À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

24/02/2010

« La vie appartient à ceux qui sont frais » : dans la jungle du Pôle Emploi…

Grogain

Dans un savant mélange d’humanisme et de flicage de ses ouailles, le Pôle Emploi a inventé une formation à la Stratégie de Recherche d’emploi (STR). Celle-ci leur permet d’accompagner les demandeurs d’emploi dans leurs recherches tout en gardant un œil sur eux. Pour réaliser cette formation, le Pôle Emploi fait appel à un prestataire de service. Pour toi (et aussi parce que je n’avais pas vraiment le choix…), j’ai plongé dans la STR pendant un peu plus de trois jours. Plongée en eau bureaucratiquement profonde.

PREMIER JOUR : « Je vends des compétences, pas des enfants ! »

Tout avait pourtant bien commencé. Malgré dix minutes de retard, j’avais été accueilli à bras ouverts par le formateur. Je me suis posé à côté de Jean-Paul, la soixantaine, costume-cravate, ancien chef de produit d’une grosse boîte de distribution, et de Safa, vingt-et-un ans, hijab sur la tête, qui enchaîne les contrats vacataires comme hôtesse. En plus de la femme au foyer, de l’ex-assistante de direction, de la jeune maman spécialisée dans la mode et de la juriste en reconversion – toutes quatre biens à l’heure – nous ont rejoints la bac + 5 en économie et l’informaticien timide qui a fait craquer toute l’assemblée lorsqu’il a chuchoté de sa voix tremblante : « J’espère que vous allez m’aider à réussir les entretiens… ». En face, le formateur : « Détend-toi ! On est en famille ici. ». Et de vendre sa méthode. « Vous allez voir. Ça va être TRÈS intéressant ! ». Ah ? Oui. D’abord, il ne s’agit pas d’une « formation » mais d’une « mobilisation ». Et puis, nous n’avons pas été « convoqués » mais « invités » par le Pôle Emploi, explique t-il - faisant ainsi fi de l’article L. 5412-1 du code du travail qui stipule : « Sont radiées de la liste des demandeurs d’emploi les personnes qui, sans motif légitime, refusent de suivre une action d’aide à la recherche d’emploi. » Notre joyeux formateur trace enfin le programme des quatre jours à venir, à grand renfort d’acronymes en tout genre. Plein d’enthousiasme, il annonce que nous allons utiliser le test de Holland, la technique « Une minute », et beaucoup d’autres méthodes encore qui, assure-t-il, ont fait leurs preuves par le passé.

Mais au fait, qui es-tu, formateur ? Ou plutôt : devrais-je dire « coach » ? « Je suis un mec qui aurait adoré monter sur les planches… » Non, j’avoue : ça, il ne l’a pas vraiment dit. Mais il aurait pu : M. B. aime se mettre en scène, utiliser des mimiques, raconter de (longues) histoires, interpeler les gens, utiliser des phrases chocs du type : « Le déficit de communication est le cancer de notre société. » Ou encore la très belle : « J’ai une croyance : je crois au possible ».
Forcément, on n’est pas surpris quand il explique qu’il a fait de la politique dans sa jeunesse. On l’est un peu plus quand il se dit « spécialiste de la violence urbaine ». Ah ? À sa décharge, M. B. exerce aussi son activité de coach dans les prisons, préparant les détenus à leur réinsertion professionnelle. M. B. aime aussi - et surtout - se mettre en avant : dans son groupe de la semaine précédente, quatre chômeurs avaient un entretien dans la foulée ; tu ne devineras jamais ? Mais si ! Les quatre ont eu le « job », dont - évidemment - l’une des personnes les plus renfermées qu’il ait jamais vu. « Et ça, c’est parce que je les avais préparés ! » Parce que, oui, c’est aussi ça, la formation STR. On t’explique à mots couverts que si tu es au chômage, ce n’est pas à cause de la saturation du marché du travail. Non : si tu ne trouves pas d’emploi, c’est de ta faute ! Et M. B. de distiller son premier (précieux) conseil : « la vie appartient à ceux qui sont frais et n’aime pas ceux qui flânent ». Le maître mot pour réussir : « être naturel ».

Au bout d’une heure trente ( ! ) de présentation, nous passons au premier thème : comment réussir un bon entretien. M. B. en profite pour refourguer ses « trucs et astuces » trop classes : éviter les sauces qui tâchent, les cravates Mickey et les « euh… » lorsqu’on te donne la parole. Éviter de s’habiller trop « luxe », aussi ; ben oui, la maladie numéro un de notre société, depuis Abel et Caïn, est la jalousie… Moi qui croyais que c’était l’absence de communication, j’ai dû mal comprendre. Passons… Sur le sujet délicat des femmes avec enfants, M. B. conseille la réplique suivante : « Je vends des compétences, pas des enfants ! ». C’est du solide ! Même si j’imagine que rien n’empêche un employeur de répondre : « Ne vous énervez pas, je veux juste avoir un avis sur vos disponibilités »… Autre conseil : pendant les entretiens, il faut jouer, être acteur. Mais M. B., ce n’est pas toi qui nous a dit un paragraphe plus haut qu’il fallait être naturel, être soi ? Fin de la première matinée, je suis perdu.

