Le FMI s’essaye depuis quelques mois à son nouveau rôle, attribué par le G20 de Londres. Notamment lorsqu’il s’efforce au langage de la vérité, froissant parfois des ailes au passage, expliquant alors sur tous les tons et dans toutes les occasions que le redémarrage de l’économie ne sera pas possible tant que la situation du secteur bancaire ne sera pas assainie. Il vient de franchir un nouveau pas en annonçant la distribution à ses 186 Etats membres, dès la fin de ce mois et au prorata de leurs droits de tirage spéciaux, de 283 milliards de dollars de DTS (1).
Cela ressemble fort, à y regarder de plus près, à une échappatoire de plus. Comme s’il s’agissait de prendre le relais des mesures de création monétaire des banques centrales, car c’en est aussi une, afin de les soutenir à leur tour. C’est en effet le calme plat sur le front des banques centrales, la BoE britannique faisant exception en venant d’augmenter de 125 milliards de livres son programme d’achat d’actifs. Car la Fed prolonge son propre programme de 300 milliards de dollars jusqu’à octobre prochain, mais sans l’augmenter (il lui reste 90 milliards à engager), tandis que le Trésor US, afin lui aussi de contribuer à rassurer les investisseurs en T-bonds, annonce qu’il va émettre des TIPS indexés sur l’inflation (2). La BCE, bloquée sur ce terrain par les Allemands, ne bouge pas d’un cil et s’en tient à ses 60 milliards d’euros initiaux d’achats d’actifs, arrachés de haute lutte. Les banques centrales sont désormais figées dans leur attitude et multiplient les vocalises pour occuper leur terrain, passées d’abord de mesures « conventionnelles » à celles qui ne sont pas, ayant finalement rencontré dans l’utilisation de ces dernières des limites qu’elles ne peuvent pas franchir (contredisant dans les faits la fiction de leur indépendance vis à vis des Etats, ces derniers ayant tracé ces limites). Elles en sont aujourd’hui réduites au rôle d’animateurs et de pourvoyeurs financiers du marché interbancaire, dans lequel elles sont installées à demeure.
La question s’est déjà trouvée posée, dans cette chronique, de savoir quel recours les banques centrales pourraient avoir, le jour où elles se trouveraient démunies. Une première réponse vient d’être apportée par le FMI. Poursuivant, à son propre compte et dans le droit fil des décisions du G20 de Londres, la distribution de liquidités, mais cette fois-ci en faveur des Etats et non pas du système bancaire comme le font les banques centrales. Si l’on comprend bien la situation, on vient de monter d’un échelon : après que les banques centrales se soient substituées aux banques pour animer le marché interbancaire, le FMI s’engage dans le soutien des banques centrales et de leurs actionnaires (généralement les Etats, sauf dans le cas de la Fed).
Mais l’on peut s’interroger sur la portée de cette nouvelle mesure spectaculaire, une fois admis qu’elle va au passage soulager un peu les pays les plus pauvres ainsi que les « émergents », ce que ne manque pas de souligner le FMI, qui sait avoir dans ce domaine beaucoup à se faire pardonner. Car, pour les autres pays, cette dotation en DTS sera comme une grosse goutte d’eau dans la citerne de leurs besoins. Par ailleurs, même si l’émetteur change, le résultat va être le même : on va rajouter des liquidités aux liquidités, dans ce qui est un gigantesque panier percé. Au risque, plus tard, de ne pas parvenir à les récupérer à temps et à générer une forte inflation, ce qui est la crainte majeure des investisseurs, qui leur fait plébisciter comme candidat à la succession de Ben Bernanke à la présidence de la Fed… le même Ben Bernanke, après que ce dernier ait adressé les messages qu’il fallait à cet effet à qui de droit.
Les largesses du FMI (car les allocations de DTS ne sont pas remboursables) « compteront comme actifs de réserve, agissant comme un coussin de liquidités à faible coût pour les pays à faibles revenus et des marchés émergents et réduisant le besoin d’une constitution de réserves excessive » (communiqué du FMI). En d’autres termes, elles amélioreront les bilans des banques centrales, qui en ont bien besoin, après avoir généreusement accueilli autant d’actifs toxiques en contrepartie. Elles soulageront de ce point de vue leurs actionnaires (les Etats) qui n’auront pas besoin de remettre dans l’immédiat au pot. Elles pourront aussi être échangées contre des devises, soulageant les monnaies, ou enfin être cédées pour solder un déficit de balance des paiements. Voilà ce que l’on trouve pour les accommoder dans le grand livre des petites cuisines des Etats, au chapitre des DTS.
Ces aides vont également venir à point nommé pour les Etats, placés devant le choix d’engager de nouveaux plans de relance, dont les financements sont problématiques, les précédents ayant produit leurs effets provisoires (on le remarque actuellement avec ces petits sursauts enregistrés ici ou là, devant lesquels certains commentateurs jouent les badauds et s’exclament en chœur comme lors des feux d’artifice réussis). Le débat à propos de nouvelles mesures a été lancé aux Etats-Unis, pour retomber en raison de la réforme de la santé ; il ne va pas manquer de l’être en Europe. La machine n’est pas repartie, la plupart des analystes ont révisé leur alphabet et en sont au « W », il ne reste plus grand chose derrière.
Tous les indicateurs économiques continuent d’être alarmants pour qui veut être lucide. Aux Etats-Unis, si l’on prend en compte la nouvelle montée du nombre des demandes d’allocation chômage, la baisse de la vente au détail et l’accroissement des procédures de saisie immobilières. Tandis qu’en Europe, les modestes hausses du PIB de la RFA et de la France ne font illusion que pour les gouvernements qui veulent y voir le bien fondé de leur politique, le premier face à une échéance électorale, soufflant un peu avant les nouvelles bourrasques de la rentrée. Evitant soigneusement de livrer le calcul du coût du point de croissance pour les finances de l’Etat qu’ils représentent. Se demandant quelles nouvelles mesures ils vont bien pouvoir annoncer, après cette prime à la casse qui a fait fureur dans tous les pays occidentaux, Etats-Unis compris.
Quel sera le derniers recours auquel pourra plus tard s’adresser le FMI ? On peut s’attendre à ce que cette question sans réponse soit la prochaine posée, à force de monter à chaque fois d’un cran et de finir par se retrouver sur le dernier barreau de l’échelle. Le prochain dossier qui devra être largement ouvert porte sur sa couverture un titre en majuscules rouges : « réforme du système monétaire international ».
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(1) DTS veut dire « droit de tirage spéciaux »: c’est l’instrument de réserve du FMI, assis initialement sur l’or, puis sur un panier de devises : dollar, euro, yen et livre sterling.
(2) TIPS : Treasury Inflation-Protected Securities », c’est à dire dire « obligations du Trésor protégées de l’inflation ». Ce sont des obligations américaines indexées sur l’inflation.
Blog de Paul Jorion
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