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05/07/2009

Depuis la mort de Raul Reyes, les tensions perdurent entre la Colombie et l’Equateur

Hernando Calvo Ospina.

C’est au mois d’avril 2009 que l’article ci-dessous a été publié dans l’édition espagnole du Monde Diplomatique, puis repris par de nombreux sites internet. Trois mois plus tard, le 30 juin 2009, on apprend qu’un juge équatorien a lancé un « mandat d’arrêt préventif pour assassinat » contre Juan Manuel Santos, ancien ministre de la Défense colombien. Le premier mars 2008, un escadron de l’Armée colombienne a pénétré de manière illégale sur le territoire équatorien pour attaquer un campement clandestin des FARC. Il a assassiné 25 personnes parmi lesquelles, outre plusieurs civils mexicains et équatoriens, se trouvait le commandant Raul Reyes. Trois jeunes survivants ont déclaré que les forces colombiennes ont achevé plusieurs personnes d’une balle dans le dos et que tous étaient désarmés au moment de l’attaque. Selon le juge, « il existe suffisamment d’indices pour le mettre en cause pour violation du droit à la vie, c’est-à-dire, pour l’assassinat de 25 personnes. » Alvaro Uribe, le président colombien, qui se trouvait à Washington au moment où le mandat d’arrêt a été lancé, a affirmé que son gouvernement « ne permettra pas qu’on touche à l’ancien ministre Santos. » Lequel a démissionné le 18 mai dernier, pour préparer sa candidature à la présidence de la République… Suite à cette attaque militaire du territoire équatorien en 2008, les relations entre Bogota et Quito sont suspendues et les tensions perdurent.

Hernando Calvo Ospina
Le Monde Diplomatique, Espagne, 2009


"Qu’il est difficile de croire quelqu’un qui a autant menti de manière récurrente (…) Cessez de raconter autant de mensonges, d’essayer de justifier des actes injustifiables, reconnaissez ouvertement que vous n’aviez aucun droit d’agresser l’Équateur." Ce fut une partie des paroles que le président équatorien Rafael Correa adressa, en mars 2008, à son homologue colombien, Alvaro Uribe, pendant le 20ème Sommet du Groupe de Rio, en République dominicaine. "N’essayez pas de m’intimider avec des arguments communistes", a répondu l’accusé…

Seul un dément aurait pu imaginer l’éventualité d’un conflit entre l’Équateur et la Colombie. Et cela s’est produit trois jours avant le début du Sommet. Tout le monde a été pris par surprise. Dans la matinée du 1er mars, un campement provisoire des Forces Armées Colombiennes (FARC), installé à environ deux kilomètres à l’intérieur du territoire équatorien a été bombardé et pris d’assaut par des troupes colombiennes. Vingt cinq personnes environ, dont le commandant Raul Reyes, chargé des relations internationales de la guérilla, ont péri.

Le président Correa a déclaré que très tôt dans la matinée, le président colombien l’a appelé. "Il me dit qu’il y avait eu un contact, un affrontement entre les Forces Armées colombiennes et les FARC (…) Que lors de cet affrontement, les FARC ont fui sur notre territoire et que la poursuite s’est soldée par la mort de 10 ou 17 guérilleros et d’un soldat colombien et par la capture de onze prisonniers."

Le problème a débuté dès les premières enquêtes. Rafael Correa a commencé à rectifier les faits : "Ils ne nous avaient pas dit que c’était un bombardement sur notre territoire, planifié, délibéré et ordonné par le président Uribe lui-même. Tout ce qu’a dit Uribe est un mensonge, la seule chose certaine était la mort de Raul Reyes". Et il continue : "Les avions ont investi notre territoire sur 10 kilomètres au moins pour réaliser l’attaque depuis le sud. Ensuite des troupes colombiennes sont arrivées en hélicoptère pour conclure le point culminant de la tuerie."

Devant les preuves, le président équatorien a non seulement ordonné l’expulsion de l’ambassadeur de Colombie et le retrait du sien à Bogota, mais aussi l’envoi de troupes à la frontière.

Parallèlement à cette situation déjà délicate, il s’est produit quelque chose qui a immédiatement fait le tour du monde. Le président équatorien a affirmé que les "interventions va t-en guerre et autoritaires" ont fait échouer les négociations en vue de la libération des douze otages des FARC par l’Équateur, et peut-être même d’Ingrid Betancourt. "Nous ne pouvons écarter que cela ait été l’une des motivations de l’incursion et de l’attaque de la part des ennemis de la paix." Assertion appuyée par le président français, Nicolas Sarkozy, qui a témoigné que l’opération et la mort du chef guérillero se sont produites "à un moment crucial où tout devait être fait pour garantir la dynamique positive mise en branle pour la libération unilatérale de plusieurs otages".

Seul le président étasunien George W. Bush a cautionné la violation du territoire équatorien. Grâce à cet appui, le gouvernement colombien pouvait fièrement affirmer qu’il avait "agi en état de légitime défense de la nation". Face à cette déclaration, le président équatorien a déclaré : "Nous n’accepterons pas que, sous le prétexte de combattre ce qu’on appelle terrorisme, on introduise des doctrines et des pratiques inacceptables, et en l’occurrence, le manque de respect à de la souveraineté des Etats."