13 h 30 ; les « clients » du Pôle Emploi - c’est l’appellation qui nous est réservée, même s’ils prennent soin d’y mettre des guillemets - sont de retour. Nous nous attelons à ce fameux test de Holland. L’idée est de répondre à plus d’une centaine de questions et de trouver notre code RIASEC : R pour réaliste, I pour investigateur, A pour artiste, S pour social, E pour entrepreneur, C pour conventionnel… À l’aide des trois premières lettres ressortant de ce test et d’un logiciel informatique, M. B. imprime pour chacun une liste de métiers potentiels. Pour ma part, j’ai le choix entre dix-sept professions allant de physiothérapeute à professeur de musique instrumentale au collège, en passant par technicien ambulancier ou dépisteur en sport professionnel. Si, si… Pour être franc, je suis perdu. Et ma voisine n’en mène pas plus large : son code RIASEC correspond à trois métiers, dont celui de marionnettiste. M. B. valide. Ou pas… Certains ont droit à cette remarque triomphante : « Vous voyez qu’il marche, ce test ! C’est exactement ce que je pensais de votre personnalité lorsque je vous ai vu arriver ! » Et d’autres : « Étonnant… De toute façon, ce n’est pas un test fiable à 100 % ».

DEUXIÈME JOUR : "La fleur, une image du métier que je recherche"

Comme hier, difficile de mettre des mots sur nos deux premières heures de présence. M. B. raconte quelques jolies histoires. Et nous distribue une liste de verbes pour nous aider à remplir trois documents : "Carte des compétences", "Ma personnalité, qualités et défauts" et "La fleur, une image du métier que je recherche". Après la pause, nous passons à l’atelier "téléphone". J’apprends notamment qu’avant chaque appel à une entreprise, la préparation matérielle est primordiale. À savoir :
- Avoir un bureau sur lequel il y a seulement les documents nécessaires à l’entretien.
- Être bien assis et calme.
- Disposer d’un bloc papier pour tout noter.
- Se munir d’un crayon.
- Avoir son planning sous les yeux.
- Suivre le plan de l’entretien.
Autant dire que je ne verrais plus le téléphone de la même manière, désormais…

12 h 30, fin de la deuxième matinée ; l’après-midi est consacrée à "l’enquête métier". L’idée est de rentrer en contact avec une personne occupant l’emploi qui nous intéresse et de lui poser une quinzaine de questions. Une certaine latitude nous est royalement accordée : nous pouvons passer des coups de téléphone depuis chez nous ou nous déplacer directement dans l’entreprise. Je choisis mon canapé.

TROISIÈME JOUR : Synchronisation "geste-pensée-dire"

La matinée est consacrée à l’analyse de nos enquêtes métier. M. B. est fantastique, il connaît chacun de nos métiers : il a toujours un mot à dire dessus, une expérience à raconter. Quel formateur d’exception ! Suit un rapide atelier CV, puis un après-midi consacré à la gestion de conflit : M. B. souhaite nous préparer à la vie en entreprise. Mais entre deux conversations téléphoniques et des digressions sur la différence entre hommes et animaux, il s’égare un brin. L’ex-assistante de direction le recentre sur les problèmes qu’elle a pu rencontrer avec la hiérarchie. Ouf… nous voici de nouveaux sur les rails. Deux par deux, M. B. nous invite alors à improviser des scènes de conflit en entreprise et commente. Il affirme qu’il lit en nous, observe, prévoit nos réactions. Avant de se relancer dans de (trop) longues histoires… Nous apprend t-il réellement la synchronisation « geste-pensée-dire », comme il le prétend ? Avons-nous avancé sur la route de la STR ? Je dois être trop critique, je n’en suis pas vraiment convaincu…

QUATRIÈME JOUR : « Je ne pense pas qu’il y a un élevage de crocos en France »

Ce matin, Jean-Paul a dit : « Je ne pense pas qu’il y a un élevage de crocos en France. » Je ne trouve rien d’autre à raconter de cette première heure et demie. La formation s’achevant ce matin, nous en arrivons au bilan. Dans son dernier monologue, M. B. insiste sur la nécessité du « culot » dans la vie, puis distribue une fiche d’évaluation à lui remettre en mains propres - le formateur remplira également un rapport sur chacun d’entre nous, destiné au Pôle Emploi. En se grattant la tête, ma voisine m’affirme : « Finalement, ça permet d’échanger »… Plus convaincu, Jean-Paul dit son souhait de prendre rendez-vous avec M. B. pour discuter d’un projet de création d’entreprise. Safa et sa voisine, quant à elles, créditent - sans grande conviction - le formateur de leur avoir appris de petits exercices de présentation orale : ceux-ci les auraient aidées à combattre le stress. Et moi, ce que j’ai appris ? Euh… Disons : à éviter de faire des taches de gras sur mes cravates Mickey ?

http://www.article11.info/spip/spip.php?article715

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