Avec Vincere, son sixième film en compétition à Cannes, Marco Bellocchio, 69 ans et l’un des grands du cinéma italien, explore un pan mal connu de l’histoire de son pays : les débuts du fascisme et la liaison de Mussolini avec Ida Dalser, qu’il s’acharna à nier et effacer par la suite.
Avez-vous l’impression d’être l’un des derniers dinosaures du cinéma italien ?
Je ne sais pas. Ma génération, qui est née au cinéma dans les années 60, compte encore quelques représentants, avec Bertolucci et les frères Taviani. Il y en a même qui appartiennent à la génération précédente, comme Francesco Rosi. Mais, l’année dernière, on a vu apparaître deux cinéastes de 40 ans : Matteo Garrone et Paolo Sorrentino. C’est une nouvelle génération qui redonne leur force aux images. Entre leur génération et la mienne, il y a Nanni Moretti, qui fait essentiellement un cinéma parlé. Enfin, un grand nombre de réalisateurs de 20 à 30 ans, qui disposent de moyens technologiques tellement simples qu’il leur est plus facile de faire un premier film qu’à mon époque, éclosent en ce moment.
Le cinéma italien est très souvent politique. Pourquoi ?
Pendant longtemps, le cinéma italien parlait de politique. Parce qu’on voyait la politique comme un moyen de changer la société. Mais aujourd’hui, en Italie et dans toute l’Europe, la politique n’a plus aucun attrait pour les jeunes : il y est question de gestion et non plus de défendre des grands idéaux. Dans ce cas, soit les cinéastes traitent de thématiques privées, soit ils cherchent à faire de la politique sans parler de politique. Pour ma part, j’ai fini par comprendre que les idéologies sont très dangereuses quand elles se mêlent d’art. Vincere est une tragédie mais mon film s’articule autour d’une femme qui s’oppose à un pouvoir violent et destructeur. Et ça, c’est positif.
Dans «Vincere», vous mettez en cause l’Eglise catholique. Sans son soutien, le fascisme aurait-il échoué ?
Mussolini avait besoin du soutien de l’Eglise et il a été très malin. Ce sont le meurtre de Matteotti (1924) et les accords de Latran avec le Vatican en 1929 qui lui ont permis d’instaurer la dictature absolue. Quand Mussolini a proclamé les lois raciales, quand il a lancé les guerres d’Ethiopie, et d’Espagne avec Hitler, l’Eglise n’a pas crié au scandale.
La droite italienne est-elle tentée de réhabiliter la période fasciste ?
Dans le discours au moins, les ex-fascistes utilisent toutes les occasions pour se distancier du passé, surtout concernant les lois raciales. En fait, le problème est différent. Aujourd’hui, les jeunes ont pour seule culture la télévision commerciale, modèle Berlusconi. Les chaînes nationales s’y sont conformées et la médiocrité est maintenant partout. C’est ça, l’horreur ! Cette jeunesse qui n’est plus capable de faire la différence entre la réalité et ce qu’elle regarde à la télé. Au contraire, elle imite ce qu’elle voit à la télévision, même si elle partage globalement des valeurs de liberté, de tolérance.
Est-ce que le berlusconisme est un fascisme moderne ?
Non, le fascisme supprimait les opposants par la violence, il interdisait la liberté d’expression. Aujourd’hui, les élections sont libres, mais c’est une liberté conditionnelle. Berlusconi se présente en bon père de famille. Il dirige une démocratie autoritaire, ce qui est une contradiction en soi. Il dit : «Les Italiens me veulent.» Mais c’est lui qui a changé les Italiens ! Le pays vit aujourd’hui dans une situation qui résulte d’un grand consensus de la société et de l’erreur stratégique de la gauche. Pendant des années, l’opposition a ciblé Berlusconi sans proposer de politique différente ou d’idée originale. Maintenant, elle est complètement perdue.
La propre femme de Silvio Berlusconi, Veronica, n’est-elle pas en train de devenir une Ida Dalser depuis ses déclarations fracassantes ?
Veronica a fait entendre sa voix et s’est opposée à Berlusconi, puis elle a décidé de se taire, au nom des enfants, tant que le divorce n’était pas prononcé. Ida Dalser, elle, a continué de lutter jusqu’à sa mort : c’est une héroïne. Dans le fascisme, la vision de la femme étant ambivalente. Elle était la mère, la femme au foyer. Mais en même temps, on a favorisé son accession à des fonctions nouvelles. Aujourd’hui, le discours nataliste passe mal. Et c’est le spectacle qui est devenu un moyen d’accéder à des postes politiques.
Libération - 22.05.09
Sem comentários:
Enviar um comentário