Peu à peu, les enquêtes ont prouvé qu’un autre pays avait agi lors de l’opération car la Colombie ne possédait ni le type d’avion, ni les bombes "intelligentes" qui furent lancées sur le campement. On les trouve uniquement, dans une zone proche, sur la base militaire de Manta, enclave étasunienne en Equateur. (1) Un an après, on sait que Washington était si bien au courant de l’opération que son ambassade à Quito a été la première à informer du bombardement le chef de l’Unité de Recherches Spéciales équatorienne, UIES. Apparemment, celui-ci a informé le chef de l’Unité de Renseignement de la Présidence, qui ne l’a pas communiqué au Président Correa. (2)

La répercussion de l’action est devenue plus délicate lorsque le président du Venezuela, Hugo Chavez, a annoncé son appui sans restriction à l’Equateur. Lors d’une intervention télévisée, il a averti Uribe de ne pas tenter de faire la même chose au Venezuela ou la réponse ne se ferait pas attendre. Par la suite, il a ordonné la fermeture de son ambassade à Bogota, ainsi que le déploiement de dix bataillons à la frontière.

Devant la réaction inattendue de l’Equateur et du Venezuela, Uribe a choisi de "révéler " l’existence de "liens" entre Quito, Caracas et les FARC. Il a déclaré que les "preuves" étaient contenues dans un ordinateur censé appartenir à Reyes, trouvé dans le campement bombardé. Quelques copies de ces "preuves" ont été remises à plusieurs organes de presse, en particulier au journal El Pais d’Espagne, qui a provoqué tout un scandale international. (3) Ainsi donc l’attaque s’en est trouvé justifiée et la violation de la souveraineté équatorienne a été progressivement minimisée, puis approuvée. L’ordinateur est devenu un mouchard "à la carte", utilisé pour discréditer les présidents Chavez et Correa devant l’opinion publique, ainsi que de nombreuses personnalités.

Curieusement, les grands médias ont à peine mentionné l’information suivante : le 1er décembre 2008, Ronald Ayden Coy Ortiz, un capitaine, enquêteur antiterroriste de la police scientifique colombienne, a déclaré sous serment devant le Procureur qu’il n’avait pas trouvé les courriers électroniques dont on parlait tant et que le journal El Pais avait tant cités : "il y avait seulement des documents Word". Ce genre de documents peut être élaboré par n’importe qui sur n’importe quel ordinateur, c’est pourquoi il ne sert pas de preuve. Avec les courriers électroniques, c’est différent, car ils ont un caractère plus personnel. La déclaration pourrait laisser sans suite les enquêtes et les dénonciations, bien que l’"ordinateur" ait déjà joué un rôle redoutable dans la guerre psychologique et de déstabilisation contre deux nations sœurs.

Si depuis mars 2008, les provocations et les pressions sur le gouvernement Equatorien se sont multipliées, elles étaient déjà en cours. Sans en avoir l’intention, le président Correa s’est affirmé comme un autre caillou dans la chaussure des plans du Pentagone, qui, dans la région, a compté sur le gouvernement d’Uribe pour être son cheval de Troie.

Dès qu’il a pris le pouvoir, en janvier 2007, Rafael Correa a répété ce qu’il avait dit durant sa campagne électorale : qu’il ne s’immiscera pas dans la guerre civile colombienne et ne considérera pas les guérillas de ce pays comme des groupes terroristes, tout en refusant certaines de leurs pratiques ; et qu’il n’appuiera pas le Plan Colombie. A cause de cette attitude, le président équatorien a reçu une bonne part d’attaques et de provocations.

Ce n’est pas tout. Le président Correa a proposé à son peuple la mise en pratique d’actions qui n’ont jamais été du goût de Washington. "Nous sommes pour une révolution citoyenne, de changement radical, profond et rapide des structures politiques, sociales et économiques." (4) Et il précise : "J’espère qu’aucune nation, aussi puissante soit-elle, ne tentera de nous dicter les politiques que nous devons suivre."

Mais les provocations de Bogota et de Washington ne se sont pas arrêtées. Un an après cette attaque du territoire équatorien, Juan Manuel Santos, encore ministre de la Défense colombien, insistait sur le droit de "légitime défense" qu’avait la Colombie de faire des incursions dans d’autres pays si elle devait attaquer des forces guérilleras. Le président Correa a prévenu immédiatement qu’il ne tolèrerait aucune action militaire sur son territoire et déplore que le fonctionnaire n’ait pas compris qu’en Amérique du Sud, "il n’y a pas de place pour les petits apprentis empereurs." Cette fois-ci, "vous nous trouverez prêts." C’est dans le même sens que Javier Ponce, le chargé de Défense équatorien, a réagi en déclarant que son pays ne rétablirait des relations avec la Colombie que lorsque cette nation aura abandonné la doctrine de s’arroger le droit de violer la souveraineté d’un autre pays.

