Depuis plus de dix ans, Amély-James Koh Bela milite contre la prostitution africaine en Europe et tente d’alerter les opinions et les pouvoirs publics sur les dangers d’émigrer et les horreurs de ce trafic. Rencontre.
Emmanuel de Solère Stintzy/InfoSud-Syfia - Présidente de l’association Mayina, et chargée des relations publiques du Cercle international pour la promotion de la création, Amély-James Koh Bela effectue régulièrement des campagnes d’information en Afrique pour attaquer le problème à sa source : réduire le flux migratoire et donner aux Africains les moyens – intellectuels, matériels et pédagogiques – de mieux vivre chez eux. Le travail de son association a notamment montré qu’une grande partie des candidats au départ sont les cibles idéales des trafiquants d’êtres humains.
La prostitution des Africaines en Europe connaît-elle un essor ?
Amély-James Koh Bela : En dix ans, le nombre total de prostituées sur le Vieux-Continent aurait été multiplié par six. Une estimation à revoir à la hausse avec le boom de la traite sexuelle des Africaines, notamment depuis la Coupe du monde de 2006 en Allemagne. Beaucoup de ces prostituées ne sont pas reparties*. En France, la part des Africaines dans la prostitution est passée de 7% en 2000 à 40% en 2005.
Les prostituées viennent principalement du Cameroun et du Nigeria. Suivent le Ghana, la Sierra Leone, le Liberia et le Bénin. Plus récemment : la Côte d’Ivoire, le Sénégal, et les deux Congo. Dans ces pays, les réseaux de grand banditisme se livrent à divers trafics : drogue, faux papiers, escroquerie sur internet, etc. Les filles s’y trouvent souvent enrôlées. La forte répression de la prostitution dans les grandes villes européennes les a poussées dans la clandestinité et a favorisé le développement de la prostitution des enfants étrangers dans des proportions affolantes.
Quel est le parcours typique d’un candidat à l’exil qui se retrouve pris au piège de la prostitution ?
Chaque jour en Afrique, des femmes et des enfants sont piégés par des annonces dans des magazines, des demandes en mariage sur internet ou par leur propre famille qui, poussée par des estomacs vides, les mettent à la rue. Dans cette filière subsaharienne, il se passe les choses les plus immorales et inhumaines qu’on puisse imaginer : pornographie sauvage, rapports sans préservatifs, zoophilie… Les Africaines à la tête de ces réseaux sont entourées d’hommes de main qui vont chercher les filles dans leurs pays d’origine, les font voyager, les surveillent et, au besoin, les brutalisent – brûlures, défigurations, meurtres – dans l’anonymat et l’indifférence la plus totale.
A travers l’association Mayina, nous informons les jeunes des dangers d’internet et des pièges que leur tendent les proxénètes ; nous leur disons la vérité sur les fortunes subites qui semblent tomber du ciel. Nous expliquons aux filles qu’épouser un Blanc n’est pas une fin en soi et que, dans les pays du Nord, il y a aussi des voyous, des violents, des pauvres, des pervers. Nous demandons aussi aux familles de ne pas démissionner de leur rôle de gardiennes des valeurs humaines.
Les familles africaines ont donc une place primordiale dans ce trafic.
Depuis toujours, à l’intérieur de certaines familles africaines, tous les ingrédients – incestes, viols intrafamiliaux ou intrascolaires, exploitation domestique – du développement fulgurant de trafics humains couvaient et continuent de couver. Les mamas proxénètes, membres de l’entourage proche des victimes, sont les piliers de ces réseaux. Elles-mêmes souvent sexuellement abusées dès leur plus jeune âge, c’est presque « naturellement », docilement, qu’elles subissent plus tard d’autres violences sexuelles sans se révolter. Devenues femmes, elles n’ont aucun mal à y entraîner leur progéniture qui répétera le même schéma.
Il est primordial d’en finir avec cette loi du silence qui règne dans les familles et d’informer les parents de leur responsabilité quand ils donnent leurs enfants à des Occidentaux ou à des compatriotes qui se présentent comme des âmes charitables… Il faut également favoriser la scolarisation des enfants, car c’est en traînant dans les rues que ces derniers sont en danger.
Quels sont vos pays cibles ?
Ces dernières années, nous avons travaillé avec 48 pays africains et des centaines d’associations locales en Côte d’Ivoire, au Cameroun, au Bénin, au Sénégal, et dans les deux Congo. Nous organisons des causeries éducatives et des forums avec des parents, des autorités locales, des chefs traditionnels et religieux. En 2010, nous avons engagé avec le CIPCRE (Cercle international pour la promotion de la création) deux campagnes contre la traite des enfants à des fins d’exploitation sexuelle au Cameroun et au Bénin. Avec le soutien de la France, nous venons de clôturer une campagne de trois mois dans les zones les plus touchées au Cameroun, soit le nord et le nord-ouest.
Enfin, en 2010, une plate-forme sous-régionale (Afrique centrale et Bénin) d’associations contre le trafic et la traite des enfants et la « Coalition protégeons nos enfants », qui compte 19 ONG camerounaises, ont été créées pour mieux s’organiser et fédérer les compétences.
Pour votre livre Mon combat contre la prostitution paru en 2007, vous avez recueilli plus de 1000 témoignages. Qu’est-ce qui vous a le plus frappée au cours de votre enquête ?
