Une sérieuse et significative passe d’arme entre Américains et Européens a bien eu lieu à Londres, lors de la réunion des ministres des finances des 20, à la suite de ce qui a été une sorte de tentative de putsch menée par Tim Geithner. Elle a porté sur une mesure considérée comme clé de la future régulation financière : le niveau de fonds propres (plus exactement ce que l’on appelle le « tier one ») requit pour les banques. Quel enjeu cachait cette question technique ?
Deux conceptions se sont trouvées en présence dans les discussions : celle de Tim Geithner, qui proposait impromptu que soit mise en place pour la fin de 2012 une règle imposant un niveau de fonds propres supérieur à celui qui est défini par les règles de « Bâle II »; celle des Européens, qui souhaitaient comprendre en quoi ces règles n’étaient pas suffisantes, considéraient qu’il était temps pour les Etats-Unis de les mettre en application, ce qu’ils n’ont toujours pas fait depuis 2003, et le faisaient savoir. Les banques Européennes estimant qu’une distorsion de concurrence en résultait en leur défaveur, puisqu’elles les appliquaient.
En fait, il semblerait y avoir derrière ce refus une autre douloureuse réalité de dissimulée. Les banques Européennes pourraient être en plus grande position de faiblesse que les américaines pour une autre raison: un plus important manque de fonds propres qu’elles masqueraient ayant appris à ruser avec les finesses des règles de « Bâle II », après avoir bataillé pendant des années afin d’en retarder la mise au point puis l’application. Les estimations données en avril dernier par le FMI, selon lequel les banques Européennes n’avaient pas parcouru le même chemin que leurs consoeurs américaines, et devraient encore procéder à des apports de fonds pour un montant global estimé de 600 milliards de dollars avaient d’ailleurs suscité à l’époque de vives réactions immédiates de Christine Lagarde et de Jean-Claude Trichet, un peu comme s’ils étaient touchés.
La question n’a plus été soulevée depuis, et il est raisonnable de penser que les « stress test » Européens ne vont pas apporter de grandes révélations à cet égard : ils sont fait pour dire que tout va bien, comme l’ont été ceux des américains. Quoiqu’il en soit, si cette analyse se révélait exacte, elle ferait aussi de Tim Geithner, sans que cela soit particulièrement étonnant, le représentant des intérêts des méga banques américaines, qui pourraient moins redouter que leurs consoeurs Européennes de fortes obligation de fonds propres (ayant réussi grâce aux résultats des stress tests américains à lever des capitaux) et voir d’un bon œil ces dernières en difficulté. Tout dépendrait des modalités du calcul du ratio. Les deux parties auraient donc pêché, chacune à sa manière. Les uns n’ont pas appliqué les règles de « Bâle II », les autres ont appris à les contourner ! Ce qui dans, ce dernier cas, expliquerait que Tim Geithner demande un durcissement des caractéristiques du « tier one ».
La réunion s’est terminée après que trois points pouvant être présentés comme un accord aient été dégagés: les banques devront, la crise passée, lever plus de capitaux; elles devront préparer des « testaments » en cas de problèmes (leur propre mode d’emploi en cas de crise); elles devront à l’occasion de leurs opérations de titrisation conserver une partie des crédits qui en sont l’objet. Enfin, il leur a été implicitement demandé de limiter le versement de dividendes aux actionnaires, au profit de l’augmentation de leur capital, ce qui favoriserait le développement du crédit. L’avenir dira ce qu’il en résultera pratiquement.
Cette bagarre éclaire sous un nouveau jour l’offensive menée lors de cette même réunion de Londres sur un terrain considéré comme sensible pour les Américains, celui des bonus. Comme s’il avait correspondu à une sorte de contre-feu des Européens. Revenant en façade à un affrontement entre deux conceptions, en réalité aussi peu opératoires l’une que l’autre, de la future régulation financière mondiale. Nous amenant à être les spectateurs navrés d’attitudes de peu d’envergure. Le propos étant moins, de notre point de vue, de décrypter cet affrontement que de s’affliger de l’importance qu’il a pris au détriment de questions autrement plus importantes, de l’état d’esprit qu’il suppose chez ceux qui y ont participé.
Hasard du calendrier ou sens aigu de l’opportunité ? Un accord entre 27 gouverneurs de banques centrales vient d’être rendu public ce dimanche, afin de mettre sur les rails « Bâle II » dans sa nouvelle version révisée de juillet dernier, dont les mesures à propos du renforcement du capital des banques devraient permettre de « réduire de manière substantielle la possibilité et l’ampleur des tensions économiques et financières », selon le communiqué de la Banque des Règlements internationaux (BRI). A un jour près presque, il aurait pu alimenter le débat des ministres des finances des 20, ce qui témoigne de l’absence de coordination, pourtant hautement revendiquée.
Selon ce communiqué, les organismes nationaux de supervision devront s’assurer que les rémunérations ou les bonus des banquiers seront « en ligne avec les performances à long terme et avec un comportement prudent en matière de prise de risques », tandis que les exigences en matière de capitaux « tier one » devront être renforcées. Egalement, « les banques se verront demander d’agir promptement pour relever le niveau et la qualité de leur capital à hauteur des nouvelles règles, mais de manière à promouvoir la stabilité des systèmes bancaires nationaux et de l’ensemble de l’économie ». Il a été enfin décidé d’instaurer le principe d’un capital tampon « contre-cyclique » permanent, afin de pouvoir être utilisé en période de crise financière.
Cet ensemble de mesures sera précisé d’ici à la fin de l’année, puis affiné durant l’année 2010, avant d’être appliqué de façon « à ne pas compromettre la reprise de l’économie réelle ». Cette dernière phrase obscure ouvrant beaucoup de portes à des exceptions qui devront bien entendu confirmer la règle.
Certes, tout cela ne pourra pas faire de mal, tout du moins quand cela sera détaillé et appliqué par tous, y compris aux Etats-Unis. Mais est-ce que cela pourra faire du bien, c’est à dire nous prémunir d’une suivante ? En réalité, il en faudrait bien plus dans bien d’autres domaines financiers. Et l’on restera fondé à remarquer que la mesure du risque devrait être au centre de toute problématique de régulation (il serait encore mieux d’empêcher en amont la possibilité d’en prendre sans mesure, et même sans s’en rendre compte), avant de parler du remède aux effets incertains que représenteraient de plus importants fonds propres pour les banques. Car, lorsque les dépréciations des actifs « iliquides » exigées par l’éclatement d’une bulle financière telle que celle que nous connaissons sont effectivement passées, les fonds propres, même tels que leur niveau devrait être désormais requit, ont toutes les chances de ne toujours pas être à la hauteur de la situation. Mais cette mesure est-elle possible, malgré tous les efforts entrepris ? On peut en douter, d’où le problème.
La crise actuelle enseigne déjà que les mesures qui sont en discussion seront de portée limitée. Faudra-t-il attendre « Bâle III » pour que ses leçons soient totalement prises en considération ? Il y a sans doute un parallèle à faire entre le domaine de la régulation financière et celui de la détection du dopage des sportifs. C’est en permanence une course de vitesse entre ceux qui innovent et ceux qui détectent, mais ce sont ceux qui innovent qui ont l’initiative et roulent en tête. Le rythme de travail du Comité de Bâle, chargé de mettre au point les directives du même nom (la ville est aussi le siège de la Banque des règlements internationaux) ne correspondant pas précisément à une course de vitesse, comme l’expérience l’a montré.
Blog de Paul Jorion - 07.09.09
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