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12/03/2009

A Clairoix, Continental roule ses salariés

Très remontés, les 1120 employés du fabriquant de pneus s’estiment trahis par leur direction. La fermeture du site a été annoncée malgré la signature d’un accord sur le retour au 40 heures.
Dans l’Humanité de vendredi, le récit de deux années d’opérations financières désastreuses. Comment la jurisprudence autorise à licencier pour "sauvegarder" leur compétitivité.

Le plus gros plan social depuis le début de la crise commence dans la douleur. Hier matin, Louis Forzy, directeur de l’usine Continental de Clairoix (Oise), monté à la tribune pour s’adresser aux salariés, s’est pris d’emblée des œufs dans la figure, suivit la seconde d’après par un drapeau CFTC lancé comme un javelot. « L’œuf, ok. Mais le bâton, quand même, c’est abusé ! », s’énerve un ouvrier. « Mais c’est rien à côté de ce qu’ils sont en train de nous faire », lui répond un autre sur le même ton, tandis que le patron est exfiltré hors de la salle, sous la protection des vigiles qui ont fait leur apparition dans l’usine la veille. La veille, la direction a annoncé la fermeture de ce site de fabrication de pneus, qui emploie environ 1120 salariés. Depuis, l’usine est arrêtée.
On va leur faire des pneus carrés

« Il y a quelques semaines, la direction mentait en affirmant que le site resterait ouvert, que les rumeurs de fermetures étaient des spéculations, s’indigne Natalino Marujo de la CFTC (majoritaire). Mais ce qui nous rend vraiment mauvais, c’est l’accord sur le retour aux 40h. On accepté, on a fait des efforts et maintenant un millier de familles sont dans la merde. » Il y a deux ans, la CFTC et la CFE-CGC ont signé l’accord, contre une promesse d’augmentation de 100 euros par mois et 130 embauches. « Tout cela, nous l’avons obtenu, mais le point central, c’était la garantie tacite de la direction de ne pas fermer le site, raconte d’une voix fatiguée Antonio Da Costa, secrétaire CFTC du CE. Ce qui nous arrive aujourd’hui, c’est une vraie trahison, je comprend la violence des collègues. » Aujourd’hui, les deux syndicats se préparent à dénoncer l’accord.

« Nous avons fait 28 millions de bénéfices en 2008, 47 en 2007 et 56 en 2006, affirme de son côté Farid Mania, représentant CFDT au CE. C’est l’argent que nous faisons depuis des années qui a permis de construire l’usine Continental de Timisoara. Aujourd’hui, on a l’impression que nous avons creusé notre propre tombe. » Mercredi, Bernhard Trilken, vice-président de Continental, mettait en avant la « surproduction mondiale de pneus, consécutives de la chute brutale (30 %) de la demande et de la réduction des coûts » due à la crise du secteur automobile. « Cela ne les empêche pas de nous demander de continuer à produire comme si de rien n’était !, lance Xavier Mathieu, délégué CGT. S’il veulent qu’on travaille, on travaillera, mais on va leur faire des pneus carrés ou ovales. »
« C’est nous les irresponsables ? »

Quelques minutes après le départ précipité de Louis Forzy, Philippe Bluvarck, numéro deux du site, prend le relais au micro, encadré par des membres de l’intersyndicale CFTC, CGT, CFDT, FO, CFE-CGC. Les injures fusent de la foule, les questions aussi. « Cela fait trois ans que la production baisse, depuis combien de temps la fermeture est-elle programmée ? » « A quoi a servi l’accord sur les 40 heures ? ». Xavier Mathieu (CGT) exige la garantie du paiement de tout les salariés, pendant toute la durée de l’opération, même si rien ne sort de l’usine. « Légalement, je ne peux pas prendre cet engagement, même si je comprend les difficultés », répond, diplomate, Philippe Bluvarck. Avant de quitter l’estrade, le directeur adjoint met en garde contre « tous actes irresponsables ». Xavier le cégétiste court aussi sec vers le secrétaire du CE : « Non mais tu y crois Tonio ? C’est nous les irresponsables maintenant ? » En définitive, les salariés, qui ont décidé de poursuivre la grève de fait et de lancer une procédure judiciaire, ont obtenu le paiement des salaires au moins jusqu’à mardi.

Tandis que les employés partent bloquer le rond-point près de l’usine, trois jeunes les regardent passer, l’air un peu halluciné. Rémi, Nordine et Alexy, élèves de BTS, sont en apprentissage à Clairoix depuis quelques mois. « C’est pas bien ce qui se passe. C’est normal qu’ils se défendent », estiment-ils. Mais une chose est sûre, ces trois apprentis, âgés de 19 à 21 ans, ont décidé de passer leur chemin à la fin de leur formation, renonçant d’avance à l’idée d’être embauchés sur ce site vieux de 75 ans. « Continental, c’est pourtant une entreprise historique, la première entreprise de l’Oise en terme d’employés », regrette Renza Fresch, conseillère régionale et maire (PS) de Venette, venue soutenir les salariés. Ces derniers en sauront plus au CCE de lundi prochain. Une vingtaine de cars ont déjà été affrétés pour amener les ouvriers de Clairoix et Sarreguemines à Reims. « Et on va se faire entendre, même si on est foutus ! », hurle face à une caméra de télé, un employé de Clairoix qui a déjà connu plusieurs grèves dures, la dernière en 1994 pour les salaires.

L'Humanité - Mehdi Fikri - 12.03.09

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