C’est un massacre. Un massacre que la composante allemande des forces de l’OTAN en Afghanistan, responsable de la frappe aérienne qui a visé deux camions d’essence volés par les talibans, a d’abord tenté de nier. C’est le porte-parole du ministère de la Défense lui-même, à Berlin, qui déclarait fermement dans la nuit de jeudi à vendredi que « dans l’état actuel de nos connaissances, aucune personne n’a été tuée qui n’ait pas été impliquée ». Un état nettement plus actuel des connaissances indique au contraire qu’il y aurait eu dans ce bombardement plus de 90 morts, dont nombre de villageois, parmi lesquels sans doute des enfants et des femmes, littéralement déchiquetés. Les camions s’étant ensablés, ils étaient venus chercher de l’essence quand les bombes ont fait exploser les camions.
La semaine passée, le nouveau commandant en chef des forces internationales, le général Stanley McChrystal, annonçait la mise en place d’une nouvelle doctrine : « La mission est de protéger la population afghane. » Au mois de mai dernier, son prédécesseur avait été démissionné après la mort de 97 civils, tués par des raids aériens dans la province de Farah, au nord. Il n’aura fallu qu’une semaine pour que la nouvelle doctrine, à supposer qu’elle ait quelque réalité, se heurte à la logique même d’une telle guerre d’intervention. On évalue à un millier, en un an, le nombre de victimes civiles afghanes dont les forces de l’OTAN sont responsables. Le plus souvent , les « dommages collatéraux » sont passés sous silence ou presque. Voici un an, quelques jours après la mort des dix soldats français qui avait suscité l’émotion que l’on sait, près d’une centaine de civils, dont nombre de femmes et d’enfants, avaient péri sous les bombes, cette fois dans l’ouest du pays, dans le village d’Azizabad. L’OTAN avait promis une enquête comme elle en promet une cette fois.
L’ONU demande également une enquête. Le président Hamid Karzaï a déclaré hier que « viser des civils de quelque manière que ce soit est inacceptable ». À Londres, le ministre des Affaires étrangères en était à l’incantation : « Il est vital que l’OTAN et le peuple afghan soient côte à côte. » Certes. L’Élysée a condamné « une violence aveugle ».
« Nous devons gagner le coeur des Afghans. » Ce serait, selon les mots de Bernard Kouchner, au moment de l’envoi de sept cents hommes de plus sur place voici quelques mois, la volonté de la France. Gagner le coeur des Afghans ! Avec des bombes ? Mais l’ironie n’est pas de circonstance. Gagner sinon le coeur, du moins l’adhésion des Afghans, peut-être, mais c’est alors d’une tout autre politique qu’il s’agit. Le but officiel de la guerre, il faut s’en souvenir, était, après les attentats du onze septembre, de liquider les bases d’al-Qaida. En réalité d’établir dans une zone ultrasensible la domination de la superpuissance. C’est ce but de guerre même qui en a fait, aux yeux d’une part des Afghans, une guerre d’occupation. Les effectifs armés du chef taliban, le Mollah Omar, seraient de la sorte passés de 4 000 hommes à plus de 20 000 aujourd’hui.
L’autre voie, ce serait évidemment une aide véritable à l’un des pays les plus pauvres de la planète. Routes, écoles, ponts, hôpitaux, investissements économiques tendant à dégager le pays de l’économie de la drogue et de la corruption. Nicolas Sarkozy a déclaré hier que la France allait « continuer d’oeuvrer au développement de l’Afghanistan ». Eh bien, qu’on nous les montre, ces écoles, ces routes, ces chantiers de l’avenir.
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