À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

13/02/2011

Chomsky : la sauvagerie de l’impérialisme états-unien

Noam Chomsky

1. L’empire des États-Unis, le Moyen-Orient et le monde

Il est tentant de reprendre depuis le début. Le début c’était il y a bien longtemps, mais il est utile de revoir certains points d’histoire qui pourront être comparés à la politique actuelle des États-Unis au Moyen-Orient. Les États-Unis sont un pays très particulier par bien des aspects. Ils sont probablement le seul pays au monde qui soit né empire. C’était un empire enfant – comme George Washington l’a appelé –, et les Pères fondateurs étaient très ambitieux. Le plus libéral d’entre eux, Thomas Jefferson, pensait que l’empire enfant devait s’étendre davantage et devenir le « nid » à partir duquel le continent entier serait colonisé. Cela signifiait se débarrasser des « rouges », les Indiens, lesquels ont effectivement été déplacés ou exterminés. Les Noirs devaient être renvoyés en Afrique dès qu’on n’aurait plus besoin d’eux et les Latins seraient éliminés par une race supérieure.
La conquête du territoire national
Les États-Unis ont été un pays très raciste pendant toute leur histoire, et pas seulement à l’encontre des Noirs. Les idées de Jefferson étaient assez communes, les autres étaient globalement d’accord avec lui. C’est une société de colons. Le colonialisme de peuplement c’est ce qu’il y a de pire comme impérialisme, le genre le plus sauvage parce qu’il requiert l’élimination de la population indigène. Ce n’est pas sans relation, je crois, avec le soutien automatique des États-Unis à Israël, qui est aussi une société coloniale. La politique d’Israël d’une certaine façon fait écho à l’histoire états-unienne, en est une réplique. Et, il y a plus, les premiers colons aux États-Unis étaient des fondamentalistes religieux qui se considéraient être des enfants d’Israël répondant au commandement divin de peupler la terre et de massacrer les Amalécites, etc. C’est tout près d’ici, les premiers colons, au Massachusetts.
Tout cela était fait avec les meilleures intentions. Ainsi, par exemple, le Massachusetts (le Mayflower et toute cette histoire) à reçu sa Charte de la part du roi d’Angleterre en 1629. La Charte chargeait les colons de sauver les populations locales des affres du paganisme. D’ailleurs si vous regardez le sceau de la Bay Colony du Massachusetts vous voyez un Indien qui tient une flèche pointée vers le bas en signe de paix. Et devant se bouche il est écrit « Come over and help us » [« Venez et aidez-nous »]. C’est l’un des premiers exemples de ce qu’on appelle aujourd’hui l’interventionnisme humanitaire. Et ce n’est qu’un exemple, il y a bien d’autres cas au cours de l’histoire, et cela dure jusqu’à nos jours. Les Indiens demandaient aux colons de venir et de les aider et les colons suivaient gentiment le commandement leur demandant de venir et de les aider. En fait nous les aidions en les exterminant.
Après coup on a trouvé ça bizarre. Dans les années 1820, un membre de la Cour suprême a écrit à ce propos. Il dit qu’il est assez étrange que, malgré toute notre bienveillance et notre amour pour les Indiens, ils dépérissent et disparaissent comme les « feuilles d’automne ». Comment était-ce possible ? Il a fini par en conclure que la volonté divine est « au-delà de la compréhension humaine ». C’est simplement la volonté de Dieu. Nous ne pouvons pas espérer comprendre. Cette conception – appelée le providentialisme – selon laquelle nous suivons toujours la volonté de Dieu existe encore aujourd’hui. Quoi que nous fassions nous suivons la volonté de Dieu. C’est un pays extrêmement religieux, unique en son genre en matière de religiosité. Une grande partie de la population – je ne me souviens plus du chiffre, mais il est assez élevé – croit littéralement ce qui est écrit dans la Bible. Le soutien total à Israël est l’une des conséquences de tout cela, parce que Dieu a promis la terre promise à Israël. Donc nous devons les soutenir.
Les mêmes personnes – une part importante des plus importants défenseurs d’Israël – sont des anti-sémites, parmi les plus extémistes du monde. À côté d’eux Hitler semble assez modéré. Leur perspective est l’élimination des Juifs après Armageddon. Il y a tout un tas d’histoires à ce propos, lesquelles sont crues, littéralement, jusqu’à un très haut niveau – probablement des gens comme Reagan, George W. Bush, et d’autres. Cela n’est pas sans lien avec l’histoire colonialiste du sionisme chrétien – il précède le sionisme juif, et il est beaucoup plus puissant. C’est l’une des raisons qui expliquent le soutien automatique et inconditionnel à Israël.
La conquête du territoire national est une histoire assez laide. Certaines des personnes les plus honnêtes l’ont reconnu, comme John Quincy Adams, qui était l’un des grands stratèges de l’expansionnisme – le théoricien de la Destinée manifeste, etc. À la fin de sa vie, longtemps après ses propres crimes, il se lamentait sur le sort de ceux qu’il appelait « la malheureuse race des indigènes américains, que nous exterminons sans pitié et avec une perfide cruauté ». Il a dit que ce serait l’un des péchés pour lesquels le Seigneur allait nous punir. Nous attendons encore.
Ses idées sont jusqu’à nos jours tenues en haute considération. Il y a un livre de référence, universitaire, écrit par John Lewis Gaddis, un grand historien états-unien, qui concerne les racines de la doctrine Bush. Gaddis, avec raison, présente la doctrine Bush comme héritière de la grande stratégie de John Quincy Adams. Il dit que c’est un concept qui existe tout au long de l’histoire des États-Unis. Il en fait l’éloge, il considère que c’est la conception correcte – nous devons assurer notre sécurité, l’expansion est le moyen de la sécurité, et vous ne pouvez pas vraiment assurer votre sécurité sans tout contrôler. Donc nous devons nous déployer, non seulement dans l’hémisphère, mais partout dans le monde. C’est la doctrine Bush.
Au moment de la Deuxième Guerre mondiale, sans entrer dans les détails… Bien que les États-Unis aient été depuis longtemps et de loin le pays le plus riche du monde, ils jouaient un rôle secondaire sur la scène mondiale. L’acteur principal c’était la Grande-Bretagne – et y compris la France avait une plus grande présence dans le monde. La Deuxième Guerre mondiale a changé tout cela. Les stratèges états-uniens durant la Deuxième Guerre mondiale, les planificateurs de Roosevelt, ont dès le début de la guerre très bien compris qu’au bout du compte les États-Unis allaient se retrouver dans une position de supériorité absolue.
Alors que la guerre se déroulait – les Russes terrassaient les Allemands, ils ont à ce moment presque gagné la guerre en Europe – on avait compris que les États-Unis seraient dans une position de domination encore plus nette. Et ils ont donc élaboré des plans pour la configuration du monde de l’après-guerre. Les États-Unis auraient le contrôle total d’une zone qui comprendrait l’hémisphère occidental, l’Extrême-Orient, l’ex-Empire britannique, la plus grande partie possible de l’Eurasie, incluant donc l’Europe occidentale et son importante infrastructure commerciale et industrielle. C’est le minimum. Le maximum c’est le monde entier ; et bien entendu c’est ce dont nous avons besoin pour notre sécurité. Dans cette zone les États-Unis auraient le contrôle incontesté et empêcheraient tous les pays d’aller vers davantage de souveraineté.
Les États-Unis se trouvent à la fin de la guerre dans une position de domination et de sécurité sans équivalent dans l’histoire. Ils ont la moitié de la richesse mondiale, ils contrôlent tout l’hémisphère occidental et les deux rives des deux océans. Ce n’était pas un contrôle total. Les Russes étaient là et il y avait encore quelques parties hors de contrôle, mais l’expansion avait été remarquable. Juste au centre se trouvait le Moyen-Orient.
Adolf A. Berle, une personnalité libérale, qui fut très longtemps le conseiller du président Roosevelt, mettait l’accent sur le fait que contrôler le pétrole du Moyen-Orient signifierait dans une bonne mesure contrôler le monde. Cette doctrine reste inchangée, elle est encore en vigueur actuellement et c’est l’un des facteurs essentiels pour décider des orientations politiques.
Après la Deuxième Guerre mondiale
Durant la Guerre froide les décisions politiques étaient invariablement justifiées par la menace russe. C’était dans une bonne mesure une menace fictive. Les Russes géraient leur propre petit empire avec un prétexte similaire, la menace états-unienne. Ce rideau de fumée n’existe plus depuis la chutte de l’Union soviétique. Pour ceux qui veulent comprendre la politique étrangère de États-Unis, un point qui de toute évidence devrait être observé c’est ce qui est arrivé après la disparition de l’Union soviétique. C’est naturellement le point qu’il faut observer, et il s’ensuit presque automatiquement que personne ne l’observe. On en parle à peine dans la littérature universitaire alors qu’il est évident que c’est ce que vous devez regarder pour comprendre la Guerre froide. En fait si vous regardez vous obtenez des réponses tout à fait claires. Le président à l’époque était George Bush I. Immédiatement après la chute du mur de Berlin, il y a eu une nouvelle stratégie de sécurité nationale, un budget de la défense, etc. C’est très intéressant. Le message principal est le suivant : rien ne va changer sauf les prétextes. Donc nous avons encore besoin, disaient-ils, d’une force militaire gigantesque, non pas pour nous défendre des hordes russes parce que ça n’existe plus, mais à cause de ce qu’ils ont appelé la « sophistication technologique » de certains pouvoirs dans le Tiers monde. Maintenant si vous êtes une personne bien éduquée, bien formée, qui vient de Harvard, etc., vous n’êtes pas supposé rire quand vous entendez ça. Et personne n’a ri. En fait je pense que personne n’en a rendu compte. Donc, disaient-ils, nous devons nous protéger de la sophistication technologique des puissances du Tiers monde et nous devons maintenir ce qu’ils ont appelé la « base industrielle de la défense » – un euphémisme pour parler de l’industrie high-tech (les ordinateurs, Internet, etc.), qui dépend principalement du secteur étatique, sous le prétexte de la défense.
