L’élaboration des notions scientifiques dans les textes de sciences sociales suit des processus beaucoup plus complexes que ceux que requiert la simple définition préalable des outils théoriques utilisés. Nous proposons d’apprécier cette complexité en suivant quelques parcours de constitution de concepts chez Charles-André Julien (histoire), Pierre Bourdieu (sociologie) et Germaine Tillion (ethnologie). On tentera, au-delà de l’appréciation statistique, de caractériser les contenus engagés, leur spécificité, et les enjeux qu’ils recèlent. La notion de Berbérie, qui a occupé Julien dès le début de son Histoire de l’Afrique du Nord, présente l’intérêt de synthétiser une longue évolution dans le savoir amassé en contexte colonial sur des populations colonisées. Elle se construit curieusement là où on ne l’attend pas : d’abord, en dehors de la discipline, en convoquant des connaissances géographiques, ethnologiques, anthropologiques, géologiques, mais très peu de connaissances historiques ; ensuite, en dehors des espaces textuels habituellement réservés à la discussion théorique, puisqu’elle est consolidée essentiellement dans des descriptions à caractère quasi littéraire ; enfin, elle est en relation de constante référence à des contenus intertextuels, figurant entre autres chez l’historien et géographe Emile-Félix Gautier. L’analyse sémantique, tout en montrant le système d’évaluation sous-tendant cette construction, revient sur sa caractérisation essentiellement négative, faisant apparaître l’existence d’une sorte de concept inversé, paradigmatique. C’est en effet par rapport à ce modèle de comparaison implicite que la Berbérie se trouve constamment située comme écart. Elle pointe enfin les liens qui lient cette notion à son contexte historique du Maghreb colonial. C’est en suivant une démarche inverse que nous avons essayé d’explorer diachroniquement un contenu conceptuel bourdieusien. Au lieu de partir d’un nom lexicalisé et stabilisé, l’enquête s’est appuyée sur une catégorie sémantique, l’opposition du féminin et du masculin, pour chercher ses différentes manifestations conceptuelles depuis la Sociologie de l’Algérie (1958) à La domination masculine (1998). On a pu ainsi mettre en relation des noms qui semblaient désigner des concepts éloignés, comme celui de Nomos et d’Inconscient androcentrique, et esquisser les enjeux théoriques et historiques qui influent sur ces transformations. Enfin, une troisième enquête a permis de souligner la spécificité d’un procédé de construction de notions scientifiques chez Germaine Tillion, qui met en place le concept triptyque de « société sauvage/traditionnelle/moderne » (ethnologie). Il s’agit de l’inversion des contenus, à l’œuvre aussi bien dans caractérisation de chaque type de société, que dans leur illustration au moyen de personnages historiques ou mythiques. - Télécharger le PDF
Smaïl Djaoud (2009) «Quelques processus d'élaboration de concepts sur le Maghreb dans les sciences sociales (Julien, Bourdieu et Tillion)», Texto ! [En ligne], URL : http://www.revue-texto.net/index.php?id=2165.
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