Des faits
Quelques semaines avant le Coup d’État en Amérique centrale, il y a eu l’élection présidentielle iranienne. Ahmadinejad était donné favori dans les sondages et plusieurs analystes sérieux le donnaient gagnant, même au premier tour.
Malgré sa victoire prévisible, dans les secondes qui ont suivi les premières lueurs du résultat, les médias occidentaux ont crié au loup et se sont indignés à en déchirer leur chemise, d’une présumée fraude.
La fraude, un magnifique prétexte pour ébranler la dictature religieuse islamique et perturber ce pays qu’on aimerait bien envahir.
Nos soldats de l’information idéologique globale ont rapidement pris leurs armes médiatiques pour donner toute l’eau possible au moulin de l’opposition pour parvenir à déstabiliser le régime des mollahs.
Une remarquable campagne d’acharnement médiatique d’une intensité frénétique, constante et soutenue fut rapidement enclenchée.
Encore aujourd’hui, plus d’un mois après (l’élection en Iran a eu lieu le 12 juin) ce résultat électoral contesté (surtout par nos médias-moraux), l’acharnement médiatique se poursuit quotidiennement. [1].
Radio Canada qui n’est pas en reste côté lutte pour l’idéologie globale, nous présente « À la Une » depuis un mois, dans sa page internationale, le dossier Iran « Le régime contesté ». Habituellement, même pour des causes importantes, le dossier ne se trouve pas à la Une, il est plutôt relégué en bas de page parmi les dossiers importants et méritant plus de profondeur (sic). L’Iran a depuis plus d’un mois, une côte de faveur exceptionnelle [2]. Même les carnets de Radio Canada font une place de choix pour l’Iran. Carnets qui changent de sujet généralement à toutes les semaines, tiennent à l’affiche l’Iran :
Brousseau depuis le 15 juin : « La gifle iranienne » (changé hier) a tenu le coup pendant un bon mois. Globensky depuis le 16 juin : « Iran au féminin » et Szacka depuis le 23 juin : « L’Iran et le tsunami vert ». Trois carnetiers pour l’Iran. Jamais un sujet n’a été tant choyé (on dira sûrement que c’est à cause des vacances...).
Combien de carnet et de dossier pour le Honduras sur la page internationale de Radio Canada. Aucun (jusqu’à hier).
Il a fallu près d’un mois avant que le soldat Brousseau ponde un carnet s’intitulant : « Honduras : un putsch réussi ? »
Dans nos médias favorisant l’idéologie globale néolibérale, le Honduras a été un sujet à éviter le plus possible. En comparaison avec l’Iran, c’est un contraste frappant.
L’acharnement médiatique soutenu de nos soldats de l’information morale pour la cause iranienne qui s’est enturbanné des valeurs de la démocratie et de la liberté (valeurs nobles s’il en est) a été spectaculaire.
Et pourtant considérant ces nobles valeurs (démocratie, liberté), le Honduras aurait mérité autant d’égards que l’Iran. On pourrait même dire, sans exagérer, que le Honduras méritait cent fois plus une lutte médiatique. La fraude électorale (chose courante, en Algérie, en Égypte, en Arabie saoudite, au Kenya, au Congo, au Burkina Faso, au Gabon, même aux USA) n’est tout de même pas une atteinte à la démocratie d’une gravité équivalente à celle d’un Coup d’État.
Pour le Honduras, où sont donc passés nos soldats de la moralité en information ?
La cause hondurienne ne correspond pas aux valeurs de l’idéologie globale dont nos soldats des médias-moraux défendent avec tant d’acharnement.
Pour nos soldats de l’information d’idéologie globale, le Coup d’État au Honduras s’explique.
Les médias-moraux considèrent que le Honduras a vécu un salutaire Coup d’État « démocratique » (sic). On nous explique que les militaires au service du Congrès et de la "justice" hondurienne deux institutions qui elles sont totalement au service de la Constitution inaltérable et surtout « démocratique », ont préservé la Constitution du pays contre la scélératesse autorité du Président ÉLU Zelaya.
Nos soldats de l’information morale n’ont à peu près pas réagi face au renversement par les armes d’un Président ÉLU.
Nos soldats de l’information morale ne se sont pas indignés devant la fermeture de plusieurs médias favorables au gouvernement Zelaya.
Aucune indignation non plus face à la coupure d’internet, des lignes téléphoniques et des cellulaires.
On s’indignait de ladite censure d’internet en Iran pendant que Twitter faisait des ravages et qu’on nous montrait la mort en direct.
On s’indignait à en pleurer de la censure des médias en Iran alors que des dizaines de reporters internationaux faisaient des "stand-up" dans les rues de Téhéran.