Sans aucun doute l’exploitation sexuelle des mineurs étrangers à domicile, dans l’intimité des appartements en Europe, par des parents plus ou moins proches. Chaque soir, ces gamins qui, pour les plus jeunes, ont 5 ans, ont entre deux et trois clients. J’ai été marquée par cette violence inouïe que subissent toutes les victimes et la misère psychologique des familles.
Mon étonnement vient de la démission des gouvernements africains qui ne font pas de la lutte contre ces trafics humains une priorité. Ils signent des conventions tous les jours, mais ces dernières finissent dans les tiroirs, car elles sont inadaptées. En toute impunité des notables européens continuent de s’offrir des mineurs étrangers pour « avoir du sang neuf ». Avec des complicités diverses, notamment dans certains consulats.
*Selon le rapport 2009 de l’ONG Tampep, la moitié des travailleuses du sexe en Europe sont d’origine étrangère, avec des pics de 70 à 90% en Italie, en Espagne ou au Luxembourg.
Le voyage en enfer d’Anita
"Je suis en France depuis huit mois seulement, mais j’ai passé deux ans en Hollande. La meilleure amie de ma mère, qui vit là-bas, est venue me chercher à Abidjan. Ella a expliqué à mes parents que j’étais une fille belle et volontaire et qu’en me poussant un peu, elle pourrait faciliter ma réussite en Europe. Elle m’aiderait à trouver des jobs, du ménage, par exemple, soi-disant bien payé !
Avec un peu de chance, je pourrais aussi épouser un Blanc, comme sa fille, aujourd’hui mariée à un Hollandais. J’ai eu droit aux photos du bonheur et à celles de leur belle maison. Quel honneur d’être choisie ! J’allais ouvrir le chemin aux autres filles de la famille. J’étais fière de la confiance des miens. Le départ a été organisé par ma famille : tout le monde a assisté à la grande fête d’adieu. Mes cousines m’enviaient […] Après une prière, ma tante a fait venir un marabout pour qu’il me protège contre le mauvais sort que des jaloux pourraient me jeter […].Il m’a fait absorber un breuvage qui devait être un somnifère léger pour mieux abuser de moi […] Il m’a expliqué qu’il m’avait protégée grâce à son liquide séminal et à sa sueur […].
Rien de tout ce que cette "amie" avait promis à ma famille ne s’est réalisé […]. Ils m’ont moralement et physiquement violée […]. Je n’ai fait aucun ménage. Je ne suis jamais allée à l’école […]. Cette précieuse "amie" écrivait de fausses lettres à ma famille qui pensait que tout allait bien […]. Je me suis retrouvée prisonnière d’une cage en verre. Exposée à moitié nue, j’ai vu défiler les voyeurs d’Amsterdam. Quelle humiliation ! […] J’ai fini par réussir à m’enfuir et je suis allée raconter mon histoire à la police […] J’ai été expulsée et […] celle qui m’a fait venir et m’a mise sur le trottoir n’a jamais été arrêtée, ni même inquiétée."
La pauvre gamine a alors trouvé une autre "mama" qui l’a conduite en France […]. Elle se prostitue depuis avec trois autres filles, "propriété" de la nouvelle mère maquerelle. Elles […] lui reversent 70 % de leurs gains. Avec le reste, elles aident leurs familles. Un coin de paradis, dans ces conditions, se résume souvent à un coin de trottoir.
Extrait de « Mon combat contre la prostitution », par Amély-James Koh Bela, Jean-Claude Gawsewitch Éditeur, 2007
FSM – DAKAR 2011
Alliance mondiale des migrants : de l’utopie à la réalité
Symbole du « voyage sans retour » du temps de l’esclavage, l’île de Gorée, au large de la capitale du Sénégal, va accueillir la Rencontre mondiale des migrants du 2 au 4 février prochain. Bien qu’éloigné des côtes européennes, le Sénégal s’est imposé depuis quelques années comme l’une des portes d’entrée les plus empruntées par les candidats africains à l’exil. De fait, le Forum Social Mondial (FSM) qui tient son édition 2011 à Dakar, la capitale sénégalaise, ne pouvait éviter la question. Afin de mieux cerner les enjeux actuels des migrations, et de préparer les innombrables tables-rondes et autres assemblées consacrées au sujet lors du FSM, une rencontre mondiale des Migrants aura lieu du 2 au 4 février sur l’île de Gorée.
Avec un moment-clé : l’adoption de la Charte Mondiale des Migrants, qui sera aussi présentée dans le cadre du sommet. L’idée est de redonner la parole aux migrants qui en ont souvent été privés, et leur permettre d’exprimer leur vision à travers la mise en commun de leurs expériences et témoignages. Fruit de cinq ans de travail, cette charte érige comme principe directeur « la liberté de circulation et d’installation des êtres humains sur l’ensemble de notre planète, avec une égalité des droits entre migrants et nationaux. »
Une déclaration d’intention qui peut paraître irréaliste alors que les frontières du Nord se verrouillent chaque jour davantage. Mais les organisateurs de la manifestation sont résolument décidés – avec l’appui la fondation suisse Charles Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme – à fédérer une véritable Alliance mondiale des migrants, en faisant appel à « l’imaginaire et aux capacités des migrants, et de chaque individu, à participer à la promotion d’un monde pluriel, solidaire et responsable ».
InfoSud
Plus d’informations sur www.cmmigrants.org
http://www.infosud.org/spip.php?article9485
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