À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

28/09/2010

«La famille noire est toujours un problème pour ce culturalisme»

Interview - Eric Fassin, sociologue

Eric Fassin est sociologue à l’Ecole normale supérieure. Il estime que «la démonstration» d’Hugues Lagrange «ne tient pas».
La dérive des cités sensibles a-t-elle une dimension culturelle, comme l’écrit Hugues Lagrange dans le Déni des cultures ?
Son constat n’est pas original : comme d’autres, il traite de la «nouvelle question sociale» qui monte depuis trente ans, et dont les émeutes de 2005 ont été le symptôme. Mais son interprétation est bien en rupture avec les sciences sociales actuelles, auxquelles il reproche leur «déni des cultures» : il révise les analyses néoconservatrices, aux Etats-Unis, sur la «culture de la pauvreté», à la lumière d’un culturalisme anthropologique des années 1930. Les inégalités socio-économiques n’expliquent pas tout, dit-il - et ceux qui, comme moi, s’intéressent à la «question raciale» ne peuvent qu’être d’accord. Mais il va plus loin : les discriminations raciales ne suffiraient pas à expliquer les différences entre «sous-cultures». Il mobilise donc l’«origine culturelle». Et d’expliquer ainsi la situation des immigrés noirs du Sahel. Or sa démonstration ne tient pas : la précocité des différences scolaires entre groupes, annonçant les mêmes différences en matière de délinquance, ne s’expliquerait par l’origine culturelle que si la socialisation primaire n’avait rien à voir avec la société d’accueil. Or l’école et la famille sont tout autant traversées par les logiques de racialisation qu’entraînent discriminations et ségrégation.
La culture n’expliquerait rien selon vous ?
La culture n’est pas une explication ; c’est ce qu’il faut expliquer. Lagrange lui-même finit par se contredire : il bascule de «l’origine culturelle», héritage du passé, à «l’ethnicisation», effet du contexte présent. D’un côté, il croit trouver dans la famille noire américaine contemporaine les traces des Africains «de la forêt». De l’autre, il parle de «néotraditionalisation» plus que de tradition : c’est le contexte français de stigmatisation de l’islam qui «démodernise» les Turcs laïcs. Lagrange affirme à la fois l’affaiblissement du modèle patriarcal chez les Maghrébins et son renforcement chez les Sahéliens : l’explication n’est donc pas du côté de l’origine !
Pourtant, ce livre rencontre un réel écho…
Il est hélas d’actualité par ses thèmes (immigration et délinquance) et par sa grille d’interprétation : la cause du problème, c’est «eux» plus que «nous» - leur culture, plutôt que notre politique. Ainsi, il distingue deux catégories de Noirs : aux États-Unis ou aux Antilles, le père serait trop absent. En métropole, avec les immigrés sahéliens, ce serait le contraire : le père serait trop présent. «Matrifocalité» ou «patriarcat», pour ce culturalisme, la «famille noire» est donc toujours un problème. Or à droite, lors des émeutes de 2005, Gérard Larcher et Bernard Accoyer, actuels présidents du Sénat et de l’Assemblée nationale, mettaient eux aussi en avant la polygamie. Certes, Lagrange rejette l’exclusion des immigrés. Mais ce n’est pas son plaidoyer multiculturaliste qui fait son succès. S’il séduit les médias, c’est qu’il conforte le sens commun par un livre savant censé briser un tabou en disant tout haut ce que beaucoup pensent tout bas.

http://www.liberation.fr/societe/01012292610-la-famille-noire-est-toujours-un-probleme-pour-ce-culturalisme

Sem comentários:

Related Posts with Thumbnails