Face aux remarques constantes sur les relations de son gouvernement avec les guérillas colombiennes, le président Rafael Correa dit : "En Equateur, il n’est pas illégal d’avoir des affinités avec les FARC, mais en tant que Gouvernement, c’est une énormité de dire que nous avons des contacts avec elles (…) mais allez demander à n’importe quel chef militaire si nous avons dit de ne pas employer tous les moyens pour repousser toute force régulière ou irrégulière qui entrerait dans le pays. " (5)

S’il est bien une chose qui a dérangé Washington, ce fut l’épuration et la restructuration des Forces Armées, de police et de sécurité de l’Equateur. Selon les conclusions des commissions d’enquête, ce sont en fait le Pentagone, le Département d’Etat et la CIA qui les ont commandées. Le président a déjà annoncé que les dirigeants équatoriens se trouvant impliqués seront jugés comme traîtres à la patrie, car "ils se sont mis au service d’une puissance étrangère". L’une des urgences est d’éliminer toutes les conventions militaires, publiques ou secrètes, "qui soumettent nos forces armées au commandement de la CIA et au Commandement Sud du Pentagone."

Prouvant qu’il est décidé à stopper l’ingérence de Washington, le 7 février 2009, le président a ordonné l’expulsion d’Armando Astorga, l’attaché de l’ambassade étasunienne. Une lettre envoyée par le diplomate un mois auparavant au commandant de la Police en est le motif. Il y annonçait la fin des accords d’aide logistique et opérationnelle apportée à la Direction des Renseignements de cette institution. Il lui demandait de la même manière, de rendre immédiatement les 340 000 dollars annuels d’aide, ainsi que tous les véhicules, meubles de bureau, appareils photos et motos qui avaient été livrés. Astorga précisait qu’une telle décision avait été prise suite au refus du gouvernement équatorien que ce soit l’ambassade d’Etats-Unis qui décide de l’avancement des cadres de cette unité de police, ainsi que de son Commandant, comme cela se faisait d’habitude. Correa a qualifié la lettre d’"insolente" et indique : "Monsieur Astorga, restez avec votre argent sale, nous n’en avons pas besoin (…) Ici, nous n’allons accepter de personne qu’il nous traite comme une colonie."

Dans le Rapport Hebdomadaire de Travaux, le président équatorien annonce qu’il enverra une lettre officielle aux autorités étasuniennes dans laquelle il proposera « aux Etats-Unis, une donation de 160 000 dollars annuels pour des projets qui auront pour but d’éviter la torture aux Etats-Unis. » En particulier, celle qui est d’usage à Guantanamo.

Tout ne s’est pas arrêté là. Le 18 février, le Gouvernement a rendu publique l’expulsion de Max Sullivan, premier secrétaire de l’ambassade des Etats-Unis. La raison en était son "ingérence inacceptable dans les affaires internes", concrètement, dans celles de l’UIES. Le fonctionnaire qui, selon ce que déclare le président Correa, était le chef de la CIA en Equateur, "a ordonné" le retrait des ordinateurs donnés. Ce qui est grave, c’est que, non seulement, les cadres équatoriens ont accepté, mais les ont aussi rendus avec toute l’information stockée depuis des années.

L’une des décisions du président Correa qui a le plus dérangé Washington a peut-être été le non-renouvellement du contrat qui permettait au Commandement Sud d’avoir une base militaire dans la ville de Manta depuis 1999. Ce qui obligera à l’évacuer définitivement en novembre prochain. La solution trouvée est le transfert des avions, des armes et des dispositifs d’espionnage de haute technologie vers des bases colombiennes, selon les accords signés début mars 2009, entre le Ministre de la Défense colombien et le chef du Pentagone et de la CIA. Ce qui augmente la présence militaire, transformant la Colombie en un porte-avions étasunien.

Par le plus grand des « hasards », les bases qui ont reçu la plus grande quantité de cet équipement redoutable sont situées très près des frontières de …. l’Equateur et du Venezuela.

1- La base de Manta est située sur la côte Atlantique, à 400 kilomètres de la Colombie. Elle fut cédée aux Etats-Unis en 1999. Le président Correa a annoncé qu’il ne renouvellera pas le contrat qui se termine en novembre 2009, et qu’ainsi elle reviendra sous contrôle équatorien.

2- Câble de Notimex. 7 mars 2009.

3- Le 11 mars, Maité Rico, la correspondante d’El Pais à Bogota, dans un reportage intitulé "La Colombie traque la guérilla", se permet, de manière irresponsable de donner pour certaines les données qui ont été prétendument trouvées dans l’ordinateur de Raul Reyes, en affirmant l’existence d’un "appui logistique et politique apporté à la guérilla par l’Equateur et le Venezuela (qui a envoyé des armes et de l’argent)". On peut lire l’article complet en suivant ce lien : http://www.elpais.com/articulo/internacional/Colombia/acorrala/guerrilla/elpepiint/20080311elpepiint_12/T es

4- Interview du président Rafael Correa, réalisée par l’auteur. Quito, octobre 2007. www.rebelion.org/noticia.php?id=58106 5- El Comercio. Quito, 8 mars 2009

Le Grand Soir - 05.07.09

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