Comment évolue la situation dans les quartiers les plus défavorisés ? Les 716 "zones urbaines sensibles" pour les non initiés ? L’arrivée au Gouvernement de Fadela Amara, issue de ces quartiers, et la volonté proclamée (par la loi du 1er août 2003 « pour la ville et la rénovation urbaine ») de « réduire d’au moins un tiers le nombre de chômeurs dans les ZUS sur une période de cinq ans, et de rapprocher le taux de chômage de l’ensemble des ZUS de celui de leur agglomération de référence » avaient suscité bien des espoirs. Le rapport 2009 de l’Observatoire national des ZUS (ONZUS), permet de dresser un premier bilan. A vrai dire, pas très enthousiasmant.
Cinq ans après, force est de constater que l’on reste très éloigné de l’objectif de réduction d’un tiers du nombre de chômeurs (ou du taux de chômage, on ne sait trop). En 2003, le taux de chômage dans les zones urbaines sensibles s’élevait à 17,2 %, alors que, dans les « quartiers hors ZUS des agglomérations urbaines possédant des ZUS », il s’établissait à 8,7 %. C’est en effet cette comparaison qui est pertinente, et non celle avec le taux de chômage national. Parce que, pour les habitants des quartiers sensibles, c’est la comparaison avec le reste de l’agglomération dans laquelle ils vivent qui importe : ce qu’ils voient et ressentent, c’est qu’ils sont plus mal lotis que les autres habitants de la même agglomération. En 2008, le taux de chômage « ZUS » a légèrement diminué (16,9 %), mais hors de ces quartiers l’amélioration est nettement plus sensible (7,7 %). Le rapport entre taux de chômage ZUS et taux de chômage « hors ZUS des agglomérations ayant une ZUS » n’a cessé de se dégrader tout au long de la période, puisqu’il est passé de 1,98 (en 2003) à 2,07 en 2006, pour atteindre en 2008 2,19. Dit autrement : le train de la reprise de l’emploi, dans une agglomération, a servi aux habitants hors de ces zones urbaines davantage qu’aux habitants de celles-ci.
Pourquoi ? Les employeurs semblent de plus en plus réticents à embaucher des candidats provenant des quartiers les plus défavorisés alors qu’ils le sont moins lorsqu’il s’agit de candidates. Mais ce n’est là qu’un constat, pas une explication. Même si le rapport n’en fournit pas de façon explicite, on devine, à lire les analyses, qu’il propose trois pistes envisageables. Première piste possible : le faible niveau de formation des personnes actives – personnes en emploi ou en recherche d’emploi - domiciliées en zone urbaine sensible, au regard de celui des habitants des mêmes agglomérations non domiciliés en ZUS. Le niveau de formation constitue sans doute le « sésame » essentiel pour trouver un emploi, en partie parce que les emplois incorporent une dose croissante de technicité et d’autonomie, et en partie parce que l’absence de diplôme constitue une sorte de signal avertisseur auquel les employeurs sont très sensibles, surtout lorsqu’il s’agit de jeunes sortant du système éducatif. Or, sur quatre actifs de ces quartiers, un ne possède aucun diplôme, alors que, ailleurs, la proportion n’est que de 10 %. Certes, entre 2003 et 2008, la situation relative des ZUS s’est améliorée : le rapport fait remarquer que la proportion des non-diplômés parmi les actifs est passée de 29 à 22 % (- 7 points) dans les ZUS, et de 14 à 10 % ailleurs (- 4 points). Mais ce raisonnement en points n’est pas très probant. Circonstance aggravante, l’amélioration en termes de diplômes porte essentiellement – notamment pour les hommes – sur des diplômes de faible niveau (CAP, BEP). En 2008, la hausse du nombre de chômeurs dans les ZUS concernait, pour les trois quarts, des personnes n’ayant pas de diplôme ou un diplôme inférieur au bac. Quand le diplôme se banalise, le fait de ne pas en avoir (ou d’en avoir un de niveau faible) vous dévalorise. Ainsi, pour les jeunes de 15 à 24 ans habitant en ZUS, le taux de chômage de ceux qui sont dépourvus de diplôme (ou dont le diplôme est inférieur au bac) a augmenté de six points entre 2007 et 2008, alors qu’il se réduisait de 1 à 2 points pour ceux d’entre eux qui avaient le bac ou davantage.