Concernant le Moyen-Orient... Ils disaient que nous devions maintenir nos forces d’intervention, la plupart d’entre elles au Moyen-Orient. Puis vient une phase intéressante. Nous devons faire barrage pour contenir l’ennemi. Nous devons maintenir les forces d’intervention au Moyen-Orient pour défendre nos intérêts, la région qui « ne pouvait pas être offerte en cadeau au Kremlin ». En d’autres termes, désolés les gars, nous vous avons menti pendant 50 ans, mais maintenant que le prétexte n’existe plus, nous vous dirons la vérité. Le problème au Moyen-Orient est ce qu’on appelle le nationalisme radical. « Radical » signifie simplement indépendant. C’est un terme qui signifie « ne suit pas les ordres ». Le nationalisme radical peut être de différentes sortes. L’Iran en est un bon exemple.
La menace du nationalisme radical
En 1953 la menace iranienne c’était un nationalisme laïque. Après 1978 c’est le nationalisme religieux. En 1953 on a renversé le régime parlementaire et on a installé un dictateur beaucoup plus à notre goût. Ce n’était pas un secret. Le New York Times, par exemple, dans un éditorial, se réjouissait du renversement du gouvernement iranien, estimant qu’il s’agissait d’une bonne « leçon de choses » pour les petits pays qui devenant fous, emportés par le nationalisme radical, rejettent toute autorité et veulent contrôler eux-mêmes leurs ressources. Ce sera une leçon de choses pour eux : n’essayez pas ce genre de bêtises, et certainement pas dans cette région dont nous avons besoin pour contrôler le monde. C’était en 1953.
Depuis le renversement du tyran imposé par les États-Unis en 1979 l’Iran a continuellement été attaqué par les États-Unis. Au début Carter a essayé de répondre au renversement du shah en organisant un coup d’État. Ça n’a pas marché. Les Israéliens – l’ambassadeur… il y avait des relations très proches entre Israël et l’Iran sous le shah, bien que théoriquement il n’y eût pas de relations formelles – ont fait savoir que si nous pouvions trouver des officiers disposés à tuer 10 000 personnes dans les rues, nous pourrions rétablir le régime du shah. Zbigniew Brzezinski, le conseiller de Carter à la sécurité nationale, avait à peu près les mêmes idées. Mais ça n’a pas vraiment marché. Les États-Unis ont alors immédiatement soutenu Saddam Hussein, pour qu’il envahisse l’Iran. Et ce n’est pas une mince affaire. Des centaines de milliers d’Iraniens ont été massacrés. Les gens qui sont à la tête de l’Iran actuellement sont des vétérans de cette guerre et ils ont une claire conscience du fait que l’ensemble du monde est contre eux – les Russes, les États-Uniens, tout le monde soutenait Saddam Hussein, tout le monde voulait renverser le nouvel État islamique.
Ce n’est pas peu de choses. Le soutien des États-Unis à Saddam Hussein est allé très loin. Les crimes de Saddam – comme le génocide d’Anfal, massacre de Kurdes – étaient niés. Le gouvernement Reagan les démentait et les attribuait à l’Iran. À l’Irak on a même donné un privilège rare. C’est le seul pays, avec Israël, qui a pu attaquer un navire états-unien et s’en sortir impunément. Dans le cas d’Israël c’était le USS Liberty en 1967. Dans le cas de l’Irak c’était le USS Stark en 1987 – un navire qui appartenait à la flotte états-unienne protégeant les convois irakiens des attaques iraniennes pendant la guerre. Ils ont atttaqué le navire avec des missiles français, ils ont tué plusieurs dizaines de marins – et ils n’ont reçu qu’une petite tape sur la main, rien de plus.
Le soutien des États-Unis était tel que c’est quasiment eux qui ont remporté la guerre pour l’Irak. Une fois la guerre finie, le soutien des États-Unis à l’Irak a continué. En 1989 George Bush I a invité des ingénieurs nucléaires irakiens aux États-Unis, pour qu’ils reçoivent des formations de pointe dans le domaines des armes nucléaires. C’est l’une de ces petites choses qu’on cache parce que quelques mois plus tard Saddam est devenu un mauvais garçon. Il a désobéi aux ordres. Juste après cela il y a eu de terribles sanctions, etc.
La menace iranienne
Pour en revenir à notre époque, dans la littérature sur la politique étrangère et dans les commentaires généraux ce que vous lisez généralement c’est que le problème le plus important pour les États-Unis était et reste la menace iranienne. Qu’est-ce que c’est que cette menace iranienne au juste ? Nous disposons d’une source qui fait autorité sur ce point. C’était il y a quelques mois : un compte rendu au Congrès des États-Unis émanant du département de la défense et des services d’intelligence. Tous les ans ils font un compte rendu au Congrès sur la situation mondiale en matière de sécurité. Le dernier compte rendu, celui d’avril dernier, comporte une partie qui concerne l’Iran, bien sûr, la plus grande menace. Il est important de lire ce compte rendu. Ce qu’ils disent c’est que, quoi qu’il en soit de la menace iranienne, ce n’est pas une menace militaire. Ils disent que les dépenses militaires iraniennes sont plutôt basses, y compris si on les compare aux pays de cette région ; et si on les compare à celles des États-Unis, elles sont insignifiantes – probablement moins de 2% de nos dépenses militaires. Par ailleurs ils disent que la doctrine militaire iranienne est basée sur le principe de la défense du territoire national, elle est conçue pour contenir une invasion pendant un temps suffisant pour rendre possible le passage à l’action diplomatique. Voilà la doctrine militaire des Iraniens. Ils disent qu’il est possible que l’Iran pense aux armes nucléaires. Ils ne vont pas plus loin que cela, mais ils disent que si les Iraniens développaient des armes nucléaires ce serait dans le cadre de leur stratégie défensive, afin de prévenir une attaque, ce qui est une éventualité assez réaliste. Le plus grand pouvoir militaire de l’histoire – c’est-à-dire nous –, qui leur a toujours été extrêmement hostile, occupe deux pays frontaliers de l’Iran et menace ouvertement d’attaquer ce pays. Israël, État client des États-Unis, lance les mêmes menaces. Voilà pour le côté militaire de la menace iranienne telle qu’identifiée dans le Military Balance.
Ils disent par ailleurs que l’Iran est une menace majeure parce que ce pays tente d’étendre son influence dans les pays voisins. On appelle cela déstabilisation. Ils œuvrent à la déstabilisation dans les pays voisins en tentant d’augmenter leur influence et cela est un problème pour les États-Unis, parce que les États-Unis tentent d’apporter la stabilité. Lorsque les États-Unis envahissent un pays c’est pour apporter la stabilité – un terme technique dans la littérature des relations internationales qui signifie obéissance aux ordres des États-Unis. Donc lorsque nous envahissons l’Irak ou l’Afghanistan, c’est pour créer de la stabilité. Si les Iraniens essaient d’accroître leur influence, juste chez leurs voisins, c’est déstabilisant. Cette doctrine, comme tant d’autres, est élaborée dans les universités. Un commentateur libéral et ex-éditeur de Foreign Affairs, James Chase, a même pu dire sans crainte du ridicule que les États-Unis devaient déstabiliser le Chili d’Allende pour apporter la stabilité – c’est-à-dire la soumission aux États-Unis.
Qu’est-ce que le terrorisme ?
La deuxième menace iranienne c’est le soutien au terrorisme. Qu’est-ce que le terrorisme ? On nous donne deux exemples du soutien de l’Iran au terrorisme : son soutien au Hezbollah libanais et son soutien au Hamas palestinien. Quoi que vous pensiez du Hezbollah et du Hamas – vous pensez peut-être que c’est ce qu’il y a de pire au monde –, qu’est-ce qui fait qu’on les considère terroristes ? Bon, le « terrorisme » du Hezbollah est fêté tous les ans au Liban le 25 mai, fête nationale libanaise qui célèbre l’expulsion des envahisseurs israéliens du Liban en 2000. La résistance du Hezbollah et sa guerre de guérilla avaient fini par obliger Israël à se retirer du Sud-Liban, mettant fin à une occupation de 22 ans, avec son lot de terreur, de violence, de torture – occupation maintenue en violation des ordres du Conseil de sécurité de l’ONU.
Donc Israël a finalement quitté le Liban et c’est le jour de la Libération au Liban. Voilà globalement ce qui est considéré comme le terrorisme du Hezbollah. C’est comme ça qu’il est décrit. En fait, en Israël c’est même décrit comme une agression. Vous pouvez lire la presse israélienne ces jours-ci et des politiciens de premier plan disent que c’était une erreur de se retirer du Sud-Liban parce que cela permet à l’Iran de poursuivre son « agression » contre Israël, agression qui a commencé en 2000 avec le soutien à la résistance contre l’occupation israélienne. C’est considéré comme une agression contre Israël. Ils ont les mêmes principes que les États-Unis, nous disons la même chose. Voilà pour le Hezbollah. Il y a d’autres actes que vous pourriez critiquer, mais voilà ce qu’est le terrorisme du Hezbollah.
