Le football brasse de telles quantités d'argent que les criminels en ont fait désormais un canal privilégié du blanchiment de leurs capitaux. Le marché, surtout concentré dans les pays d'Europe de l'Ouest où les flots d'argent ont considérablement augmenté depuis les années 90, présente de nombreuses failles dans lesquelles s'est engouffrée la pègre. Le GAFI, groupe d'action financière de l'OCDE chargé de lutter contre le blanchiment et le financement du terrorisme dans le monde, décrit les mécanismes employés par ces criminels, dans un récent rapport.

"Le blanchiment d'argent à travers le secteur du football se révèle plus profond et plus complexe que ce que l'on pensait jusqu'à présent", annonce le rapport du Gafi. Les auteurs du rapport ont interrogé des responsables des gouvernements et des fédérations de football de 25 pays, qui ont signalé au total plus de 20 affaires de blanchiment d'argent liées au football.

Le phénomène dépasse l'anecdote car le secteur a grossi de façon incroyable. Porté par l'explosion des droits TV qui ont fait flamber les salaires des joueurs, par l'argent du sponsoring et la globalisation du marché des joueurs, le monde du football s'est transformé en un business colossal. Mais les structures de base et les règles du jeu ont peu évolué. Les organisations professionnelles de football sont prises en défaut. Les criminels ont donc trouvé dans le milieu du foot une porte d'entrée idéale pour blanchir l'argent sale, estime le GAFI.

Poignée de main

Cela commence toujours par une bonne poignée de main. Le milieu du foot est facile à pénétrer pour les criminels, constate le GAFI. Au stade se réunissent toutes les couches de la société et les nombreux acteurs de la filière dont les officiels des fédérations, des hommes d'affaires, des élus locaux…faciles à approcher.

Une fois dans le cercle, les criminels disposent de nombreuses facilités pour blanchir l'argent: rachat de clubs en difficultés ou de clubs amateurs, transferts, paris en ligne... ou encore le trucage du nombre d'entrée au stade (surévalué pour cacher une partie d'argent sale). Le cash circule abondamment dans le secteur, une aubaine pour la mafia, explique en substance le rapport.

Mercato

Le grand "mercato" des transferts de joueurs est un des instruments privilégiés par les criminels. Ces transactions financières entre clubs sont très vulnérables, relève le GAFI. La sophistication et l'ampleur des mouvements dépassent le contrôle de la FIFA (la fédération internationale du football), des confédérations comme l'UEFA en Europe et des organisations nationales. En réalité, la globalisation des marchés et l'abolition des frontières (Arrêt Bosman de 1995 en Europe) ont rendu un grand service à la mafia.

Une bonne partie des transferts peut transiter par les paradis fiscaux où le secret bancaire et l'absence de taxe facilitent les maquillages financiers. Les opérateurs sont souvent les agents des joueurs qui peuvent venir de tous bord (homme d'affaires, avocat...), sans être forcément inscrits sur une liste des instances de foot. Que font-ils? Les sommes des transferts peuvent être par exemple surévaluées. Un joueur est acheté 10 millions d'euros pour un coût réel de 5 millions. L'autre moitié correspond à de l'argent sale. Lorsque le joueur acheté a évolué dans le club et qu'il est revendu, les criminels récupèrent de l'argent blanchi.

Prise de conscience

Face à ces possibles manipulations des transferts, la FIFA affirme "être consciente du problème et mettre en œuvre en permanence des mesures pour le combattre", a t-elle annoncé dans un communiqué. L'organisation met en avant sa principale initiative contre le blanchiment des capitaux: un système de comparaison sur Internet des données des transferts réalisés entre les clubs. "Ce système a pour but de s'assurer que les autorités auront plus de détails sur chacun des transferts réalisés (NDLR: montant, banques concernées, type de transfert, commission et nom des agents…) et d'améliorer la transparence des transactions", explique-t-elle. Ce système a été testé pour la première fois en grandeur nature en Norvège, en avril 2008.

Contactées par E24, la Fédération Française de Foot, la Ligue de Football Professionnelle et l'UEFA, la confédération européenne des clubs de foot, n'étaient pas immédiatement disponibles pour apporter un commentaire. Certaines de ces instances ont reconnu ne pas avoir encore pris connaissance du rapport du GAFI.

Contrats

Le cas des transferts est une partie d'un vaste problème. Le blanchiment concerne aussi la rédaction des contrats des joueurs. L'une des fraudes est le maquillage des droits d'exploitation d'image. Le versement de ces droits peut être réalisé sur des comptes offshore et peuvent rémunérer entièrement les joueurs sans que le club ne les exploite réellement.

Cet instrument peut cacher des financements surévalués ou occultés au fisc. Parmi les conditions de rémunération des joueurs, les criminels jouent également sur les multiples bonus et avantages en nature payés cash aux joueurs: maison, voitures, arrangement financiers pour la famille…Autant d'opportunités pour le blanchiment.

Paris en ligne

Les criminels exploitent tous les moyens. Les paris sportifs viennent s'ajouter à leur boîte à outils et cette vieille ficelle s'est fortement développée avec le boom des paris en ligne. Les criminels qui profitent de la législation indulgente de certains pays ou des centres offshore sur les paris en ligne, s'intéressent plutôt aux paris des petits matches, où les sommes restent toutefois importantes. Selon l'UEFA, l'argent parié sur un seul site de pari en ligne peut dépasser 100.000 euros pour un match de 3e division et peut atteindre 1 à 2 millions d'euros dans d'autres cas. Les règles de pari sont différentes d'un pays à l'autre, les criminels en profitent pour s'installer dans les pays tranquilles.

La masse d'argent brassée par tous ces trafics est inchiffrable, avertit le GAFI. Mais le développement incroyable de la commercialisation du foot, des transferts, des droits de télévision, ou encore de l'industrie du sponsoring rendent le problème de plus en plus aigu au moment où les pays du G20 ont placé la lutte contre l'opacité de la finance et des paradis fiscaux comme l'une des priorités de l'après-crise.