Des conseillers d'une agence Pôle emploi de Seine-Saint-Denis (93) se sont confiés à L'Expansion.com. Dix mois après la fusion entre l'ANPE et les Assédics, ils racontent leur souffrance quotidienne au travail.
La tension sociale à Pôle emploi va-t-elle aboutir à une vague de suicides, comme chez France Télécom ? C'est en tout cas ce que redoutent les syndicats. Le service public de l'emploi a connu plusieurs drames depuis le début de l'année: un salarié s'est pendu dans son agence, cinq autres ont tenté de se suicider. Sans compter les arrêts maladie de longue durée qui se mutliplient.
Conditions de travail précaires, pression des managers, perte de sens du métier, stress, surmenage... Des conseillers d'une ex-agence ANPE de Seine-Saint-Denis (93) se sont confiés à L'Expansion.com. Sous couvert d'anonymat*, ils racontent leur souffrance quotidienne au travail. Et témoignent de leur désillusion face à cette fusion.
Né en janvier 2009 de la fusion de l'ANPE et des Assédics, le nouvel organisme s'occupe de l'indemnisation et du suivi des demandeurs d'emploi. La fusion vise, selon le projet du gouvernement, à proposer des sites mixtes et des référents uniques d'ici trois ans. Pour les 45.000 agents, cela signifie apprendre un nouveau métier. Pour la plupart à contrecoeur.
"Je suis abrutie par le métier de comptable"
"Je suis abrutie par le métier de comptable, je n'ai pas postulé pour ce type de métier", confie Géraldine, conseillère ANPE depuis huit ans, aujourd'hui obligée d'effectuer une permanence par semaine d'une demi-journée à l'agence des Assedic de son département - les deux sites ne sont pas encore fusionnés. "Mon travail, c'est de recevoir les demandeurs d'emploi, leur faire passer des entretiens conseil, prendre des offres des entreprises et leur proposer des candidats. Je n'ai pas été recrutée pour être un ‘liquidateur'", ajoute-t-elle en référence acerbe au métier d'indemnisation des chômeurs.
Les conseillers sont désormais également tenus de faire agent d'accueil au moins une demi-journée par semaine. Ils passent également plusieurs heures à la plate-forme téléphonique (3949). "Notre travail est de plus en plus morcelé par métiers et par tranches horaires, déplore Géraldine, il n'y a plus de continuité".
Techniquement, ce morcellement des tâches conduit à un malaise dans les conditions de travail. Récemment, le président Nicolas Sarkozy se félicitait de la fusion ANPE-Assédics en ces termes: "il n'y aura plus ces petits bureaux de fonctionnaires avec l'affiche sur la Polynésie pour rêver, ou l'orchidée, qu'on a remplacé par des bureaux paysagers". Une déclaration qui passe mal chez les agents. "Tous les jours, nous arrivons au boulot et nous cherchons un poste de travail disponible et opérationnel, avec une imprimante qui fonctionne", explique Olivier, 35 ans, conseiller ANPE depuis quatre ans.
"Nous sommes devenus des procéduriers"
Mais le pire est ailleurs. Les agents de Pôle emploi dénoncent un "management par les chiffres", qui crée une pression de plus en plus forte pour atteindre des objectifs quantitatifs et non plus qualitatifs. "La direction nous met une pression énorme avec des objectifs chiffrés, témoigne Olivier. Par exemple, nous devons réaliser dix entretiens téléphoniques par heure, sachant qu'un entretien téléphonique a la même valeur en termes de résultats pour la direction qu'un entretien physique d'une demi-heure. C'est la logique des comptes !"
"Le plus intolérable, c'est la perte de sens et de qualité de notre travail, renchérit Fabienne, 44 ans, conseillère professionnelle de placement depuis 17 ans à l'ANPE. Le travail a toujours été difficile mais il y avait un sens à ce que l'on faisait, on avait le sentiment d'aider les demandeurs d'emploi. Aujourd'hui nous sommes devenus des opérateurs de saisie, des procéduriers. Or je refuse d'incrémenter des compteurs pour alimenter des statistiques, ce n'est pas un service aux demandeurs d'emploi."
Exemple type : avant la fusion, les conseillers pour l'emploi prenaient en charge les personnes en difficultés parlant peu ou mal le français, en les aidant à rédiger leur CV et une lettre de motivation. Désormais, ils sont tenus d'orienter ces demandeurs d'emploi vers des prestataires privés, dont les délais de prise en charge varient de deux semaines à un mois. De quoi perdre l'occasion d'un emploi. Les prestataires privés étant payés le Smic horaire par demandeur d'emploi pour un bilan de compétence, ils multiplient les entretiens de groupe pour optimiser leur rentabilité. Mais perdent du coup en efficacité.
"Je veux retrouver du sens à mon travail"
Les agents que nous avons rencontrés ne sont pas des cas isolés. Surcharge de travail avec l'afflux massif de demandeurs d'emploi, effectifs insuffisants, fusion à marche forcée, formations trop courtes pour devenir polyvalents, management par objectifs, sous-traitance au privé figuraient parmi les nombreux motifs de mécontentement exprimés lors de la journée de grève à l'appel de sept syndicats, le 20 octobre dernier, qui a rassemblé plus d'un tiers des salariés.
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