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22/02/2010

Ces chercheurs qui refusent des primes de milliers d'euros

Augustin Scalbert

Un biologiste, un physicien et une chimiste ont refusé des milliers d'euros, ils demandent que tous les chercheurs en profitent.

Ils sont déjà trois à avoir envoyé une lettre pour refuser plusieurs dizaines de milliers d'euros de « prime d'excellence scientifique ». Discrètement, d'autres préparent le même geste. Chercheurs médaillés du CNRS, travaillant dans des laboratoires d'universités, de Polytechnique, Normale Sup ou Sciences-Po, ils demandent que les fonds soient alloués au recrutement et à la revalorisation salariale dans tout le secteur.

François Bonhomme, directeur de recherche « de classe exceptionnelle » (le plus haut grade) au CNRS à Montpellier, est biologiste depuis 32 ans et spécialiste de génétique moléculaire. Ses travaux lui ont valu en 1996 la médaille d'argent du CNRS.

« Je ne suis pas partisan de la politique de différenciation salariale »

Voici quelques extraits de la lettre qu'il a envoyée le 23 décembre au directeur général de la plus grosse structure de recherche française, pour refuser sa prime de 15 000 euros annuels sur quatre ans renouvelables :

« Monsieur le Directeur Général,

[…] Vous me voyez flatté d'avoir été considéré digne de cette gratification, mais je suis dans l'obligation morale de la refuser pour mettre mes actes en conformité avec mes convictions. Je ne suis pas du tout partisan, en effet, de la politique de différenciation salariale qui est en train de se mettre en place dans la recherche publique française. […]

Je reste donc convaincu que le système de primes […] ne va pas dans le bon sens, et qu'il vaudrait mieux que le CNRS utilise cette fraction de sa masse salariale à améliorer les promotions et les recrutements, y compris dans le cadre technique, plutôt que de nous acheminer par petites touches insidieuses vers un système de compétition systématique de tout le monde avec tout le monde dans lequel des “capitaines de recherche” négocieront leur salaire à l'embauche tout en ayant à leur service une armée de contractuels taillables et corvéables à merci. »

« La recherche est faite par des équipes et pas seulement par des individus »

En conclusion, François Bonhomme demande que sa prime soit versée à la Fondation de France. Il est le deuxième chercheur français à refuser cet argent, après Didier Chatenay, un physicien, lui aussi directeur de recherche au CNRS et médaillé d'argent en 1999, qui regrette dans sa lettre :

« Jusqu'ici, une des caractéristiques du monde académique et savant […] résidait dans sa capacité à décerner à certains de ses membres une reconnaissance symbolique dépourvue de tout avantage matériel. »

Depuis, d'autres font de même, comme la chimiste Karine Costuas, médaillée de bronze en 2006, « pas partisane d'un système qui pousse à l'individualisme par des primes souvent attribuées de manière cavalière et qui oublie que la recherche est faite par des équipes et pas seulement par des individus ».

Les Nobel, Fields et autres touchent des primes supplémentaires

Une dizaine d'historiens, ethnologues, chercheurs en science politique préparent une action coordonnée par l'historienne Claire Lemercier (bronze 2008) et le sociologue Laurent Mucchielli (bronze 2006), bien connu des riverains de Rue89.

Introduit par un décret du 9 juillet, ce système de primes d'excellence scientifique (PES) concerne l'ensemble de la recherche publique française (CNRS, INRA, INSERM…), et vise à récompenser 20% des chercheurs, les plus méritants. Ceux qui sont bien notés, ceux qui acceptent de donner des cours, et ceux qui reçoivent des médailles ou récompenses prestigieuses (prix Nobel, médaille Fields, médailles du CNRS…)

Selon les contestataires, cette manne peut être utilisée à meilleur escient. Il s'agit de plusieurs millions d'euros par an : le ministère ne sait pas exactement quelle fraction des « 250 millions d'euros du plan global pour la recherche » est consacré aux PES.

Des millions d'euros en jeu

Rien qu'au CNRS, selon le secrétaire général du Syndicat national de la recherche scientifique Patrick Monfort, une enveloppe de 3,78 millions d'euros est prévue pour 2010.

Jusqu'ici, les primes au mérite existaient, mais étaient allouées par un conseil scientifique, « par les pairs ». Avec cette introduction d'un mérite d'excellence décidé de manière pyramidale, les chercheurs craignent l'apparition de la « recette ultra-libérale » appliquée dans le privé et à l'étranger, selon François Bonhomme, qui précise à Rue89 qu'il est « non syndiqué » et n'adhère « à aucun parti » :

« On a besoin d'être protégé de ce genre de pression, de pouvoir échanger avec nos collègues d'en face sans qu'il y ait trop de jalousie. Quitte à gagner moins, il est important d'avoir notre liberté de parole et d'action. Le système actuel est déjà très compétitif, ce qui n'est pas forcément malsain. »

Pour lui, le fond de l'affaire est que le gouvernement veut « marchandiser tout ça ». Le syndicaliste Patrick Monfort remarque que ces compléments de rémunération n'entrent pas dans le calcul des retraites.

Sans réponse de la direction du CNRS, François Bonhomme a reçu son premier versement de 15 000 euros. « Je l'ai toujours sur mon compte. »

http://www.rue89.com/2010/02/20/ces-chercheurs-qui-refusent-des-primes-de-milliers-deuros-139524

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