Un autre crime commis par le Hezbollah c’est que la coalition dont il est l’élément principal a largement emporté les dernières élections parlementaires ; mais en raison du principe communautariste qui prévaut pour l’assignation des sièges ils n’ont pas reçu la majorité des sièges. Thomas Friedman [du New York Times] a donc versé des larmes de joie, comme il l’a lui-même expliqué, lors de ces merveilleuses élections libres au Liban, le président Obama ayant battu le président iranien Ahmadinejad. D’autres se sont joints à cette célébration. Autant que je sache personne n’a rendu compte des véritables résultats électoraux.
Et le Hamas ?
Hamas est devenu une menace sérieuse – une organisation terroriste importante – en janvier 2006 lorsque les Palestiniens ont commis un crime vraiment grave. C’était au moment des premières élections libres jamais tenues dans le monde arabe et les Palestiniens ont voté comme il ne fallait pas. C’est inacceptable pour les États-Unis. Immédiatement, sans la moindre hésitation, les États-Unis et Israël ont fait savoir qu’ils prenaient la décision de punir les Palestiniens pour ce crime. Juste après vous avez pu lire dans le New York Times deux articles qui se côtoyaient – l’un des deux parlant de notre amour pour la démocratie, ce genre de choses, et l’autre parlant de nos projets de punition contre les Palestiniens parce qu’ils avaient mal voté aux élections de janvier. Aucune contradiction.
Les Palestiniens avaient dû subir bien des punitions avant les élections, mais elles ont été accentuées après – Israël est allé jusqu’à couper l’alimentation en eau à la bande de Gaza, si aride. Au mois de juin Israël avait déjà lancé 7 700 roquettes sur Gaza. Tout cela s’appelle défense contre le terrorisme. Puis les États-Unis, et Israël, avec la coopération de l’Autorité palestinienne, ont essayé d’organiser un coup pour renverser le gouvernement élu. Ils ont échoué et le Hamas a pris le contrôle de Gaza. Après cela le Hamas est devenu l’une des principales forces terroristes au monde. Vous pouvez leur faire beaucoup de critiques – leur façon de traiter leur propre population par exemple – mais le terrorisme du Hamas est assez difficile à prouver. Les accusations actuelles concernent les roquettes lancées de Gaza sur les villes israéliennes frontalières. C’est la justification qui a été donnée pour l’opération « plomb durci » (l’invasion israélo-états-unienne de décembre 2008) et aussi pour l’attaque israélienne contre la Flotille de la paix en juin 2010, dans les eaux internationales. Neuf personnes avaient alors été tuées.
Il n’y a que dans un pays très endoctriné que vous pouvez entendre ces choses ridicules et ne pas rire. Passons sur la comparaison entre les roquettes Qassam et le terrorisme que les États-Unis et Israël pratiquent constamment. L’argument n’a absolument aucune crédibilité pour une raison bien simple : Israël et les États-Unis savent très bien comment arrêter les tirs de roquettes : par des moyens pacifiques. En juin 2008 Israël a accepté un cessez-le-feu avec le Hamas. Israël ne l’a pas vraiment respecté – ils étaient supposés ouvrir les frontières et ils ne l’ont pas fait – mais le Hamas l’a respecté. Vous pouvez vérifier sur les sites officiels israéliens ou écouter leur porte-parole officiel, Mark Regev : ils sont d’accord pour dire que durant le cessez-le-feu le Hamas n’a pas lancé une seule roquette.
Israël a rompu le cessez-le-feu en novembre 2008 en envahissant Gaza et en tuant une demi-douzaine de militants du Hamas. Quelques roquettes ont alors été lancées, puis Israël a lancé une attaque bien plus importante. Il y a eu des morts, tous palestiniens. Hamas a proposé le retour au cessez-le-feu. Le gouvernement israélien a évalué l’offre, puis l’a rejetée, optant pour le recours à la violence. Quelques jours plus tard il y a eu l’attaque israélo-états-unienne contre Gaza.
Aux États-Unis, et en Occident de façon générale, y compris les organisations de défense des droits humains, y compris le rapport Goldstone, on considère comme une évidence le droit d’Israël à se défendre en utilisant la force. Il y a eu des critiques disant que l’attaque était disproportionnée, mais cela est secondaire par rapport au fait qu’Israël n’avait absolument pas le droit d’utiliser la force. Vous n’avez aucune justification pour l’utilisation de la force tant que vous n’avez pas épuisé les recours pacifiques. Dans ce cas les États-Unis et Israël n’avaient non seulement pas épuisé les recours pacifiques, ils avaient rejeté tout recours aux moyens pacifiques, alors que c’était parfaitement possible et ils le savaient bien. Ce principe selon lequel Israël a le droit de lancer des attaques militaires est tout bonnement un fascinant cadeau.
Quoi qu’il en soit, que l’Iran essaie d’étendre son influence et que l’Iran soutienne le Hezbollah et le Hamas c’est, du point de vue des services d’intelligence et du département de la défense, ce qui constitue son soutien au terrorisme.

Il est assez courant aujourd’hui pour les partisans des palestiniens et les dirigeants palestiniens eux-mêmes de dire : "Eh bien, nous devons abandonner l’espoir de la solution à deux états." Comme l’un des leaders palestiniens a déclaré, "Nous devrions donner la clef à Israël et les laisser prendre en charge l’ensemble de la Cisjordanie. Ce sera un état, nous mènerons alors un combat pour les droits civiques. Nous pouvons le gagner, comme en Afrique du Sud." Mais ce point de vue néglige un simple point de logique. Ce ne sont pas les deux seules options. Il ya une troisième option, à savoir que les États-Unis et Israël continuent de faire exactement ce qu’ils font. Ils ne vont pas prendre le contrôle de la Cisjordanie. Ils n’en veulent pas. Ils ne veulent pas des palestiniens. Donc l’analogie avec la lutte en Afrique du Sud contre l’apartheid est assez trompeuse. L’Afrique du Sud avait besoin de sa population noire. C’était sa main-d’œuvre. Ils ne pouvaient pas se débarrasser d’eux. Ils représentaient 85% de la population active du pays. Donc, comme sous l’esclavage, ils devaient prendre soin d’eux. Les bantoustans étaient assez mauvais, mais ils étaient destinés à être plus ou moins viable, car il était nécessaire de renouveler la main-d’œuvre. Ce n’est pas vrai pour Israël et les palestiniens. Israël ne veut pas assumer de responsabilité pour eux, elle veut plutôt les virer. C’est comme les États-unis avec la population indigène. Il ne sert à rien de prendre soin d’eux, juste exterminer cette « race malheureuse » d’indiens d’Amérique.
Israël ne peut pas juste les assassiner. On ne peut pas s’en débarrasser comme ça de nos jours, comme les États-unis pouvaient le faire au 19ème siècle, donc il vous suffit de les faire partir. Moshe Dayan, qui fut l’un des membres les plus « pacifistes » de l’élite israélienne, est arrivé au poste de ministre de la défense en charge des territoires occupés en 1967. Il a informé ses collègues de l’époque que nous devrions dire aux palestiniens : "Nous n’avons rien pour vous, vous allez vivre comme des chiens, et celui qui partira partira. Et nous verrons où tout ça finira."
Et c’est exactement la politique qu’ils suivent. Ces dernières années, les États-Unis et Israël ont quelque peu modifié la politique. Ils prennent l’avis des industriels israéliens qui il ya quelques années ont suggéré qu’Israël devait passer d’une politique de colonialisme à celle de néo-colonialisme.
Les Philippines sont le modèle standard à partir duquel de nombreux programmes modernes de néo-colonialisme ont été soigneusement élaborés. Nous savons ce qui s’est passé lors de la conquête avec, comme d’habitude, les « intentions les plus bienveillantes", tout en massacrant quelques centaines de milliers de personnes et en commettant des crimes de guerre massifs. Al McCoy a maintenant une étude fine de ce qui s’est passé après la conquête, où il entre dans le détail durant 800 pages. Les États-unis ont mis au point une nouvelle technique de contrôle de la population, en utilisant la technologie la plus avancée jusqu’à ce jour. Ils ont imposé un système de surveillance étroite sur toute la population, cooptant une élite occidentalisée qui serait capable de vivre dans le luxe, démentelant des groupes nationalistes par diverses méthodes — rumeurs, corruption. Et, bien sûr, une force paramilitaire— la police philippine— au cas où les choses tournent mal.
Cela s’est avéré être très efficace. En fait, c’est toujours en place aux Philippines. Si vous regardez les journaux actuels, vous remarquerez que les États-Unis se félicitent du nouveau gouvernement des Philippines. Ils ne signalent pas que la plupart de la population vit dans la misère. En fait, si vous y pensez, c’est la part d’Asie de l’Est et du Sud-Est qui n’a pas pris part à la spectaculaire croissance économique d’Asie de l’Est au cours de la dernière génération. C’est aussi la seule colonie/néo-colonie des etats-unis qui est toujours géré pratiquement de la même manière qu’elle l’a été il y a 100 ans—les mêmes élites, la même force de police brutale, différents noms— avec les États-unis en arrière-plan, mais pas très loin.
