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14/07/2009

Scandale de la rémunération des dirigeants : l’argent roi est sauf

Thierry Brun

Le soufflé serait-il déjà retombé ? A peine amorcé, le débat sur la rémunération des dirigeants des grandes entreprises disparaît dans le vaste marais des promesses non tenues.

Depuis le discours de Nicolas Sarkozy prononcé à Toulon le 25 septembre 2008, qui n’hésitait pas à fustiger « trop d’abus, trop de scandales », le dossier n’a pas avancé, et l’omniprésident n’y trouve rien à redire. La critique des hauts revenus est à la mode. Il est de bon ton d’invoquer la bonne conscience, d’en appeler à la moralisation et à des chartes éthiques. Mais on reste loin d’une remise à plat des inégalités, note Louis Maurin de l’Observatoire des inégalités (http://www.inegalites.fr/spip.php?article1078). C’est sans doute ce qui a freiné cette politique de bons sentiments, car, dès la fin juin, la ministre de l’Economie, Christine Lagarde, avait déjà botté en touche sur l’opportunité de légiférer en la matière, affirmant croire davantage à la pression de l’opinion publique ou des actionnaires, ce que le Medef nomme « autorégulation ».

Devant l’énormité des rémunérations des patrons français, les mieux payés d’Europe, l’Elysée et les ministres semblent à court d’imagination. Pourtant, avec sa verve habituelle, Sarkozy avait effectué quelques remarques de bon sens : « Ce système où celui qui est responsable d’un désastre peut partir avec un parachute doré, où un trader peut faire perdre cinq milliards d’euros à sa banque sans que personne ne s’en aperçoive, où l’on exige des entreprises des rendements trois ou quatre fois plus élevés que la croissance de l’économie réelle, ce système a creusé les inégalités, il a démoralisé les classes moyennes et alimenté la spéculation sur les marchés. (...) »

Rafraîchissons la mémoire présidentielle et rappelons que les revenus encaissés en 2007 par les patrons des 40 plus grandes entreprises françaises ont augmenté… de 58 %. Une hausse ébouriffante obtenue par l’addition de toutes leurs rémunérations. Une étude de l’Ecole d’économie de Paris conduite par l’économiste Camille Landais indique que les Français les plus riches, soit 350 000 foyers, « ont vu leurs revenus augmenter de 19 % entre 1998 et 2005 ». Et plus on monte dans l’échelle sociale, plus cet accroissement prend de l’ampleur : les 0,1 % des plus fortunés (35 000 foyers) ont augmenté leurs richesses de 32 %. Une hausse qui atteint 42,6 % pour les 3 500 foyers les plus fortunés de France.

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Etude sur les inégalités de l’Ecole d’économie de Paris

A quoi est dû cet enrichissement ? Il s’explique par l’explosion des revenus du patrimoine. Pour les 3 500 familles les plus dotées, la part du patrimoine (action, immobilier, etc.) dans le revenu a atteint 40 %. L’évolution de la bourse y est pour quelque chose. Selon Camille Landais, « les entreprises versent des dividendes de plus en plus importants à leurs actionnaires ». Sans oublier que le mode de rémunération de cette population intègre de plus en plus une part de « bonus de fin d’année ou des stock-options ».

Si l’on se réfère au contenu du récent rapport de la mission parlementaire sur la rémunération des patrons, dont le rapporteur est Philippe Houillon, député UMP, « les rémunérations des dirigeants des plus grandes sociétés faisant appel public à l’épargne en France atteignent des montants qui peuvent donner le vertige aux salariés modestes et aux classes moyennes. Alors que, selon le Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERCS), le revenu médian annuel des Français s’établissait en 2007 à 15 780 euros pour une personne seule et 23 664 euros pour un couple, le revenu moyen des responsables des plus grosses entreprises se situait, quant à lui, aux alentours de 5 millions d’euros, soit de 208 à 312 fois plus ».

