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13/07/2009

Dictionnaire des mots interdits: le protectionnisme européen

Quatrième épisode de notre série estivale sur les mots interdits de la vie politique et médiatique. Le protectionnisme européen est une option rationnelle dont la crise a renforcé la thèse puisque la contraction de la demande apparait comme la cause principale de la crise. Pourtant la solution protectionniste reste tabou, la plupart des dirigeants et des économistes la percevant comme une régression nationaliste.
« Je suis ici comme plaideur pour un protectionnisme. (…) C’est un rôle très difficile, un rôle de scélérat. » Il fallait un certain courage à l’économiste Jean-Luc Gréau, bien connu des lecteurs de Marianne 2, pour introduire son propos à une conférence de l’OCDE tenue à Paris les 23 et 24 juin dernier sur le thème « De la crise à la reprise : garder les marchés ouverts ».
(Pour voir la vidéo de son intervention, c’est ici )
Il fallait être gonflé pour affronter sur leur terrain Pascal Lamy, Tim Groser, ministre du Commerce de Nouvelle-Zélande, et bien d’autres technocrates du libre-échange. Après son speech, deux personnes ont applaudi, si bien que l’on se demande si son épouse ou un ami proche n’étaient pas présents dans la salle….
On peut s'en réjouir ou s'en lamenter, mais c'est un fait : la crise économique n'a pas conduit les élites européennes et anglo-saxonnes à remettre en cause la priorité donnée depuis dix ans au libre-échange mondialisé. Toutes les réunions du G20 et du G8, tous les colloques organisés sur la crise, toutes ou presque les interventions de dirigeants d'État écartent d'un revers de main le recours à des systèmes de protection. Pour eux, le protectionnisme demeure une idée régressive qui non seulement réduira la croissance mondiale mais encore pourrait conduire le monde à de nouveaux conflits.

« TSP » : Tout sauf le protectionnisme reste le mot d'ordre de nos élites. On notera d'abord que, par ignorance ou par ruse, tous ceux qui rejettent le protectionnisme font comme si ses partisans proposaient un protectionnisme national. Or, personne, hormis peut-être le Front national, ne propose aujourd'hui une telle option. Les partisans français du protectionnisme militent pour une limitation des échanges à l'échelle européenne – pour ne plus avoir ce protectionnisme du passé qui offrait aux chefs d'entreprise refusant toute innovation des marchés fermés.
Organisé à l'échelle européenne, le protectionnisme permettrait au contraire un rebond de la concurrence. L'intérêt est que cette concurrence s'effectuerait dans des conditions d'équité entre les entreprises : équité fiscale, sociale, règlementaire et environnementale. Le protectionnisme européen permettrait un rebond de la croissance dans la mesure où il se situerait sur un marché de 450 millions de consommateurs, le plus gros marché du monde. Il n'empêcherait nullement à des sociétés japonaises, chinoises ou américaines de commercer sur le vieux continent. Simplement, il obligerait ces entreprises à s'implanter sur un marché et à y fabriquer leurs produits manufacturés, créant ainsi des emplois.

Le protectionnisme européen – mais aussi asiatique ou américain, du sud au nord – présente, selon ses partisans, deux intérêts principaux :
1) Il permet de lutter enfin efficacement contre ce que Jean-Luc Gréau appelle la sous-rémunération du travail humain d'où découle la contraction de la demande. Depuis trente ans, la recherche du moins-disant salarial a freiné le pouvoir d'achat des salariés des pays développés, paupérisé les classes moyennes sans pour autant améliorer la consommation dans les pays émergents de façon significatives : qui ignore encore que les prétendues classes moyennes chinoises dont on nous a rabattu les oreilles ne sont que quelques dizaines de millions ? Qui refuse de voir que la consommation chinoise, après trente ans d'ouverture, ne représente que 40% du PIB du pays, le ratio le plus faible des grandes économies ? Qui refuse encore de voir que le miracle chinois ou indien repose avant tout sur des salaires inférieurs de vingt à trente fois ceux de l'Europe ou des États-Unis ?

