Jonas Pouclet
Quelles différences voyez-vous entre le rôle du sociologue et celui des politiques?
Les hommes politiques ont quand même un premier souci qui est d’agir sur les gens, pour les amener à se conduire d’une certaine façon. Nous, sociologues, notre rôle est d’accroître leurs ressources de réflexivité. Notre travail, c’est de laisser les gens libres de cette réflexivité, de leur donner une gamme de ressources plus large pour le faire. Il ne s’agit donc pas de les rendre impuissants, mais au contraire, de les aider à avoir des positions un peu moins robustes, mais surtout moins sommaires.
J’aimerais connaître votre point de vue sur la crise et le mouvement populaire de jeudi ?
Il me semble que cette crise est une crise du capitalisme et une crise de surproduction. On a l’impression d’un retour à des luttes de classes interprétables en termes marxistes. D’ailleurs, la crise des sub-primes est largement le résultat d’une surproduction puisqu’il s’agissait de vendre des logements construits en grand nombre à des gens qui n’avaient pas d’argent pour les acheter. Il y a aussi une inquiétude qui est légitime quant au travail et au pouvoir d’achat. Et puis, l’équipe qui est actuellement au pouvoir est très malhabile. Je ne comprends pas bien le pari qu’elle a fait de jouer sur le bling bling, sur la Star Ac’, etc. En période de crise, il est quand même extrêmement coûteux et étrange de refuser de toucher au bouclier fiscal. Ça prouve qu’il faut vraiment ménager les 30% de mecs de droite qui sont, pour le coup, le bouclier électoral. L’exaspération politique montante est impressionnante aussi.
Et la mobilisation des universitaires ?
C’est très intéressant le monde de la recherche et de l’enseignement supérieur, parce que la LRU ne faisait pas l’objet d’une grande opposition chez les profs. Au fond, sans le discours du 22 janvier (NDLR : de Nicolas Sarkozy), ça aurait pu assez bien passer. Alors, qu’est ce qui a pu motiver ce discours ? Ça peut être un mode de gouvernement qui est classique en fait. On humilie les gens, on les pousse à bout pour montrer que, même poussés à bout, ils ne peuvent rien. Après ils sont cassés. Ça peut-être fait aussi pour des raisons internes, pour gêner les ministres. Je ne crois pas aux bavures. Je crois que quand on est avocat d’affaires, on ne fait pas de bavure. Maintenant, il faudrait un peu de sérieux, et pas seulement des Rolex, quoi !
Dans votre conférence, vous avez expliqué comment vous reconnaissiez un homme de gauche d’un homme de droite. Pouvez-vous-nous le répéter ?
Pour être de droite, il faut avoir comme premier réflexe de penser qu’il y a une justice immanente. C’est en somme ne pas avoir conscience du privilège de ses privilèges. Être de gauche, c’est accorder beaucoup plus d’importance au contexte qu’à l’individu. C‘est renoncer à justifier ses privilèges, d’avoir conscience du privilège des privilégiés, et c’est penser que ce privilège est largement arbitraire. Le sens de l’égalité et le sens de la solidarité sont fondamentaux. L’anticapitalisme est lié à l’idée que l’Etat doit protéger les citoyens des inégalités produites par le capitalisme.
Libération - 22.03.09
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