intimité surexposée, Ramsay, 2001.

[16] Ainsi par exemple, ceux qui téléchargent de la musique fréquentent plus les concerts que ceux qui ne le font pas. Cf Y. Nicolas, Le téléchargement sur les réseaux de pair à pair, Développement culturel, n°148, juin 2005.

[17] Sur ce point rappelons que les conclusions des études récentes sur les liens entre le développement du peer to peer et la baisse des ventes de disques sont pour le moins nuancées ; Cf N. Curien, F. Moreau, L’industrie du disque à l’heure de la convergence télécoms/médias/internet, in Création et diversité au miroir des industries culturelles, La Documentation française, 2006.

[18] B. Lahire par exemple établit une relation étroite entre la montée en puissance de la « culture à domicile » et le caractère de plus en plus dissonant des univers culturels, notamment dans les milieux cultivés qui prêteraient moins d’attention dans l’espace domestique à ce qui apparaît comme des « fautes culturelles » à l’aune de la légitimité culturelle. B. Lahire, La culture des individus, La Découverte, 2004.

http://www.inegalites.fr/spip.php?article1144

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