Aujourd'hui, la plupart des économistes intègres reconnaissent que la crise des subprimes n'est pas seulement le résultat des excès de l'univers financier, mais aussi et surtout le résultat d'une demande qui ne cesse de s'affaiblir : pour continuer à vendre leurs produits et soutenir la croissance, les entreprises et le système ont favorisé le développement d'un gigantesque système de crédit qui a fait illusion quelques années seulement avant de s'écrouler à l'automne dernier.

2) Le protectionnisme régional est aussi la seule façon de lutter à long terme contre le réchauffement de la planète et la détérioration de l'environnement. La mondialisation des échanges charrie avec elle de nombreux fléaux écologiques :

– La destruction violente de l'environnement dans les pays devenus les ateliers du monde, où les usines ont poussé comme des champignons au détriment des rivières et des terres arables : en Chine, 25% des terres cultivées ont été abandonnées à l'industrie et chaque année des milliers de kilomètres carré de terres agricoles disparaissent. Et ce n'est pas les coups de canon tirés dans les nuages par les bureaucrates de Pékin durant les JO qui changent quelque chose à cette réalité.

– Les transports par air, terre et mer génèrent une production de carbone néfaste à l'environnement. L'ensemble du trafic routier est devenu en France la première source d'émissions de gaz à effet de serre, et la contribution du fret routier aux émissions de gaz à effet de serre s'est accru de 32 % de 1990 à 2006. Les transports maritimes contribuent à la pollution de l'air et au développement des pluies acides dans les zones côtières.
Un recentrage des échanges à l'échelle régionale aurait donc un impact positif sur l'environnement. Mais toutes les institutions et les gouvernements se situant peu ou prou dans une perspective libre-échangiste, nous ne disposons même pas d'étude d'impact sur cette option.

L'aveuglement des élites : un mystère
Pourquoi les décideurs du monde entier, pourtant fragilisés par une crise qui ne frappe pas que les pauvres, restent-ils insensibles à ces arguments ? Pourquoi le protectionnisme, qui a joué un rôle essentiel dans le développement du capitatisme au XVIII° et au XIX° siècle, reste-t-il une mesure tabou au sein des élites ?
L'explication n'est pas facile. Les intérêts des gros actionnaires et des dirigeants jouent bien entendu un rôle : le libre échange n'est pas qu'une théorie, mais aussi une pratique qui a permis une formidable progression des inégalités, l'enrichissement de dizaines de milliers d'agents de la finance et de dirigeants d'entreprise.
Mais l'entêtement des élites à vouloir un retour, quoi qu'elles en disent, au capitalisme financier semble aussi idéologique. Les dirigeants du monde et, singulièrement, les économistes ont mal assimilé l'histoire. Ils perçoivent le protectionnisme comme forcément national et fauteur de guerres, se fondant notamment sur la période précédant celle de 1939-45, ce qui est factuellement faux, ou en tout cas très discutable. En fait, le libre échange nous est présenté comme un universalisme porteur de paix et de prospérité, ce qui est risible lorsqu'on observe sans esprit partisan les résultats de la mondialisation dite heureuse. Au passage, cette imposture idéologique a entraîné la gauche dans son sillage au point de la rendre incapable, dans les pays développés, de proposer une alternative crédible à son électorat.

Finalement, l'erreur des élites est de croire que l'alternative qui s'offre au monde se situe entre le libre échange et un protectionnisme volontiers diabolisé. Les derniers développements de la crise montrent qu'en l'absence d'une option raisonnée, c'est-à-dire celle d'un recentrage des échanges à l'échelle régionale, nous risquons au contraire de voir apparaître des protectionnismes nationaux. La façon dont la Grande Bretagne ou la Chine utilisent la faiblesse de leur monnaie nationale pour se protéger est une indication. L'exemple récent de la Chine est là, qui vient de limiter ses appels d'offres de grands travaux au niveau national. Comme l'annoncent certaines mesures envisagées aux États-Unis à la fin juin et, en fin de compte, l'adoption de plans de relance nationaux. Si les contribuables français, allemands ou américains sont appelés à y contribuer, accepteront-ils que leur argent serve à créer des emplois dans d'autres pays que le leur ? Les grèves supposément xénophobes qu'a connues le Royaume-Uni, ou les pogroms anti-immigrés de l'Italie n'annoncent-ils pas des replis nationaux délétères, favorisés – ultime paradoxe – par l'idéologie libre-échangiste ?

Marianne2 - 13.07.09

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