Michel Husson
APRÈS LA RÉCESSION DE 1974-1975, PARFOIS BAPTISÉE « CHOC PÉTROLIER », LES GOUVERNEMENTS AVAIENT, DANS UN PREMIER TEMPS, EU RECOURS AUX RECETTES KEYNÉSIENNES HABITUELLES. Ils se sont assez vite rendu compte qu’elles ne « mordaient » plus. D’où, quelques années plus tard, le big bang néolibéral qui ouvrira une période que la crise actuelle vient de clore. Le même scénario se reproduit aujourd’hui : les gouvernements changent leur fusil d’épaule et en reviennent à des politiques de relance que l’on peut qualifier grosso modo de keynésiennes. Mais ce retour à la case départ est impossible. Première raison : la crise financière est loin d’être terminée et les mauvaises surprises sont encore à venir. L’argent injecté va être en grande partie englouti sans effet durable sur l’économie « réelle ». De même qu’on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif, on ne contraint pas à prêter un banquier qui cherche à rétablir ses marges, ni à investir un patron dont les carnets de commande sont vides.
Deuxième raison : la configuration de l’économie mondiale qui prévalait jusqu’ici ne peut être remise sur pied. La croissance des Etats-Unis ne peut plus être tirée par le surendettement des ménages, celle de la Chine par les exportations et le surinvestissement, et l’arrangement entre ces deux grandes puissances – « je t’achète, tu me prêtes » – est lui aussi rompu. En Europe, la cacophonie des plans de relance cache une volonté de gagner par tous les moyens des parts de marché sur le dos des voisins.
Dans cette situation, le quasi-consensus keynésien recouvre en fait trois positions. Les néolibéraux n’ont pas perdu l’espoir d’un mal provisoire : on injecte de grosses sommes dans l’économie et cela repart comme en 40. C’est ce qui explique l’écart énorme que l’on peut constater – de manière caricaturale chez Sarkozy – entre les engagements solennels à réguler, voire à refonder le capitalisme, et les décisions concrètes qui relèvent toutes de l’art cosmétique. La conjoncture de fin d’année pourrait leur donner apparemment raison, si les plans de relance produisent un petit frémissement de l’économie réelle. On peut parier à l’avance que le premier trimestre à croissance zéro sera célébré comme le signe d’un retour à la normale. Mais cet espoir sera de courte durée et, une fois dissipés les effets des plans de relance, on s’apercevra que l’on n’est pas vraiment sorti de la crise.
Les sociaux-libéraux ressortent de leurs archives leur plan de relance de 1981 qui se heurterait aujourd’hui aux mêmes obstacles : pertes de parts de marché, grève de l’investissement et fuite des capitaux, puisqu’il n’est assorti d’aucune mesure de contrôle. Mais ce qui le rend aussi peu convaincant auprès de l’opinion, c’est qu’il n’apporte pas de réponse de fond à la hauteur de la crise. Au lieu des 26 milliards de Sarkozy, on en annonce 50, mais rien n’est dit du nécessaire droit de regard de la population sur les banques, sur la répartition des richesses, sur la fiscalité et l’usage des dépenses publiques.
La gauche radicale doit évidemment défendre une autre répartition des richesses, grâce à l’augmentation des salaires et des revenus sociaux et des dépenses budgétaires socialement utiles, d’un côté, et de la taxation des revenus du capital de l’autre. Mais elle doit également avancer des objectifs de transformation sociale remettant en cause le fonctionnement même du capitalisme. Il faut donc combiner l’idée d’un « bouclier social », autrement dit des mesures d’urgence parfaitement légitimes, avec une perspective anti-capitaliste. Le risque est ici le grand écart entre surenchères revendicatives pour aujourd’hui et grandioses proclamations programmatiques pour après-demain. Prenons l’exemple de l’interdiction des licenciements. Plutôt que de renvoyer à la loi que promulguerait un gouvernement vraiment à gauche, il vaudrait mieux faire vivre ce slogan en proposant un contrôle des travailleurs sur la gestion de l’emploi par les entreprises : droit de veto sur les licenciements, affectation des aides publiques au maintien de tous les salaires, etc.
Le capitalisme est aujourd’hui dans une forme d’impasse, en ce sens qu’il ne peut rétablir le néolibéralisme et ne peut pas non plus restaurer le « fordisme » des Trente glorieuses. S’ouvre alors une période d’incertitude, plus ou moins chaotique, qui va être marquée par une course de vitesse entre les options anticapitalistes et un national-libéralisme musclé et répressif.
Regards n°60, mars 2009
À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.
11/03/2009
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