C’est un mode de colonisation extrêmement réussi. C’est devenu le modèle pour Haïti, la République Dominicaine, et beaucoup d’autres néo-colonies plus tard. Les États-Unis et la Grande-Bretagne ont adopté des mesures similaires de contrôle de la population. Dans un premier temps, au cours de la première guerre mondiale. D’autant plus aujourd’hui. La Grande-Bretagne est l’une des premières sociétés de surveillance avec les États-Unis pas loin derrière. Ils utilisent des versions modifiées de ce qui a été élaboré avec grand soin et succès aux Philippines il ya un siècle.
Eh bien, Israël a fini par comprendre que c’est la bonne façon de procéder. Vous pouvez lire à ce sujet, par exemple, Ramallah en Cisjordanie et les rapports, qui sont précis, disons que c’est un peu comme Paris et Londres pour l’élite palestinienne. Ils vivent une vie agréable avec théâtres et restaurants. Un typique pays du tiers monde avec une élite riche collaborationniste dans une mer de souffrance et de misère autour d’eux. C’est la façon dont le tiers monde est structuré. Israël a finalement accepté de suivre les conseils des industriels et de transformer la palestine en une néo-colonie. Et il peut être loué pour combien la vie est merveilleuse à Ramallah etc. Mais il faut la contrôler par la force. La force de police doit être la même qu’aux Philippines. Et c’est le cas. C’est une armée dirigée par un général américain, Keith Dayton. Elle est constituée de palestiniens. Assez typiquement, dans les structures néo-coloniales, la force répressive est nationale, mais elle est dirigée par un général américain. Elle est entrainée par Israël et la Jordanie (une dictature féroce). Et elle est très efficace.
En fait, c’est très apprécié par les libéraux américains. John Kerry, sénateur du Massachusetts, à la tête de la commission des Relations extérieures au sénat -le représentant d’Obama au moyen-orient— a donné une conférence à l’institut Brookings dans laquelle il explique que, pour la première fois, Israël a un partenaire légitime de négociation, alors maintenant il peut poursuivre son espoir passionné pour la paix. Le partenaire de négociation auquel il fait allusion est l’autorité palestinienne et la raison pour laquelle il est devenu légitime, explique Kerry, c’est parce qu’il a une force militaire capable de contrôler la population, à savoir l’armée de Dayton. Et il souligne son succès.
//illustration : GAZA- Israel va assouplir son blocus pour autoriser le soda, la mousse à raser, les cookies et le sucre. "Je t’ai à l’oeil MacGyver."//
Leur principale réussite a été au cours de l’invasion U.S/israélienne de gaza, quand ils ont anticipé qu’il pouvait y avoir des manifestations en Cisjordanie au cours des atrocités qui y étaient menées. Mais il n’y en eu pas parce que l’armée de Dayton a été en mesure de les supprimer. Le calme a donc été maintenu. A tel point que le général Dayton a déclaré, dans un discours à une antenne du lobby israélien, qu’il pourrait envoyer des forces pour participer à l’attaque de Gaza grâce au contrôle de la Cisjordanie par l’armée entrainée par les américains. C’est donc considéré comme une réussite, tout comme aux Philippines et plus tard à Haiti, au Nicaragua et d’autres néo-colonies sous la Garde Nationale imposée par les Etats-Unis.
La Palestine peut maintenant s’attendre à subir le même sort propice. Et nous pouvons nous féliciter d’avoir créé une armée capable de contrôler la population de manière si efficace qu’ils ne peuvent même pas protester contre un massacre majeur opéré dans l’autre partie de la Palestine. Je dis l’autre partie de la Palestine, mais la politique U.S.-israélienne depuis les accords d’oslo en 1991 (et un élément essentiel de ceux-ci) a été de séparer Gaza et la Cisjordanie. C’est l’un des moyens pour empêcher toute reconnaissance d’un authentique nationalisme palestinien. Si Gaza fait partie de la Cisjordanie, comme c’est le cas en vertu du droit international, cela signifie qu’un état palestinien aurait effectivement accès au monde extérieur, il aurait un port maritime, par exemple. Et c’est dangereux. Vous voulez qu’ils soient totalement contrôlés par la dictature jordanienne d’un côté et par les États-unis soutenant Israël de l’autre côté, alors vous devez les séparer de Gaza. Et ça a été fait très efficacement.
Pour revenir aux options pour les palestiniens : l’une d’elles est la solution à deux états, l’autre n’est pas ce qui est proposé— une résolution d’état unique et des luttes anti-apartheid. Il n’y a pas la moindre indication que quelque chose comme ça va se passer, il n’y a aucun soutien pour cela nulle part. Les États-Unis et Israël ne l’accepteraient jamais.
Mais la troisième option —la vraie— est la continuation d’exactement ce qui se fait et ce qui se fait n’est pas un secret. En fait, le premier ministre Ehud Olmert l’a souligné lors d’une session conjointe du congrès il y a quelques années, sous les applaudissements enthousiastes. C’est ce qu’il appelle la convergence (ça a été détaillé maintenant), ce qui signifie qu’Israël reprend tout ce qui a de la valeur ; prend le contrôle de tout ce qui se situe entre ce qu’on appelle le mur de séparation—c’est vraiment un mur d’annexion, qui est complètement illégal, c’est irréfutable , même Israël l’admet. Donc, Israël s’empare de tout ce qu’il y a à l’intérieur du mur de séparation, ce qui tend à inclure de nombreuses sources d’eau de la région. les principales sources se situent en dessous de la nappe phréatique de Cisjordanie. Cela comprend également la banlieue agréable de Jérusalem et de Tel Aviv. Ainsi, Israël prend ça, prend la vallée du jourdain, ce qui représente environ un tiers de ce qui reste de la palestine, les 22% restant pour la Palestine. Israël prendra plus que cela, aussi. Ce qui emprisonne le reste. Les terres les plus fertiles et les palestiniens sont maintenant assez bien exclus de ces zones. Dans le reste du territoire, Israël a établi plusieurs corridors qui traversent. Et la partie principale commence par ce qu’on appelle jérusalem, et est en fait plus grande que jérusalem. Elle a été illégalement annexée par Israël. Je pense que c’est cinq fois la taille de Jérusalem. Israël s’empare de tout cela.
À l’est, un couloir qui s’étend à travers la ville de Ma’ale Adumim, qui a été créé dans les années 1970, mais surtout construit avec le soutien de Clinton en vertu des accords d’Oslo. Le but du corridor a été de couper en deux la Cisjordanie. Il atteint presque Jéricho, qui sera laissée aux palestiniens. Le reste est en grande partie désertique.
Au nord il y a quelques autres corridors, qui traversent le reste. Alors, vous vous retrouvez avec ce que l’architecte de la politique, Ariel Sharon, a appelé des bantoustans ou des cantons, tous séparés de Gaza. La description de Sharon a été tout à fait injuste, car ils sont pires que des bantoustans, pour la raison que j’ai évoquée. L’Afrique du Sud devait soutenir les bantoustans. Israël n’a aucun intérêt dans le maintien de ces cantons. Pour eux, cela peut suivre les propositions de Dayan : nous n’avons rien à vous offrir, vous allez vivre comme des chiens, partez si vous le pouvez. Et beaucoup partent, en particulier les plus riches de la population chrétienne. Mais certains seront laissés dans les néo-colonies pour que les journalistes du new york times écrivent des carnets de voyages qu’ils sont si merveilleux, comme cela a été fait récemment. Cela ne laisse rien aux palestiniens. Ils sont partis.
Peuvent-ils appeler ça un état ? Ils peuvent, s’ils le désirent. En fait, le premier premier ministre israélien à accepter l’idée d’un etat palestinien a été, en fait, Netanyahu, le premier ministre actuel. Il a pris ses fonctions de premier ministre pour la première fois en 1996, en remplacement de Shimon Peres, qui est considéré ici comme une grande colombe. Peres a quitté ses fonctions en 1996, informant la presse qu’il n’y aurait jamais un état palestinien. Après que Netanyahu, condamné comme un super faucon, soit arrivé, son ministre de l’information a été appelé à une conférence de presse. Voyez, vous savez que vous allez laisser des fragments ici et là pour les palestiniens. Qu’allez-vous faire si ils appellent cela un état ? Il a répondu, bien, ils peuvent appeler cela un etat s’ils veulent ou ils peuvent appeler cela "poulet frit." On s’en fiche. Que n’importe qui le fasse.
C’était donc la première reconnaissance israélienne de la possibilité de l’autodétermination palestinienne. Quelques années plus tard, le parti travailliste a dit à peu près la même chose, à savoir que l’option réaliste, si rien n’est fait, est de poursuivre les politiques actuelles et finir par laisser ce qui reste des palestiniens comme le poulet frit. C’est l’option : pas un état, pas une lutte anti-apartheid. Ce ne sont que chimères, une illusion.
Y a-t-il une autre alternative ? Qu’en est-il de la première option d’une solution à deux etats ? Il ya beaucoup de problèmes dans le monde où il est difficile d’imaginer une solution, mais dans ce cas, il est remarquablement facile d’en évoquer une. Elle est là. En outre, il y a un soutien international écrasant pour elle et elle est soutenue par le droit international. Elle n’a qu’un obstacle. Les États-Unis ne l’accepteront pas. C’est tout. Elle attend depuis 1976, lorsque les principaux états arabes ont présenté une résolution du conseil de sécurité appelant à une solution à deux états dans le cadre international, en utilisant le libellé 242 de l’ONU —qui garantit la sécurité de chaque état de la région, y compris Israël, bien sûr, avec des frontières sûres et reconnues, toutes les belles paroles. C’est la proposition en 1976. Israël a refusé de participer à la session et les États-Unis ont opposé leur véto à la résolution —et à nouveau en 1980, jusqu’à aujourd’hui.
