“On ne traite pas ainsi les symboles européens!”, s'est même insurgé Nicolas Sarkozy, en sa qualité de chef d’un Etat français précurseur de l’Union. Vaclav Klaus avait justifié ce rejet aussi brutal qu'insolite du drapeau européen en disant qu'il lui rappelait trop la tradition similaire d’une autre union, l’Union soviétique, dont le pouvoir imposa tôt de flanquer tout drapeau national des Etats du Pacte de Varsovie de la bannière rouge du Kremlin.
Mais si Vaclav Klaus avait connu l'histoire du drapeau européen, nul doute qu'il aurait dû trouver meilleur emblème pour exprimer son zèle nationaliste ! L'élaboration de cette bannière est un feuilleton aux enjeux hautement diplomatiques puisqu'il s'agissait, à la fois de lui donner une forte charge symbolique... mais la plus consensuelle possible.
L’idée en revient au Conseil de l’Europe, crée le 5 mai 1949 par douze Etats -dont la Turquie (!)- lequel rendit public dès le 23 mai de la même année un “Projet de drapeau européen”. Le texte préconise que l’emblème devra « être le miroir dans lequel se refléteront tous les anciens drapeaux des nations » du Vieux Continent, symboliser “la fin des luttes fratricides, qui n’ont cessé de dévaster l’Europe” et exprimer la “réconciliation des principaux protagonistes du XX° siècle, les anglo-français d’une part, les allemands d’autre part”. A cette fin, il faudra conserver les six couleurs en usage –rouge, blanc, bleu, jaune or, vert, noir- en favorisant cependant le rouge et le blanc, omniprésents de Londres à Ankara et de Vienne à Paris. Ces deux couleurs sont justement celles de Strasbourg, la ville qui changea de nationalité pas moins de cinq fois entre 1870 et 1945 et qui fut donc autant un “terrain de rencontre des cultures latines et germaniques” qu’”un objet séculaire de discorde entre les deux nations française et allemande ». C'est donc cette cité disputée qui sera « le symbole de la tardive réconciliation franco-allemande” qui devra abriter le siège du futur Parlement de l’Union en marche.
Le Conseil de l’Europe revint à la charge le 18 août 1950 avec une exigence supplémentaire : faire adopter au plus tôt un drapeau voué à incarner “les valeurs spirituelles et morales”, socle “du patrimoine commun des Etats membres”, Turquie incluse (celle-ci au demeurant pilier de l’Otan et sentinelle de l’Occident face au Bloc soviétique). Une façon d’appel d’offre fut aussitôt lancé. Et la sélection se révéla implacable. Fut écarté, d’emblée l’emblème du Mouvement européen -un “E” vert sur fond blanc-, pour défaut “esthétique”. Idem pour celui du courant Pan-Europe -disque d’or et croix rouge sur fond bleu- afin de ne pas indisposer la Turquie, Ankara s’y étant du reste opposé au nom de la laïcité.
En tout, il y aura, entre 1950 et 1955, pas moins de 101 esquisses de drapeaux. Soucieux d’aboutir,le Conseil de l’Europe en reprécisa les critères : la lisibilité, l’harmonie, l’esthétique, l’équilibre et, par-dessus tout, la valeur symbolique. Il confia le suivi du projet au directeur de son propre service de presse, Paul Lévy. Lequel ne trouva pas mieux indiqué pour réaliser la bannière tant recherchée qu'un simple employé au service du courrier, Arsène Heitz, un artiste peintre amateur. L’un et l’autre strasbourgeois, tous deux bons catholiques, s’entendirent pour inclure dans le nouvel oriflamme une image inspirée de l’Evangile : douze étoiles jaune or disposées en cercle sur un fond bleu uni.
Ils furent assez habiles pour ne pas éveiller le soupçon de l’administration très à cheval sur le caractère laïque du message symbolique du drapeau. Laïques, francs-maçons, socialistes ou agnostiques, tous virent dans les douze étoiles les heures du jour et de la nuit, les mois du calendrier solaire, les travaux d’Hercule, les signes du Zodiaque, les Douze Tables romaines…Quant au champ bleu, il évoquait le ciel d’Occident... à moins que ce ne fut, ainsi que le désirait en son for intérieur l'un des « pères » de l'Europe,Robert Schumann, la couleur de la Vierge Marie. Des catholiques crurent y déceler une allusion aux tribus d’Israël et aux apôtres, d’autres y virent pour leur part un signe maçonnique !
Soumis à l’approbation du Conseil de l’Europe, le projet fut adopté à l’unanimité le 8 décembre 1955, jour de la fête de… l’Immaculée Conception, un “hasard” historique que nul, sur le moment, ne songea à commenter. Présenté au public une semaine plus tard,à Paris,l’ouvrage d’Arsène Heitz entra dans la l’histoire en marche. Et trouva sa consécration finale en 1986, l’an de grâce où l’Union atteignit les douze Etats-membres suite à l’intégration du Portugal et de l’Espagne.
L’opinion ne tarda pas à s’approprier le drapeau de l’Europe politique et chacun crut y trouver ce qu’il y cherchait. Le cercle exprimait la solidarité et l’harmonie; l’espace maintenu entre les étoiles signifiait l’ouverture du Vieux Continent vers le vaste univers. Le vexillologue Patrice de la Condamine décrivit, lui, le symbole “a-territorial” d’un “continent sans rivages précis”. Et en effet, rappelons, par ces temps de controverses sur l’intégration de la Turquie, que lors de sa création, le 25 mars 1957 à Rome,la Communauté européenne englobait l’Algérie, intégrée à la France depuis 1848, et par conséquent, avait alors plus de territoires en Afrique qu’en Europe même !
Toutes ces interprétations, aussi fantaisistes les unes que les autres, firent enfin sortir de sa réserve le père de la bannière étoilée de l’UE. Interrogé en 1987, il a avoué avoir eu subitement l’idée des douze étoiles sur fond bleu, couleur de la Sainte Vierge, en pensant à la médaille miraculeuse de Notre Dame, dans la chapelle du Sacré Coeur de Jésus, édifiée en 1815, au 140 rue du Bac, à Paris. Cette médaille semble illustrer le verset 1 du chapitre 12 –un autre signe?-de l’Apocalypse, évoquant “un signe grandiose apparu dans le ciel, une femme habillée de soleil, la lune sous ses pieds, et sur sa tête une couronne de douze étoiles”.
Face à ce drapeau, l’architecte hollandais, Remm Koolhaas, proposa au tournant de l’an 2000 un emblème européen “alternatif” : imitant le graphisme du code barres, il consiste à aligner les couleurs nationales de chaque Etat-membre, de façon tout à fait lisible par chacun. Les dix nouveaux membres de l’Union, ceux de la “Jeune Europe”, l’ont adopté avec enthousiasme.L’Autriche en fit son logo officiel lors de sa présidence des Vingt Cinq, du 1 janvier au 30 juin 2006, non sans susciter une vive polémique. D’aucuns ont dénoncé dans ce logo « commercial » l'illustration d'une Union ravalée d’une communauté politique à un simple marché sans autre âme que la loi de l’offre et de la demande. Vienne répliqua en défendant un logo où s'exprimait au contraire “la diversité de l’Europe”.
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