Aucun journaliste (autre que ceux de TeleSur) à Tegucigalpa. Notre brave Radio Canada guidée par son idéologie n’a pas cru bon de dépêcher le moindre reporter en Amérique centrale. La soldate Lamarche est restée bien peinarde dans son hôtel de Rio et s’est faite haut-parleur du dictateur Micheletti et du régime putschiste. Jean-Michel Leprince nous a fait un reportage de diversion en Jamaïque (sur le taux de criminalité plus que légendaire de ce pays) et il y a trois jours, notre expert de l’Amérique latine nous parlait de la publicité au Brésil (il faut le faire !).
Pendant que l’on parle de criminalité en Jamaïque et de publicité au Brésil, la population hondurienne subit la dictature d’un Coup d’État militaire. Les libertés civiles sont en bonne partie abolies, les assassinats deviennent un danger constant, la censure est sévère et les règles les plus élémentaires de la démocratie sont bafouées d’une façon flagrante et totalement inacceptable. D’ailleurs depuis trois semaines un concert unanime de protestations sans précédent pour condamner ce Coup d’État (qui est une attaque flagrante contre la démocratie en Amérique latine) se fait entendre.
Aucun journaliste pour la réunion urgente des pays de l’ALBA.
Aucun journaliste et aucune couverture médiatique de la rencontre importante et urgente du groupe de Rio.
Aucun journaliste et aucune couverture notable des réunions importantes de l’OEA.
Aucune retransmission de la résolution urgente de l’assemblée générale de l’ONU regroupant 192 pays qui ont voté unanimement contre le régime dictatorial de Micheletti.
Aucune reprise de l’excellent discours du Président Zelaya à l’ONU [3].
Autant les médias au service de l’idéologie globale donnèrent de l’eau au moulin des opposants iraniens pour ce quasi non-événement, autant les médias-moraux ont participé par leur silence éloquent à la réussite du Coup d’État hondurien.
Isis Murillo n’aura pas eu la chance de Neda. Sa mort n’aura pas servi la cause. Tout le monde connaît Neda, pratiquement personne ne sait comment est mort Isis. Nos médias-moraux n’ont pas les mêmes barèmes pour la démocratie iranienne que pour celle du Honduras.
Mourir pour la cause en Iran suscite un intérêt presque indécent tandis que la mort au Honduras (pays qui s’est rangé dans l’axe du mal de l’ALBA) ne vaut pas plus qu’un chien écrasé [4]
Bien que le Honduras ne fasse plus les manchettes, la lutte du peuple dans les rues ne cesse pas pour autant. Il faut prendre notre information sur les réseaux de « l’axe du mal » de Chávez pour être au courant [5].
DÉSINFORMATION
Le silence complice de nos médias-moraux est flagrant.
Mais ce qui est encore plus "vicieux", c’est la subtile désinformation.
Si on demande pourquoi donc y a-t-il eu un Coup d’État au Honduras, la majorité répondra que Zelaya voulait continuer de gouverner "illégalement" le pays.
PURE DÉSINFORMATION
Le Coup d’État a eu lieu parce que Zelaya voulait consulter la population.
Si on demande quel était le but de la consultation, on répondra que Zelaya demandait que son mandat soit prolongé (ou qu’il puisse se représenter une fois de plus à la prochaine élection présidentielle).
PURE DÉSINFORMATION
Le but de la consultation était de savoir si la population voulait une 4e urne aux prochaines élections générales prévues en novembre 2009.
Qu’est-ce que la 4e urne ?
Le président Zelaya a très bien expliqué devant l’assemblée générale de l’ONU (lors de son discours de plus d’une heure), la consultation qu’il prévoyait faire le jour de son renversement par les militaires [6].
Qu’est-ce qu’une 4e urne ?
La possibilité pour les citoyens honduriens de voter sur 4 points différents le jour des élections générales de novembre prochain.
1- Élection pour le Président
2- Élection législative
3- Élection des Alcadias (municipales)
Et en ajout :
4- Vote référendaire pour la possible création d’une assemblée constituante
QUATRE urnes différentes pour quatre choix distincts.
La 4e urne consiste à un vote référendaire [7] sur la création d’une assemblée constituante. Assemblée qui étudierait certains ajustements ou amendements à la constitution.
Donc, la consultation du 28 juin ne parlait pas du tout de prolongation de mandat présidentiel, ni d’abolition du nombre limite de mandats présidentiels consécutifs (comme nous avons au Canada) et encore moins de l’abolition des élections afin d’établir une « présidence à vie ».
La consultation qui a causé le renversement du Président ÉLU Zelaya ne demandait aux citoyens que s’ils voulaient pouvoir se prononcer sur la possible création d’une assemblée constituante. Rien de plus.