Qui la soutient ? Tout le monde, y compris la Ligue Arabe, l’Europe, les pays non-alignés, l’Organisation de l’Unité Islamique, qui comprend l’Iran. Elle est soutenue par le Hamas et le Hezbollah (qui dit qu’il soutiendra tout ce que les palestiniens accepteront). Donc il n’y a exactement qu’un obstacle : les États-Unis et Israël refusent de l’accepter. et ils refusent de l’accepter pour des raisons qui ont été établies en 1971, lorsque Israël a fait probablement la décision la plus décisive de son histoire. En 1971, l’Egypte, sous le président Sadate, a offert à Israël un traité de paix complet. L’Egypte, bien sûr, est la seule force militaire importante dans le monde arabe. Aussi, une paix avec l’Egypte signifiait sécurité totale. Il y avait, bien sûr, un quiproquo —Israël devait se retirer du territoire égyptien (il disait tous les territoires occupés, mais il est clair qu’il concernait principalement le territoire égyptien). Israël n’a pas voulu le faire parce qu’il planifiait alors de s’étendre sur le Sinaï et de construire une grande ville de un million de personnes dans le nord de la méditerranée —des colonies et ainsi de suite. Israël a dû faire un choix : l’expansion ou à la sécurité. ils ont choisi l’expansion.
Cela a été amplifié l’année suivante lorsque la Jordanie a fait la même offre concernant la Cisjordanie. À ce moment-là, Israël aurait pu avoir une sécurité totale, mais il a choisi d’expansion —surtout dans le Sinaï à l’époque, mais aussi en Cisjordanie. Israël a reconnu que cela était totalement illégal. En 1967, leurs principales autorités morales, y compris un avocat international très connu, a informé le gouvernement —et le procureur général le secondant— que toute expansion dans les territoires occupés l’était en violation du droit international. Moshe Dayan, qui, comme je l’ai dit, a été ministre de la défense en charge des territoires, était d’accord. Il a dit, oui, nous savons que c’est en violation du droit international, mais les états violent le droit international, alors nous allons le faire aussi. Et nous pouvons le faire aussi longtemps que les États-Unis nous soutiennent. Et c’est ce qui se passe.
Le rejet de l’offre de Sadate a conduit à la guerre de 1973, qui concernait de très près Israël. Ils ont presque été détruits. À ce moment, les États-Unis et Israël ont reconnu qu’on ne peut pas simplement ignorer l’Egypte. Puis commence la célèbre navette diplomatique de Kissinger, conduisant aux accords de Camp David dans lesquels les Etats-Unis/Israël ont fondamentalement accepté l’offre de Sadate de 1971 —ils n’avaientpas le choix. Mais à partir de ce moment, les États-Unis et Israël ont préféré l’expansion. Il aurait pu y avoir la sécurité maintenant sans les pays hostiles à ses frontières, mais alors il aurait dû abandonner l’expansion en Cisjordanie et le siège sauvage, criminel de Gaza.
Est-ce possible ? Oui, c’est possible. Les États-Unis ont dirigé les rejectionnistes assez solidement depuis 1976, à une exception près. Significative. Dans les derniers mois de Clinton en poste, il a reconnu que les offres qui avaient été faites aux palestiniens par les États-Unis/Israël lors des négociations de Camp David ne pouvaient être acceptées par aucun palestinien, quelque soit leur complaisance. Il a produit ce qu’il appelle ses paramètres, qui furent en quelque sorte flous, mais plus explicites. Il a ensuite prononcé un discours dans lequel il a souligné que les deux parties avaient accepté ses paramètres et les deux parties ont émis des réserves. Ils se sont réunis en Egypte en janvier 2001 pour lever ces réserves. Nous avons des informations détaillées sur les négociations, la plus grande partie provient de sources israéliennes de haut niveau. Ils ont approché de très près une solution. Dans leur conférence de presse finale, les deux parties ont conjointement annoncé que si elles avaient eu quelques jours de plus, elles auraient probablement pu tout solutionner —tous les détails. Mais Israël a annulé les négociations prématurément. Cela a été la fin de cette histoire.
Beaucoup de choses se sont passées depuis, mais cet événement unique est assez instructif. Il indique que si un président américain était disposé à tolérer une solution politique, elle pourrait probablement être atteinte. Est-ce que cela se produira ? Jusqu’ici il n’y a pas la moindre indication dans ce sens. Obama est au moins aussi extrême que George W. Bush, peut-être même plus. Mais il y a des brèches en développement et elles sont à surveiller. Une chose c’est que la population américaine, y compris la population juive américaine, en particulier les jeunes juifs, ne sont simplement plus prêts à soutenir ce qui se passe. C’est trop incompatible avec la norme des valeurs libérales. On le voit dans les sondages et d’autres indices. Les sionistes chrétiens, qui sont un grand groupe, le soutiennent quoi qu’il arrive. Ceux qui ont une mémoire du colonialisme U.S, pour eux, c’est normal alors ils le soutiennent. Mais les secteurs d’élite et de la communauté juive américaine commencent à reculer.
Ce n’est qu’un développement. Un autre est que, apparemment pour la première fois, il ya une scission importante au Pentagone et à l’intelligence. Jusqu’à présent, ils ont été fortement en faveur d’Israël. Ils la considèrent comme un allié très précieux. L’industrie américaine de haute technologie a été très favorable à Israël. Le Wall Street Journal, parmi les grands journaux, est celui qui est le plus pro-israélien, en faveur de l’expansion israélienne. Mais tout cela commence à s’affaiblir. Il y a des indications frappante de ça. Vous avez probablement vu un commentaire de David Petraeus, parfois appelé Lord Petraeus, le grand génie qui est maintenant à la tête du commandement central. Il a fait quelques commentaires il y a des mois sur la façon dont les États-Unis a maintenant des armées sur le terrain dans plusieurs pays de la région —Afghanistan, Irak, et peut-être ensuite en Iran— et c’est dangereux pour les forces sur le terrain si l’intransigeance U.S/israélienne crée des problèmes parmi la population qui pourrait mettre en danger les forces américaines dans la région. On lui a dit de se taire et il a vite retiré ses déclarations. Mais d’autres ont été les répéter. L’un des principaux responsables du renseignement américain au proche-orient, Bruce Riedel, qui a dirigé l’examen de la politique d’Obama en Afghanistan, il a répété à peu près la même déclaration. C’est arrivé au point que Mark Indyk, qui fut ambassadeur de Clinton en Israël et a des racines dans le lobby israélien, a écrit un éditorial dans le Times avertissant Israël de ne pas prendre les Etats-Unis pour acquis car sa politique pouvait changer.
Le chef du Mossad en Israël, Meir Dagan, a averti le gouvernement qu’ils marchaient sur une fine couche de glace. Si ils vont trop loin, ils pourraient perdre le soutien américain. Et il y a un peu d’histoire qui vaut la peine qu’on y prête attention, en particulier en ce qui concerne les nombreuses comparaisons établie entre Israël et l’Afrique du Sud. La plupart dont je ne pense pas qu’elles soient nombreuses, comme la comparaison bantoustans/apartheid qui je pense ne s’applique pas pour les raisons mentionnées précédemment. Mais il y a une comparaison, dont on ne parle pas qui est digne d’attention. Vers 1960, les nationalistes blancs en Afrique du Sud ont commencé à reconnaître qu’ils devenaient un état paria et perdaient le soutien mondial. Une grande majorité des anciennes colonies a voté contre eux à l’ONU, perdant même quelques soutiens européens. Le ministre des affaires étrangères d’Afrique du Sud a appelé l’ambassadeur des États-Unis pour en discuter et il a dit, Oui, nous devenons de plus en plus un état paria. Ils votent contre nous à l’Organisation des Nations Unies. Mais vous savez comme moi qu’il n’y a qu’une seule voix à l’ONU —la vôtre. Tant que vous nous soutenez, nous tiendrons face au monde. Et c’est ce qui s’est passé.
Si vous regardez les années suivantes, le sentiment anti-apartheid a augmenté. En 1980 environ, même les sociétés américaines se retiraient de l’Afrique du Sud en opposition à l’apartheid. Quelques années plus tard, le congrès adoptait des sanctions et l’administration Reagan devait éluder des sanctions du congrès ainsi que de l’opinion populaire et mondiale, afin de continuer à soutenir l’Afrique du Sud —comme d’ailleurs tout au long des années 1980. Le prétexte a été la guerre contre le terrorisme. En 1988, l’administration Reagan déclarait que le Congrès National Africain, l’ANC de Mandela, était l’une des organisations terroristes les plus mal famées dans le monde. Nous avons donc dû continuer à soutenir l’Afrique du Sud blanche dans le cadre de la fameuse guerre contre le terrorisme, qu’a déclarée Reagan, pas Bush. En fait, il y a juste un an, Mandela a été retiré de la liste des terroristes et peut entrer aux États-unis sans dispense spéciale.
