A Ramallah, les portraits d’Arafat sont visibles partout, dans les salons de coiffure et les kébabs, à l’intérieur des chaumières, sur les murs de la ville où les images de l’ancien raïs vieillissent avec le temps mais restent toujours intactes. Les citoyens lambda disent de lui que c’était quelqu’un d’abordable, qu’on pouvait venir le déranger à tout moment.
En 2002, je m’étais pointé devant son palais, les chars israéliens encerclaient son QG. Une bande de gamins refaisaient l’intifada, mimant leurs ainés en balançant des pierres sur les soldats. Je m’étais approché, David contre Goliath. Je voulais les prendre en photo, ils n’étaient pas d’accord, je pouvais être un espion. Ils m’ont montré des pierres, j’en ai pris une, ils ont été surpris. J’en avais trop envie, j’en avais tellement rêvé en fait. J’ai grandi dans une cité en Seine-Saint-Denis et même si la situation en Palestine ne peut être comparée aux conditions des quartiers impopulaires, en les voyant se battre contre l’occupant, je me suis revu enfant. Leur histoire me bouleverse, elle devrait bouleverser tous ceux qui ont subi l’injustice à un moment de leur vie. J’ai pris de l’élan et j’ai lancé le caillou avec toute la force qu’il me restait.
J’en ai ramassé d’autres en m’approchant toujours de plus près. Ce n’était pas un soldat israélien que j’avais en face mais un CRS, un policier français, le même mépris pour ces enfants de Palestine, la même violence, la même arrogance, pour les jeunes des banlieues. Un soldat est sorti de son char et a fait mine de nous viser. Les mômes ont compris que j’étais avec eux et m’ont demandé de les prendre en photo en action. Je n’avais pas peur. J’aurais pu mourir ici, vraiment, je ne pouvais pas faire autrement, il y a un moment dans la vie où il ne faut pas réfléchir, aller à fond dans l’émotion, laisser le cœur dicter nos actes. Les chars se sont avancés, les enfants ont reculés, les soldats ont reculés, nous nous sommes approchés. Je me suis senti Palestinien. J’ai du partir, l’après-midi souhaitait faire une sieste. Je les ai quittés en frères d’armes. Je suis retourné devant le Palais. J’ai attendu plusieurs heures et j’ai pu finalement m’entretenir avec Yasser Arafat pendant quelques minutes. Je n’ai même pas été fouillé.
J’ai vu un résistant fébrile mais sa volonté était intacte. Je lui ai parlé de mes deux pays, il m’a dit je les aime tous les deux. La France et sa politique étrangère « pro-arabe ». L’Algérie et son soutien inconditionnel à son parti l’OLP. Je l’ai enlacé, je tremblais de tous mes membres. Arafat est mort, mais ne le dites pas trop fort parce qu’ici on parle toujours de lui au présent. Pour les Palestiniens, c’était Abou Amar, parce que même entré en politique, il restait aux yeux de ses frères un guerrier. Il est enterré dans la cour à la Mouqaata, l’ancien quartier général de l’Autorité palestinienne, où depuis sa disparition, un mémorial blanc a été construit en son honneur, un magnifique lieu à la forme de la Kaaba (la pierre de la Mecque). Deux gardes se tiennent au garde à vous, ne bougent pas d’un orteil même sous les flashs des appareils-photos. Ils font face au tombeau. Sur la gauche, une mosquée moderne à l’image de la personnalité de l’ancien président. Arafat avait exprimé le souhait d’avoir sa sépulture sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem-Est. Israël lui a refusé ce droit, le ministre de la Justice de l’époque avait déclaré : « Arafat ne sera pas enterré à Jérusalem parce que c’est une ville où sont enterrés les rois des Juifs et non pas les terroristes arabes ».Ariel Sharon, son ennemi de toujours, alors premier ministre, avait ajouté : « Tant que je serai au pouvoir, et je n’ai pas l’intention de le quitter, Arafat ne sera pas enterré à Jérusalem ». Israël craignait surtout que sa tombe ne se transforme en un lieu de pèlerinage pour les Palestiniens. Arafat est mort, emportant avec lui le maigre espoir de voir un jour une Palestine libre.
Mahmoud Darwich, considéré comme l’un des plus grands poètes palestiniens, a écrit un poème en hommage à Yasser Arafat. Ce texte est gravé sur une stèle à l’entrée du mémorial.
Yasser Arafat était le chapitre de le plus long de nos vies et son nom était l’un des noms de la Palestine nouvelle, renaissante des cendres de la Naqba (la catastrophe pour les Palestiniens, quand ils ont été chassés de leur terre en 1948), en passant pour la flamme de la résistance jusqu’à l’idée de l’Etat et en chacun de nous, il y a quelque chose de lui.
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