Bien sûr, en fin de compte, il était possible que la constitution soit modifiée afin de permettre plusieurs mandats présidentiels successifs (comme ici, au Canada, ou encore en France ou en Angleterre et dans plusieurs pays totalement démocratiques [8]), mais le but réel de la révision de la constitution est de la rendre plus favorable aux simples citoyens.
L’objectif est de rendre la démocratie hondurienne plus participative. C’est-à-dire donner plus de pouvoir à tous ces citoyens laissés pour compte ainsi qu’à toute cette population indigène considérée depuis toujours comme étant des citoyens de seconde zone.
De dire que Zelaya travaillait à sa propre réélection est de la pure désinformation.
Même si la population acceptait la 4e urne, c’est-à-dire d’être consulté pour accepter ou pas la création de l’assemblée constituante lors des élections générales de 2009, Zelaya ne pouvait pas se présenter à ces élections. De plus, l’acceptation de la 4e urne ne garantit en rien la création d’une assemblée constituante. La création d’une assemblée constituante ne pouvait se faire sans le consentement de la population qui aurait eu à se prononcer pour sa mise en place en votant dans la 4e urne lors des élections générales de novembre (4e urne s’ils avaient dit OUI à la consultation du 28 juin).
Si la population l’acceptait, l’assemblée constituante aurait alors travaillé à remodeler la Constitution pour rendre la démocratie hondurienne plus participative, garantissant ainsi le pouvoir des simples citoyens tout en les protégeant contre les abus de la démocratie représentative, démocratie dont la majorité des pauvres citoyens ont toujours subi les choix sans jamais avoir voix au chapitre. Depuis toujours, les démocraties (sic) d’Amérique latine n’ont servi que la riche bourgeoisie et favorisé la mise au pas de 60 à 80% de laissés pour compte (tous ces habitants des nombreux bidonvilles, favelas, barrios, ainsi que tous ces pauvres paysans et ces populations indigènes).
Après ces mois d’études et de travaux pour en arriver à une Constitution plus équitable, la population aurait eu à se prononcer pour l’acceptation finale de la nouvelle Constitution.
Il est clair que la réalité est à des lieues de la DÉSINFORMATION que nous offrent nos médias-moraux qui disent que Zelaya a été renversé « démocratiquement » (sic) par les armes parce que celui-ci voulait prolonger « illégalement » sa présidence.
On peut observer le bulletin de vote prévu pour la consultation du 28 juin :
http://img20.imageshack.us/img20/2605/encuestan.jpg
On peut y lire la question qui a causé le renversement par les armes du Président ÉLU Zelaya :
¿Está de acuerdo que en las elecciones generales de 2009 se instale una cuarta urna en la cual el pueblo decida la convocatoria a una asamblea nacional constituyente ?
Sí ó No.
Qui se traduit par :
« Êtes-vous d’accord qu’aux prochaines élections générales de 2009, une 4e urne soit installée pour permettre au peuple de se prononcer sur la convocation (création) d’une assemblée nationale constituante ? OUI ou NON » [9]
Un Coup d’État réussi ???
Comme le titre le carnet du soldat radio canadien Brousseau : « Honduras : un putsch réussi ? » Il semble que le Coup d’État ait, pour l’instant, de facto, réussi.
Malgré l’unanimité internationale contre ce régime dictatorial qui vient de s’installer au Honduras, il semble que les putschistes sont bien en selle. On constate alors la force de l’arme médiatique. L’ALBA, le groupe de Rio, l’OEA, l’UE et même l’ONU unanime ne font pas le poids face aux médias.
Les médias nous présentent de facto la situation et nous imposent en quelque sorte son acceptation. Dans l’esprit de plusieurs, le cas hondurien est réglé. Le Honduras a un nouveau Président (sic) : Roberto Micheletti.
Quel triste constat !
Nous avons une fois de plus la démonstration [10] que nos médias guidés par l’idéologie globale néolibérale font du deux poids deux mesures face à ces valeurs nobles que sont la démocratie, la liberté et les droits humains.
Pour contrer l’arme médiatique, il faut une politisation constante des citoyens (ce que s’évertuent à annuler les médias d’idéologie néolibérale. On constate leur succès par le taux décroissant de participation aux élections) ainsi qu’une solidarité totale des populations (ce que peuvent aussi facilement saper nos soldats de l’idéologie globale).
Le sort du Honduras (comme de tous les pays) est dans les mains de sa population. Par contre, l’ingérence médiatique peut favoriser (comme en Iran) ou détruire (comme en Amérique latine) l’effort des populations pour accéder à un monde plus équitable, à une meilleure démocratie ou tout simplement à plus de dignité humaine.
Le Grand Soir - 17.07.09
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