Donc cela a continué dans les années 1980. L’Afrique du Sud avait l’air complètement inattaquable. Elle avait écrasé l’ANC sur le terrain. Le monde la détestait, mais il semblait qu’il n’y avait pas d’opposition réelle, et qu’elle était dans une position de victoire inaliénable. Puis, vers 1990, les États-Unis ont changé de politique. Mandela est sorti de Robben Island et a commencé à être préparé à prendre la relève. Enquelques années, l’apartheid a disparu. Le ministre sud-africain des affaires étrangères avait raison : tant que le parrain nous soutient, peu importe ce que le monde pense. Mais, bien sûr, le parrain peut changer d’avis. Et cela s’est produit et on arrive à l’ère post-apartheid —non pas une belle, mais une grande victoire.
Ce n’est pas la seule fois. Aucune de ces choses n’est jamais débattue. On ne peut en débattre car ce qui en résulte est que les États-Unis dominent le monde et le dominent par la force. On ne peut pas accepter ça, même si c’est vrai. Un autre exemple, qui est très instructif, est l’Indonésie. En 1975, l’Indonésie envahit l’ancienterritoire portugais du Timor Oriental avec un fort soutien des États-Unis —plus tard, français et britannique. Cela a entrainé quelques-uns des pires crimes de la fin du 20e siècle, le génocide effectif —effaçant peut-être un quart de la population. Cela a duré tout au long de 1999, à travers toutes les gesticulations sur la Serbie et le Kosovo et ainsi de suite, avec l’armée indonésienne déclarant qu’elle n’allait jamais partir, on se fout de ce que le monde pense, c’est notre territoire et nous allons le garder —avec le soutien des États-Unis.
À la mi-septembre 1999, Clinton prononça une phrase calme. Il informa l’armée indonésienne que le match était terminé et l’armée indonésienne se retira immédiatement. Les États-Unis auraient pu le faire 25 ans plus tôt. Par ailleurs, les actions de Clinton apparaissent maintenant dans l’histoire comme « intervention humanitaire ». Pourquoi Clinton a-t-il changé de position ? Pour une chose, il y avait beaucoup d’opposition internationale à l’époque. Il y avait aussi un mouvement de solidarité nationale, qui avait un certain effet. Mais, probablement, l’effet majeur a été les catholiques d’extrême droite, qui représentent un secteur fort du pouvoir aux Etats-Unis, y compris certaines personnalités de premier plan dans l’administration Reagan. Le Timor Oriental a été une colonie catholique et ils se sont retournés contre l’invasion. Sous ces pressions, Clinton a changé d’avis et un jour plus tard, l’armée indonésienne est partie. Plus aucun contrôle.
Cela pourrait se produire en Israël. Le directeur du Mossad pourrait avoir raison. Les États-Unis pourraient changer de politique avec assez de pression et insister à rejoindre le monde en acceptant le consensus international sur une solution à deux états. Israël n’aura pas le choix. Il devra suivre les ordres des Etats-Unis, tout comme l’Indonésie, tout comme l’Afrique du Sud blanche. C’est ainsi que les systèmes de pouvoir fonctionnent. Cela pourrait-il se produire ? Eh bien, nous ne savons pas. Nous avons la capacité d’influencer cette conséquence, peut-être d’y parvenir. C’est un genre de conclusion optimiste en quelque sorte.

Question : Pouvez-vous parler du rôle de l’Égypte dans le siège de Gaza et du mur d’acier qui est en train d’être construit ?
Noam Chomsky : Vous avez raison de signaler que l’Égypte a été complice d’Israël dans le siège de Gaza. En fait le Hamas fait plus peur à l’Égypte qu’à Israël. L’Égypte est une dictature brutale, fermement soutenue par le président Obama, lequel a déclaré tout à fait clairement qu’il ne le critiquerait pas, parce que l’Égypte nous aide à maintenir la stabilité au Moyen-Orient. C’est pourquoi au Moyen-Orient personne disposant d’un cerveau en état de marche ne prend Obama au sérieux lorsqu’il parle des droits humains.
L’Égypte est très inquiète parce que si jamais il y avait un scrutin un tout petit peu démocratique, il existe une force populaire en Égypte qui pourrait s’avérer être majoritaire – les Frères musulmans. Et les États-Unis soutiennent l’Égypte dans cette attitude. Le Hamas est une extension des Frères musulmans et l’Égypte était horrifiée par leur victoire populaire en Palestine. L’Égypte comprend aussi la politique des États-Unis et d’Israël qui est assez claire. Les États-Unis et Israël veulent que l’Égypte récupère Gaza, région qui a été presque complètement détruite par les Israéliens. Les Israéliens n’en veulent pas, les États-Unis n’en veulent pas. Ils ne peuvent pas tuer tout le monde, comme c’était possible au XIXe siècle, parce que aujourd’hui ils auraient des comptes à rendre. Donc l’idée est de maintenir la population de Gaza en état de survie, d’abandonner toute responsabilité, et de les rejeter vers l’Égypte, laquelle n’en veut pas. C’est pour cette raison, et parce qu’ils sont gouvernés par une branche des Frères musulmans, que l’Égypte à collaboré au siège de Gaza.
Ils construisent aussi un mur – apparemment avec l’aide technique des États-Unis – pour les boucler complètement, pour radicaliser le siège, mais aussi pour dissimuler le fait que les États-Unis veulent refiler Gaza à l’Égypte, laquelle n’en veut pas.
Question : Je me suis intéressé aux motivations israéliennes lors de l’attaque contre Gaza. Norman Finkelstein a dit qu’il s’agissait de restaurer la capacité de réaction israélienne. Je voudrais savoir si vous pensez aussi qu’Israël doit subir une défaite militaire, peut-être face au Hezbollah.
Noam Chomsky : Je pense que Finkelstein dit vrai. Israël a subi une défaite en 2006 et ils ont besoin de maintenir l’idée de leur invincibilité après été avoir si fortement blessés. Ils ont peut-être pensé qu’en frappant Gaza ils pourraient restaurer l’idée de leur invincibilité, mais je ne sais pas exactement qui ils croyaient impressionner. Montrer qu’une armée moderne techniquement avancée peut détruire une population sans défense qui ne dispose même pas d’un pistolet pour répondre ce n’est pas une démonstration très impressionnante de capacité de réaction.
Ils savent qu’ils peuvent arrêter les attaques de roquettes, mais il faudrait accepter un accord avec le Hamas et donc offrir quelque légitimité au gouvernement élu de Palestine. Et ils ne veulent pas offrir la moindre légitimité. Cela est inacceptable. En fait la plupart des membres du gouvernement ont été déjà été emprisonnés par Israël. Ils veulent détruire cette force indépendante.
Une défaite militaire ? J’étais récemment au Liban et j’ai parlé avec certains des correspondants occidentaux les plus importants. Certains y sont depuis plusieurs décennies, ils connaissent donc très bien la région. Parmi eux celui qui connaît le mieux la région pense qu’une guerre viendra. En fait ils pensent qu’aussi bien Israël que le Hezbollah veulent la guerre. Israël veut la guerre pour pouvoir montrer sa capacité à détruire le Liban – sans connaître la défaite comme la fois passée. Et si Israël, avec le soutien des États-Unis, décide d’attaquer l’Iran, comme cela pourrait arriver, ils doivent détruire le Liban avant, parce que au Liban il existe une force de réaction – le Hezbollah.
Ils pourraient donc attaquer, il pourrait y avoir une guerre, et les deux se détruiront mutuellement. Cela pourrait arriver sans tarder. Les États ne se conduisent pas nécessairement de façon rationnelle, et Israël devient très irrationnel, paranoïaque, et ultranationaliste. Prenez le cas de l’attaque contre la flotille. C’est un acte complètement irrationnel. Ils pouvaient neutraliser les bateaux s’ils l’avaient voulu. Attaquer un bateau à pavillon turc et tuer des Turcs c’est à peu près la chose la plus folle qu’ils puissent faire d’un point de vue stratégique. La Turquie est depuis 1958 leur allié de prédilection dans la région. Attaquer votre meilleur allié dans la région sans aucune raison est complètement fou. Et ce n’est pas la première fois. Un peu auparavant Israël avait délibérément humilié l’ambassadeur turc d’une façon qui n’a pas, je crois, de précédent dans l’histoire de la diplomatie. Tout cela est plutôt irrationnel.
Les Israéliens disent que l’Iran menace leur existence. Mais, selon les analyses stratégiques des États-Unis, cette menace c’est le fait que l’Iran n’obéisse pas aux ordres tout en représentant un contrepoids dans la région face à Israël. Mais si les Israéliens se montent la tête tout seuls et pensent que l’Iran menace leur existence tout peut arriver.
Ce n’est pas que l’Iran soit très rationnel. Un conflit est peut-être en préparation dans la région, et cela fait vraiment peur quand on y pense. Comme vous le savez probablement l’Iran a annoncé qu’il tente d’envoyer des bateaux pour briser le siège de Gaza. Si cela se produit, c’est fini, les jeux sont faits, Israël pourrait se mettre en furie. C’est un État très puissant qui dispose de centaines d’armes nucléaires. Ils pourraient décider de détruire la région et de se détruire eux-mêmes par la même occasion, qui sait. C’est effrayant.
En Israël il existe une doctrine qui remonte aux années 1950. Ils l’appellent parfois le complexe de Samson, c’est le nom du plus honoré et du plus respecté des kamikazes du monde. Samson est un fameux héros qui a tué beaucoup de Philistins. On raconte que Dalila lui a coupé les cheveux et il a perdu sa puissance. Les Philistins l’ont capturé et l’ont rendu aveugle. Mais ses cheveux ont repoussé et il a retrouvé sa puissance. Samson était dans le temple assiégé par des milliers de Philistins lorsqu’il a fait tomber les murs du temple ; il s’est suicidé en tuant plus de Philistins au moment de sa mort qu’il n’en avait tués au cours de sa vie. Le complexe de Samson signifie que si le monde pousse Israël trop loin ils deviendront fous et ils feront tomber les murs du temple. Bien entendu ils mourront aussi. Cette vision est un sentiment national qui est en progression actuellement. Et ce n’est pas une blague. Ça pourrait arriver.