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Rapport de la mission parlementaire sur la rémunération des dirigeants, 7 juillet 2009

Très vite, le Medef et l’Association française des entreprises privées (Afep) ont senti le vent du boulet. Mises en demeure de produire de nouvelles règles, les deux organisations ont rapidement rédigé en octobre 2008 un code de bonne conduite, peu contraignant, pour « encadrer » ses indécentes rémunérations. En réalité, le code n’a pas changé grand-chose. Mais il a eu la caution de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Celle-ci a estimé qu’un gros effort de transparence a été réalisé par les sociétés françaises cotées pour présenter une information précise sur la rémunération de leurs dirigeants, mais juge toutefois le bilan qualitatif « mitigé ». Pas au point de juger souhaitable de passer par la loi pour encadrer les rémunérations. L’AMF suggère juste de renforcer le code du patronat. Le patronat pratiquant fort bien l’autogestion, cela va sans dire…

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Rapport de l’AMF sur les rémunérations des dirigeants

Sur quoi se base l’AMF pour exprimer sa satisfaction ? L’Autorité précise avoir réalisé une revue des documents de référence d’un échantillon de 60 sociétés du CAC 40 et du SBF 120, représentant fin avril 83 % de la capitalisation totale des sociétés françaises cotées. Les 60 sociétés déclarent appliquer le code Afep-Medef, selon l’AMF. Une vaste blague, si l’on en croit la Cour des comptes, dans son rapport sur le plan de sauvetage des banques, qui représente un effort total annoncé de 360 milliards d’euros, et où l’on trouve des dirigeants bien dotés en richesses.

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Rapport de la Cour des comptes sur les établissements de crédit

La Cour demande d’intégrer « pleinement les politiques de rémunération au contrôle des risques de telle façon que les mesures prises ne soient pas limitées à la durée des concours publics », de « clarifier les dispositions d’encadrement des rémunérations des dirigeants et des opérateurs de marché », et de « réexaminer le traitement fiscal et social de l’ensemble des éléments de rémunération, notamment des retraites-chapeaux ».

L’avis de l’AMF a certes rassuré les libéraux, mais la question du partage des richesses reste taboue. Xavier Bertrand secrétaire général de l’UMP, s’est prononcé du bout des lèvres en faveur d’une loi sur la rémunération des dirigeants pour ne pas déplaire à Sarkozy, mais pour « les derniers récalcitrants » qui « ne changent pas de comportement », et vite oublié cette promesse. Autrement dit, si d’aventure une loi balai venait à voir le jour, le Medef s’empressera de la réduire à peau de chagrin, à coups d’amendements confiés à quelques dévoués députés.

Mais on est loin de la vérité sur la rémunération des grands patrons, les mêmes dirigeants se partageant les comités de direction et les postes d’administrateurs, sans qu’on sache le montant réel de leurs émoluments. « Les responsables exécutifs des plus grandes sociétés cotées de la place de Paris, dont la rémunération moyenne a atteint, en 2007, 3 millions d’euros s’agissant des 120 plus importantes (SBF 120) et 4,7 millions d’euros pour les 40 premières (CAC 40), options de souscription ou d’achat d’actions – les fameuses stock-options – incluses », souligne la mission Houillon. Le constat accablant : les dix patrons les mieux payés du CAC 40 gagnent entre 2,4 millions et 4,7 millions d’euros par an. Et « Un certain nombre de scandales » ont récemment ému l’opinion publique, certains dirigeants empochant « des sommes astronomiques » en période de crise, ajoute le député Houillon. « Depuis le début des années 2000, il ne s’est jamais passé plus de trois ans en France sans qu’un scandale sur la rémunération ou les indemnités de départ d’un dirigeant de grande entreprise cotée éclate ».

Des dirigeants riches, toujours plus riches (http://www.journaldunet.com/economi...)… Selon le rapport de la mission Houillon, « La décennie qui s’est écoulée a vu se creuser le fossé entre la revalorisation des rémunérations des mandataires sociaux et celle des salaires. Selon l’institut français des administrateurs, la rémunération moyenne des dirigeants de grandes sociétés cotées a progressé de 15 % par an entre 1997 et 2007 alors que celle des salariés a évolué, sur la même période, de 3 % en rythme annuel. En outre, les montants perçus par les dirigeants des grandes entreprises cotées et par les opérateurs financiers ont atteint ces dernières années, en France comme dans la plupart des pays industrialisés, des sommets pouvant paraître difficilement justifiables au regard de leurs performances objectives ».

Parmi ses propositions phare, le rapport préconise également le plafonnement à un million d’euros des rémunérations déductibles de l’assiette de l’impôt sur les sociétés. Une mesure qui ne va certes pas assez loin, certains prônant un plafonnement pur et simple des rémunérations.

Politis - 13.07.09

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