Deuxième piste possible : les discriminations. Le raisonnement consiste ici à comparer des situations « toutes choses égales par ailleurs », c’est-à-dire en ne retenant qu’un critère de différenciation et en regardant si ce critère s’accompagne d’une réduction significative de la probabilité d’être en emploi (ou d’une augmentation significative de la probabilité d’être au chômage). On constate ainsi que, pour les jeunes sortis depuis trois ans du système éducatif, ceux qui vivent hors ZUS (mais dans une agglomération en comportant une) ont 1,3 fois plus de probabilité d’avoir un emploi en CDI que ce n’est le cas pour les jeunes habitant des quartiers sensibles. Et cet écart se maintient, voire s’aggrave, selon le niveau de diplôme : les jeunes ayant un diplôme d’au moins bac + 2 sont 1,4 fois plus souvent en CDI hors ZUS qu’en ZUS. Avoir un père né en France accroît de 32 % la probabilité d’avoir un CDI quand on vit hors zone urbaine sensible (mais toujours dans une agglomération où se trouve une ZUS) et de 42 % quand on vit en ZUS. L’origine ethnique compte donc énormément, d’une manière générale mais encore davantage quand on se trouve dans les territoires les plus difficiles. Au sein de la zone urbaine sensible, l’écart de probabilité, sans être aussi important, demeure néanmoins considérable, puisque le fait d’avoir un père français améliore vos chances d’avoir un CDI de 16 % (19 % s’il s’agit d’un emploi tout court) par rapport à ceux dont le père est maghrébin, africain ou asiatique. Bref, sans qu’il soit nécessaire de recourir au testing, il est clair qu’avoir un nom ou une apparence d’origine extra-européenne constitue un handicap plus ou moins important, même à diplôme identique.
Troisième piste possible : le faible nombre d’emplois créés dans ces quartiers. On le sait : l’accès à l’emploi est souvent conditionné par une capacité à être mobile, ce qui défavorise ceux qui ne peuvent pas l’être. Les raisons de cette difficulté de mobilité peuvent être objectives : quartier éloigné et mal relié aux parties de l’agglomération où se situent la majorité des emplois, absence ou insuffisance de systèmes publics de garde d’enfants, absence de moyens de locomotion, … Mais elles peuvent être plus subjectives : crainte de devoir rentrer chez soi tard et seul(e) dans des quartiers où l’insécurité est souvent importante, handicap du voile que la pression sociale du quartier peut obliger les femmes à porter, d’où l’importance de créer des emplois au sein même des zones urbaines sensibles.
Au total, entre chômage élevé et dynamique économique réduite, les ménages vivant dans les quartiers en difficulté sont caractérisés par des revenus (fiscaux, c’est-à-dire hors prestations familiales, bourses, aide sociale et allocations logement) inférieurs de 40 % en moyenne à ceux observés dans le reste des agglomérations concernées. Dans les ZUS les plus en difficulté (celles dites « de priorité 1 »), l’infériorité moyenne s’élève même à 47 %, et l’on ne constate aucune amélioration depuis 2002. En d’autres termes, les ZUS continuent de concentrer en leur sein de nombreux habitants en proie à des difficultés économiques majeures : 90 % des habitants des ZUS ont un niveau de vie (fiscal, c’est-à-dire non compris les éléments mentionnés ci-dessus) équivalent ou inférieur à celui du cinquième le plus pauvre vivant dans les mêmes agglomérations hors ZUS. Et dans un cas sur trois, l’évolution du niveau de vie fiscal médian (celui tel que moitié des gens ont plus et moitié ont moins) dans les ZUS entre 2002 et 2006 a été négatif. Bref, non seulement les conditions de vie sont difficiles, mais on ne décèle aucun rattrapage, contrairement à ce que l’évolution des emplois salariés au sein des ZUS pouvait laisser espérer.
De l’ensemble de ces constats ressort finalement une impression d’ensemble : alors que la politique de la ville avançait des objectifs ambitieux, la réalité sociale se révèle rebelle. Question de moyens ? Sans doute, mais pas seulement : les 600 millions d’euros consacrés en 2008 aux exonérations fiscales et sociales spécifiques dans les zones franches urbaines (environ un septième des ZUS) n’ont pas produit les effets sociaux espérés. Question de formation ? Sans doute, puisque, on l’a vu, le chômage touche assez majoritairement les personnes (et notamment les jeunes) les moins bien dotés en capital scolaire. Mais le surchômage des plus diplômés montre que tout ne se réduit pas aux échecs scolaires. La réalité est que les ZUS sont le révélateur des réticences de la société française face à des populations qu’elle ne reconnaît siennes que très difficilement. Nous pouvons nous scandaliser des Suisses et de leur allergie à l’égard des minarets. En France, nos minarets sont les ZUS … Ce n’est pas mieux. C’est même probablement pire.
Pour en savoir plus : Rapport 2009 de l’Observatoire national des ZUS
http://www.inegalites.fr/spip.php?article1160
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