Question : Pouvez-vous parler de la volonté de Netanyahou d’éliminer l’opposition de gauche ?
Noam Chomsky : Ce n’est pas seulement Netanyhaou. On accuse Netanyahou, mais c’est un sentiment national ; l’opinion est en train de se déplacer très loin vers la droite ultra-nationaliste. Regardez les sondages. Le sentiment national est paranoïaque. On pense qu’Israël doit combattre toute tentative de remettre en question la légitimité et la magnificence de tout ce qu’ils font. C’est un changement dramatique qui est survenu dans le pays ces dernières années.
Question : Lorsque la communauté internationale demande une enquête indépendante, qui sont les enquêteurs et quelle est leur légitimité ?
Noam Chomsky : La presse ne parle presque pas de tout ce qui se passe. Il y a quelques jours il y a eu une réunion de ce qui est appelé la communauté internationale – ce qui signifie les États-Unis et quiconque est d’accord avec nous. Le monde entier peut bien être en désaccord, mais alors il s’agit de ceux qui sont contre la communauté internationale. Je ne plaisante pas. Prenez l’idée selon laquelle la communauté internationale demande à l’Iran de cesser d’enrichir de l’uranium. Vous lisez ça partout. Qu’est-ce que c’est que cette communauté internationale au juste ? Ce n’est pas les Pays non alignés, qui représentent la majorité du monde. Ils soutiennent complètement le droit de l’Iran à enrichir de l’uranium. Ils ne peuvent donc pas faire partie de la communauté internationale. Il y a quelques années y compris les citoyens états-uniens étaient d’accord sur ce point. Donc de la même façon la majorité des États-uniens n’appartiennent pas à la communauté internationale parce que la communauté internationale c’est Washington et ses comparses.
On a pu avoir une belle illustration de cela ces dernières semaines. La Turquie et le Brésil sont parvenus à un accord avec l’Iran, accord assez semblable à ce que les États-Unis avaient proposé : on s’arrangerait pour que l’uranium soit enrichi à l’extérieur de l’Iran puis il leur serait remis pour être utilisé à des fins médicales. Il se trouve qu’Obama avait écrit une lettre à Lula, alors président du Brésil, qui défendait un accord similaire, probablement parce que Obama pensait que l’Iran ne serait jamais d’accord et qu’il pourrait alors parler de la lettre et dire, « eh bien, nous avons essayé, ils ne veulent pas ». Mais l’Iran a donné son accord. Alors les États-Unis ont immédiatement réagi en faisant passer une résolution au conseil de sécurité de l’ONU, une résolution si modérée que la Russie et la Chine ont instantanément donné leur accord. Si vous lisez les termes de la résolution – laquelle a été reçue positivement ici, on s’en est félicité –, si vous regardez les détails, elle n’a guère de contenu. Son seul résultat c’est que la Chine accédera encore plus facilement aux ressources de l’Iran. La Chine est donc très contente. La Russie aussi est satisfaite parce que la résolution leur permet de vendre toutes les armes qu’ils veulent à l’Iran.
Mais les États-Unis devaient imposer la résolution pour que le monde sache qui est le boss. Ce n’est pas le Brésil, ce n’est pas la Turquie. La Turquie est la principale puissance régionale, avec une grande frontière avec l’Iran. Le rôle de boss ne peut donc pas leur revenir. Le Brésil est le pays le plus important de l’hémisphère sud, le plus respecté, ils ne peuvent donc pas être les boss. En fait, si vous lisez le New York Times, les titres disent qu’il y a eu « une tâche sur le bilan de Lula », parce qu’il s’est dressé devant les États-Unis. Aujourd’hui il existe un rapport citant un officiel qui dit que « nous avons dû faire quelque chose pour que la Turquie reste à sa place ». C’est un peu comme la mafia. Vous devez vous assurer que personne n’interfère votre droit de tout contrôler. C’est pour cela que les États-Unis ont imposé une résolution presque vide de sens, pour neutraliser une initiative de la Turquie et du Brésil qui aurait pu apporter quelques progrès.
La communauté internationale c’est aussi, je crois, la Conférence pour l’interaction et les mesures de confiance en Asie (CICA). Elle comprend presque tous les États d’Asie, la Chine, l’Inde, l’Iran, Israël, etc. Ils ont eu une rencontre sur les questions de sécurité et ils ont soutenu l’idée d’une enquête internationale dans l’affaire de l’attaque israélienne contre la flotille. Les règles de la CICA imposent cependant le consensus. Bien entendu Israël n’était pas d’accord, donc le vote était 22-1, ou quelque chose comme ça. Le groupe a alors émis une autre déclaration demandant une enquête internationale. Obama a alors immédiatement bloqué la résulution du conseil de sécurité qui demandait une enquête indépendante et la CICA a été boycottée dans la médias. Tout cela n’est donc jamais arrivé, mais c’est bien arrivé.
La théorie des relations internationales n’est pas très élaborée. Il y a quelques principes. Le plus important c’est probablement le principe mafieux. Le parrain n’accepte pas la désobéissance. Un petit commerçant qui ne paie pas l’argent de la protection en subira les conséquences. Vous n’avez peut-être même pas besoin de l’argent, mais si un petit commerçant peut échapper au paiement un autre fera la même chose et le système va vite se décomposer. Donc vous n’envoyez pas simplement vos hommes de main pour récupérer l’argent, vous les envoyez pour lui donner une correction, pour que tout le monde comprenne. C’est comme ça que fonctionnent les relations internationales. On l’appelle parfois la théorie du domino. Si vous regardez, cas après cas, ça marche toujours comme ça.
Question : La Turquie appartenant à l’OTAN, comment analyser l’attaque d’un bateau turc par Israël dans les eaux internationales ?
Noam Chomsky : Il y a eu un débat technique quant au pavillon qui était celui du bateau, mais il portait un drapeau turc, comme on l’avait affirmé, ce qui signifie que c’est un territoire turc. Selon les lois maritimes une embarcation dans les eaux fait partie du territoire dont elle porte le drapeau. Il existe un traité de l’OTAN qui requiert des pays membres de l’OTAN d’assister tout autre pays membre qui subirait une attaque. Donc, si les traités signifient quelque chose – ce n’est pas le cas, bien entendu – les pays membres de l’OTAN, dont les États-Unis, auraient dû immédiatement se porter au secours du bateau turc. Si un bateau iranien avait attaqué un navire de l’OTAN, l’Iran aurait probablement été effacé de la surface de la Terre.
Question : Vous parlez de ce boss qui dit ce qui est possible et ce qui ne l’est pas comme mode de fonctionnement des États-nations. Ne devons-nous pas parfois analyser plutôt les classes économiques ? Comment cela fonctionne-t-il ?
Noam Chomsky : C’est une question intéressante. Et l’Iran est un cas très intéressant. Il existe des principes dans les affaires internationales mais ils ne se trouvent dans la théorie des relations internationales. J’ai déjà mentionné le principe mafieux. Il en existe un autre qui remonte à Adam Smith. Nous sommes supposés adorer Adam Smith mais nous ne sommes pas supposés le lire. C’est beaucoup trop dangereux. Il n’a rien à voir avec le capitaliste fou que l’idéologie dominante nous vend. C’est un gars très sensible. Smith, je le cite, soulignait qu’en Angleterre « les principaux décideurs de la politique ce sont les marchands et les manufacturiers », ceux qui possèdent l’économie. Et ils s’assurent que « leurs propres intérêts soient particulièrement bien défendus », quelles que soient les conséquences négatives pour le peuple anglais, pour ne pas parler des autres qui étaient soumis à, ce qu’il appelait, « la sauvage injustice des Européens ».
Parfois ces principes entrent en conflit, et ce sont alors des cas d’école qui permettent d’étudier l’élaboration de la décision politique. L’Iran par exemple. Les plus puissants secteurs économiques seraient assez contents de voir les États-Unis normaliser leurs relations avec l’Iran. Les grandes entreprises états-uniennes du secteur énergétique ne se réjouissent pas de voir la Chine tout emporter. Mais la politique d’État requiert que les ressources de l’Iran soient laissées à la Chine malgré les objections des grandes corporations états-unienne du secteur énergétique, lesquelles ont pourtant généralement un rôle décisif dans les choix politiques.
Voilà le conflit entre deux principes : le principe mafieux et le principe d’Adam Smith. Dans ce dernier cas le principe mafieux l’emporte. C’est très clair, si vous observez les différents cas dans l’histoire vous verrez que les mêmes personnes prennent des décisions différentes selon qu’elles se trouvent à la tête d’une grande entreprise ou à la tête du gouvernement. Les mêmes personnes qui prennent ces décisions concernant l’Iran – donnons les richesses à la Chine – si elles géraient leurs grandes entreprises elles prendraient les décisions opposées. Ces personnes ont maintenant un rôle institutionnel dans l’État, lequel est différent du rôle d’un PDG de grande entreprise. Le rôle des PDG, légalement, c’est de maximiser les profits. C’est une exigence légale, et s’ils ne le font pas ils sont écartés et remplacés par quelqu’un qui le fera. Le rôle du même individu au département d’État, par exemple, ou au Pentagone, est d’évaluer les conséquences à long terme des choix politiques, lesquels peuvent être en contradiction avec les intérêts étroits de certains secteurs économiques. Vous avez donc un conflit et dans le cas de l’Iran le principe mafieux l’emporte.
