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19/08/2009

Les médias doivent faire leur autocritique

Une étude sur la place des femmes dans les médias met en cause le décalage entre le code de déontologie des journalistes et leur pratique quotidienne. Et les invite à un regard moins naïf sur le genre.
Les femmes sont-elles des sujets et des objets du discours médiatique différents des hommes? Pour le savoir, Stéphanie Pahud, Nicole Jufer et Sylvie Durrer ont scruté, entre 2000 et 2005, plus de 7000 articles et une douzaine de titres romands (mais pas encore les gratuits) avec le soutien notamment du Fonds national suisse de la recherche scientifique et de l'Université de Lausanne. Leur ouvrage paru cette année, La place des femmes et des hommes dans la presse écrite généraliste de Suisse romande des années 80 à nos jours répond par l'affirmative – ce dont on se doutait déjà –, et souligne comment – ce qui saute nettement moins aux yeux. L'interrogation sur la place des femmes dans les médias a commencé dans les années 1960. Toutefois, pour la Suisse romande, ce recueil de données – qui va de l'enquête au reportage en passant par le commentaire et l'interview– est exceptionnel et apte à fournir aux rédactions des instruments efficaces de travail. Même si corriger une tendance bien ancrée n'est jamais simple. Rencontre avec Sylvie Durrer – aujourd'hui cheffe du Bureau cantonal de l'égalité du canton de Vaud –, à l'occasion de la présentation de l'étude dans le cadre des conférences de la Formation continue des journalistes (FCJ) à Lausanne.

Qu'avez-vous constaté quant au traitement médiatique réservé à la femme?

On parle globalement peu des femmes: elles ne constituent qu'un sixième des personnes représentées. On trouve aussi régulièrement des Unes où n'apparaît pas une seule femme. Une telle disproportion, y compris dans la catégorie des personnes à la retraite, ne s'explique pas par leur moindre présence dans l'espace public. Les femmes sont aussi plus souvent nommées par leur prénom. Et les poncifs ont la vie dure: elles sont souvent jeunes, petites, fragiles, fatiguées. Il est fréquent que l'on précise la couleur et la coupe de leur cheveux – pensez à celle de Micheline Calmy-Rey, qu'elles ouvrent un bal de charité ou une manifestation politique. Dans un corpus de plus de 110'000 articles, l'occurrence «jeune femme» est apparue près de 13'000 fois, «jeune homme» pas même 1400 fois. Si le traitement avait été égal, on aurait dû avoir 230 occurrences de « jeune femme».... La première appréhension journalistique des femmes se fait souvent à travers leur corps. Et leurs titres sont très généraux et souvent non hiérarchiques: responsable plutôt que directrice ou chercheuse plutôt que professeure.

En quoi ce traitement est-il un problème? Ne peut-on parler du corps des femmes?

Si, mais les journalistes pourraient se demander ce que la mention de la fatigue ou du sourire d'une femme amène à leur article et ce qu'il provoque. La lassitude évoquée dans une situation de pouvoir peut suggérer que la femme n'est pas à sa place. Une façon de mieux apprécier cet effet est tout simplement de transposer une phrase au masculin...

Qu'en est-il des hommes?

Nous n'avons pas eu le temps de développer ce thème Les hommes n'échappent pas aux stéréotypes, même s'ils sont souvent inverses par rapport aux femmes: ce sont des «hommes forts», des «jeunes loups», des « vieux lions «, « de fins renards», etc. Cela dit, si un journal veut exploiter cette sémiologie du corps, pourquoi pas, mais alors de la même façon pour les hommes que les femmes.

Et lorsque la femme tient la plume? Se conduit-elle différemment de ses confrères?

Dans certains domaines. Ainsi une journaliste mentionne plus souvent les autres femmes qu'un homme (26 mentions contre 16), et elle cite deux fois plus les femmes qu'elle mentionne. Autre différence, les rédactrices signent peu d'articles dans les rubriques Evénement, International ou National. Or on sait que l'accession aux postes de cadres implique très souvent d'être passés par les pages nationales.

Certains jugeront qu'une telle étude ne fait que confirmer ce que l'on constatait déjà.

D'une part, ces études répondent à un devoir d'inventaire; les scientifiques doivent revenir régulièrement sur les mêmes objets afin de voir s'il y a ou non évolution. D'autre part, elles permettent de confronter les sentiments profonds des personnes concernées à la réalité. Nous avons beaucoup entendu, par exemple, que le métier s'était féminisé. Mais le nombre de signatures féminines, lui, n'a pas augmenté entre 2000 et 2005. Où sont- donc passées les journalistes femmes?

Vous soulignez le décalage entre le code de déontologie des journalistes et la réalité des articles publiés.

L'article 8 du code déontologique des journalistes insiste sur le respect de la dignité humaine et précise qu'il s'agit «d'éviter toute allusion (...) à l'appartenance ethnique ou nationale d'une personne, à sa religion, à son sexe (...)». Or, il semble qu'il y ait aujourd'hui une plus grande vigilance aux deux premiers éléments qu'au troisième.

Quelles ont été les réactions à votre étude?

Le discours a été double. Réticent, pour celles et ceux qui jugent qu'il n'y a pas là de problème journalistique; presque soulagé pour les personnes qui ont vu corroboré un sentiment confus qu'ils n'avaient pas les moyens de valider ou d'invalider. Nous l'avons présentée à plusieurs reprises mais à dire vrai, les rédactions ne s'en sont pas encore assez saisi comme instrument de travail. Pourtant, cette enquête, que nous avons voulue très minutieuse, permet à la fois de faire du benchmarking (une comparaison entre rédactions) et de fixer des objectifs d'amélioration. Seul Roger de Diesbach, de la Liberté, nous avait invitées à l'occasion de la pré-enquête à aborder cette problématique avec l'ensemble de la rédaction.

Comment interprétez vous cette réserve?

La profession se perçoit comme critique et égalitaire et entendre qu'elle ne l'est pas, du moins dans ce domaine, est difficile. Les revendications déontologiques et les représentations idéologiques ne sont pas toujours en phase avec la pratique. Ce hiatus est peut-être encore plus lourd pour un journal qui affiche des prétentions comme Le Courrier. L'égalité est difficile à mettre en oeuvre, même pour un groupe socio-professionnel qui la revendique comme valeur

Justement, qu'en est-il du Courrier?

Sur le plan quantitatif, les femmes y sont peu représentées, comme dans la moyenne romande, qui ne tourne qu'autour de 25%. Si Le Courrier est plus inégalitaire qu'on aurait pu l'attendre, c'est notamment, comme le Temps, d'ailleurs, en raison de ses pages internationales qui donnent pour l'heure peu de place aux femmes. Il a tendance aussi à mentionner les femmes de façon anonyme: près de 23% contre 8% pour les hommes, fait pour lequel il est difficile de trouver des circonstances atténuantes.

Quelles pistes suggérez-vous?

Je pense que la profession doit être plus critique quant à ses pratiques d'écriture et à ses habitudes de travail. Elle doit soigner son style et éviter les poncifs. Le carnet d'adresses pourrait être beaucoup plus égalitaire. Il ne s'agit pas de biffer des hommes, mais d'ajouter des femmes. Les journalistes se plaignent aussi que les femmes ne soient pas atteignables entre cinq et sept. Or ce sont encore elles, majoritairement, qui s'occupent des enfants et cela se répercute forcément sur leurs horaires. Les journalistes pourraient donc reconsidérer leur organisation du temps, pour leur propre bénéfice d'ailleurs. Enfin, les écoles de journalisme devraient intégrer ces questions de genre dans leur cursus de base.
Le Courrier

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