Les mêmes individus, qui se sont peut-être trouvés à la tête d’entreprises pétrolières, doivent maintenant décider pour l’objectif à long terme qui est de contrôler le Moyen-Orient. C’est nécessaire pour faire des choix qui de fait sont contraires aux intérêts des grandes entreprises du secteur énergétique.
L’Iran n’est pas le seul cas. La politique états-unienne vis-à-vis de Cuba est assez intéressante à étudier pour comprendre les relations internationales. Depuis 50 ans les États-Unis agressent et punissent le peuple de Cuba. Et nous savons très bien pourquoi. Les documents sont disponibles. Vous devez punir le peuple de Cuba – il s’agit de Kennedy, Einsenhower, etc. – parce que Cuba n’obéit pas aux ordres. Ils parviennent – selon l’expression en cours durant les gouvernements Kennedy et Johnson – à « défier avec succès » les plans états-uniens qui remontent à la doctrine Monroe, laquelle selon les États-Unis régit la vie de l’hémisphère.
Or depuis des décennies la grande majorité du peuple états-unien est favorable à la normalisation avec Cuba. Le reste du monde est totalement opposé à la politique états-unienne vis-à-vis de Cuba. Regardez simplement les votes annuels des résolutions à l’Assemblée de l’ONU. C’est le monde contre les États-Unis – accompagnés des Îles Marshall ou d’un pays de ce genre. C’est presque toujours comme ça. Ce qui est frappant dans ce cas c’est que globalement les secteurs d’affaires aux États-Unis sont également contre. Cela comprend les grandes entreprises des secteurs énergétiques, pharmaceutiques et agricoles. Ils veulent tous normaliser avec Cuba. Selon le principe d’Adam Smith, vous vous attendriez à les voir décider de la politique, mais le principe mafieux prend le dessus.
Si vous voulez vraiment étudier les affaires internationales, voilà les cas que vous devriez analyser. De la même façon si vous voulez comprendre la politique états-unienne pendant la guerre froide vous devriez regarder ce qui est arrivé en 1990. Mais ce sont là exactement les thématiques qui ne sont jamais abordées. Vous ne les étudiez pas à l’école, il n’y a pas de textes universitaires à ce propos, on n’en parle pas. C’est simplement trop révélateur.
Il se trouve que pour l’Iran ce n’est pas la première fois. En 1953, quand les États-Unis et la Grande-Bretagne ont renversé le régime parlementaire pour installer le Chah, le gouvernement des États-Unis voulait que les grandes entreprises pétrolières états-uniennes prennent 40% des concessions britanniques. Il s’agissait d’une politique à long terme des États-Unis pour écarter la Grande-Bretagne du Moyen-Orient, pour contrôler la situation et pour transformer la Grande-Bretagne en partenaire de second ordre. Les grandes entreprises pétrolières, alors, s’en tenant à des considérations à court terme, n’étaient pas d’accord. Il se trouve qu’il y avait des excédents de production de pétrole à l’époque, et s’ils prenaient le contrôle des concessions en Iran ils auraient dû baisser leurs opérations d’extraction en Arabie saoudite, lesquelles étaient primordiales à leurs yeux. Mais le gouvernement les a obligés à les prendre, les menaçant même de leur appliquer la loi anti-trust. Ils ont fini par obéir aux ordres. Dans ce cas-là le contrôle du pétrole sur le long terme a pris le dessus sur les intérêts spécifiques de certains secteurs.
Je devrais ajouter que durant la Deuxième Guerre mondiale il y a eu comme une mini-guerre entre les États-Unis et la Grande-Bretagne pour le contrôle du pétrole du Moyen-Orient, principalement celui de l’Arabie saoudite. Dès les années 1930 on savait que c’était le plus important, le joyau de la couronne. La Grande-Bretagne voulait le garder et les États-Unis voulaient le prendre. Il y avait un conflit – les documents sont disponibles – et bien entendu les États-Unis se sont imposés. La Grande-Bretagne était en difficulté à cette époque-là, les États-Unis ont donc pris l’Arabie saoudite.
À la fin de la guerre les Britanniques ont compris que leur statut de puissance mondiale avait pris fin et le Foreign office savait qu’ils allaient devoir devenir ce qu’ils ont appelé un partenaire mineur des États-Unis. Ils n’avaient aucune illusion quant à la volonté des États-Unis. Ils disaient que les États-Unis prenaient le contrôle du monde sous le prétexte de faire le bien, mais ils ne veulent que la puissance, et nous n’avons pas d’autre choix que de devenir un partenaire mineur.
Les États-Unis les ont traités avec arrogance et la Grande-Bretagne l’a accepté. Le cas le plus illustratif c’est en 1962 lors de la crise des missiles à Cuba. Les dirigeants états-uniens – les Kennedy – prenaient des décisions qui pouvaient mener à la destruction de l’Angleterre et de toute l’Europe. Ils poussaient les choses au point qu’il aurait pu y avoir un acte de représaille russe et ils n’en parlaient pas aux Britanniques. En fait Harold MacMillan, le premier ministre, ne savait pas ce qui se passait, il cherchait désespérément des informations. À un moment donné l’un des principaux conseillers de Kennedy – probablement Dean Acheson – a défini ce qu’il a appelé « la relation spéciale » entre les États-Unis et la Grande-Bretagne, qui selon lui signifiait que « la Grande-Bretagne est notre lieutenant – le terme à la mode étant ‘‘partenaire’’ ».
Bien sûr la Grande-Bretagne avait le choix. Ils pouvaient intégrer la zone euro. Mais ils préfèrent être un partenaire mineur et se considérer un acteur indépendant sur la scène mondiale. Bien. L’Europe aussi pouvait faire des choix et c’était sujet d’inquiétude pour les États-Unis à partir de 1950. Les décideurs états-uniens avaient compris que l’Europe allait connaître une récupération industrielle dans l’immédiat après-guerre. Dès qu’ils le font ils deviennent une puissance équivalente aux États-Unis, avec une grande économie, une grande population, formée, avec beaucoup d’avantages. Ils pouvaient devenir une puissance indépendante dans les affaires du monde – on parle de troisième puissance. Tout a été fait pour que cela ne se produise pas. L’OTAN a servi à cela. L’OTAN servait en partie à garantir que l’Europe restât vassale, contrôlée par les États-Unis.
Ce qui est arrivé en 1990 est très éclairant de ce point de vue. Si vous croyez à la propagande de ces 50 dernières années, aussitôt que l’Union soviétique s’est écroulée vous vous attendriez à la dissolution de l’OTAN. La propagande concernant l’OTAN, à l’époque, c’était qu’on l’avait créée pour nous protéger des hordes russes. Bon, il n’y a plus de hordes russes, démantelons l’OTAN. Est-ce ce qui est arrivé ? Non. L’OTAN s’est étendue d’une façon assez intéressante. Gorbatchev a fait une concession incroyable : il a accepté qu’une Allemagne réunifiée rejoigne l’OTAN. Si vous y pensez, c’est stupéfiant. L’Allemagne seule a quasiment détruit la Russie à plusieurs reprises dans le siècle antérieur. Maintenant Gorbatchev acceptait que l’Allemagne se joigne à une alliance militaire hostile. Pourquoi a-t-il fait cela ? Parce qu’il a eu un quiproquo. Il a fait un accord avec le gouvernement de Bush père selon lequel l’OTAN ne s’étendrait pas d’« un pouce vers l’est ». Cela ne comprendrait pas l’Allemagne de l’Est, et bien sûr rien au-delà. Bon, Gorbatchev était naïf. Bush a pris soin de ne jamais mettre l’accord sur papier – nous disposons d’une littérature universitaire détaillée sur tout cela. Gorbatchev a fait la stupide erreur de croire qu’il pouvait encore parler comme entre gentlemen avec les États-Unis. C’est assez stupide. Les États-Unis n’avaient pas la moindre intention de respecter l’accord. Et ils ne l’ont pas respecté. Donc, bien sûr, l’OTAN s’est étendue vers l’est, sous Clinton, jusqu’à la frontière russe, et même au-delà.
Le rôle officiel de l’OTAN est de contrôler le système global de l’énergie, les routes maritimes et les pipelines. Il y a eu une conférence à Washington récemment donnée par l’ex secrétaire d’État Albright, elle a indiqué la mission globale de l’OTAN. L’idée c’est que l’OTAN devienne une force d’intervention globable conduite par les États-Unis. Il existe un conflit sur ce point. Les Européens ne sont pas très contents de payer cependant que les États-Unis les accusent d’être trop non-violents.
Ce qui s’est passé avec l’OTAN est unedramatique illustration du fait que toute la propagande sur le thème de la guerre froide n’était que pur mensonge. L’OTAN ne disparaît pas quand les hordes russes cessent d’exister, elle s’étend pour garantir que l’Europe ne puisse pas faire le choix de devenir une troisième puissance sur la scène mondiale.
Juin 2010

http://www.legrandsoir.info/La-sauvagerie-de-l-imperialisme-etats-unien-3.html

Sem comentários:

Related Posts with Thumbnails