Il semble que dans le paysage médiatique anglo-saxon le déni de l’origine humaine de l’effondrement climatique, quand il ne s’agit pas de celui de son existence même, ait le vent en poupe. George Monbiot, qui bat le fer continuellement avec de tels contradicteurs et tente d’attirer l’attention du public sur l’urgence et l’importance ce ces bouleversements ainsi que de documenter l’état des connaissances à ce sujet et des solutions à mettre en œuvre dans le Guardian depuis plusieurs années, s’interroge sur la psychologie sous-jacente de ce déni et de ses liens avec la peur de la mort. N’assisterions nous pas à une crispation émotionnelle paradoxalement exacerbée par l’avalanche de mauvaises nouvelles ? Comment prendre en compte cette attitude psychorigide dans un débat d’opinion où il apparaît de plus en plus que ce ne sont pas les arguments rationnels qui comptent mais des visions de soi et du monde inquestionnées ? Bien que son article s’appuie sur des exemples tirés du monde anglo-saxon, la question qu’il soulève nous concerne tous : comment expliquer que les opinions et les gouvernements restent aussi velléitaires face à l’unanimité et à l’inquiétude grandissante des milieux scientifiques envers les catastrophes annoncées ?
Par George Monbiot, Guardian, 2 novembre 2009
Inutile de le nier : nous sommes en train de perdre. Le déni du changement climatique se répand tel une maladie contagieuse. Tout cela dans un milieu imperméable aux preuves comme au raisonnement logique, toute tentative visant à attirer l’attention sur les conclusions scientifiques étant accueillies avec des invectives furieuses. Et ce milieu se développe avec une rapidité étonnante.
Une enquête menée le mois dernier par le Pew Research Center révèle que la proportion d’Américains qui estiment qu’il existe des preuves solides montrant que le monde s’est réchauffé au cours des dernières décennies a chuté de 71% à 57% en 18 mois seulement. Une autre enquête, réalisée le 19 Janvier par Rasmussen Reports, indique que la proportion des électeurs américains qui croient que le réchauffement climatique a des causes naturelles (44%), en forte hausse depuis 2006, est supérieure aujourd’hui à celle de ceux qui croient qu’elle est le résultat de l’action humaine (41%).
Une étude du site Internet DesmogBlog montre que le nombre de pages Internet affirmant que l’origine humaine du réchauffement global n’est qu’un canular ou un mensonge a plus que doublé l’an dernier. La page du site du Science Museum’s de Londres consacrée à l’exposition « Prove It ! » [ dans laquelle le musée prend position sur l’origine humaine du réchauffement climatique] demande aux lecteurs en ligne d’ approuver ou de rejeter une déclaration selon laquelle ils accordent foi en ces preuves et veulent que les gouvernements agissent. Au 3 novembre, 1512 avaient voté pour et 6288 contre. Sur Amazon.co.uk, les ouvrages niant les changements climatiques sont actuellement classés n° 1, 2, 4, 5, 7 et 8 dans la catégorie « réchauffement climatique ». Peu importe qu’ils aient été mis en pièces par les scientifiques et les commentateurs, ils l’emportent de loin sur les livres scientifiques. Que se passe-t-il ?
Cela ne reflète certainement pas l’état de l’opinion scientifique, qui s’est renforcée considérablement au cours des deux dernières années. Si vous ne me croyez pas, ouvrez n’importe quel numéro récent de Science ou de Nature ou de toute revue éditée par un comité scientifique spécialisée dans les sciences de l’atmosphère ou l’environnement. Allez-y, essayez. Les débats sur le réchauffement climatique qui font rage sur Internet et dans la presse de droite ne reflète aucunement ceux des revues scientifiques.
Un scientifique américain de ma connaissance laisse entendre que ces livres et sites Web s’adressent à un marché littéraire nouveau : les personnes avec un QI à température ambiante. Il na pas précisé s’il parlait de Fahrenheit ou de Celsius. Mais ça ne se résume pas à cela. Beaucoup de gens intelligents se déclarent eux-mêmes sceptiques.
Prenez le critique Clive James. On pourrait lui reprocher de véhiculer la banale sagesse environnante, mais pas de rester muet. Sur Radio 4 il y a quelques jours, il a présenté un essai sur l’importance de scepticisme, au cours duquel il a soutenu que « le nombre de scientifiques qui expriment du scepticisme [sur le changement climatique] a récemment augmenté ». Il n’a présenté aucune preuve à l’appui de cette déclaration et, autant que je sache, il n’en existe pas. Mais il a utilisé cet argument pour affirmer que « chaque côté a peut-être raison, mais je pense que si vous avez une répartition des opinions sur une échelle, on ne peut appeler cela un consensus. Personne ne peut véritablement dire que la Science est d’accord. »
Aurait-il pris la peine de jeter un œil à la qualité des preuves des deux côtés du débat médiatique, et à la nature des armées en présence - les scientifiques du climat d’un côté, les blogueurs de droite de l’autre - il aurait pu aussi se rendre compte que la science est d’accord, en tout cas, dans la mesure où la science peut jamais l’être, ce qui revient à dire que la probabilité d’une origine humaine au réchauffement global est aussi forte que celle de l’évolution darwinienne, ou du lien entre le tabagisme et le cancer du poumon. Je suis à chaque fois frappé par la façon dont les gens comme James, qui se proclament eux-mêmes sceptiques, croient à tout boniment usé qui satisfait à leur vision des choses. Leur position est parfaitement résumée par un fan de Ian Plimer (auteur d’un merveilleux enchaînement de charabia appelé Heaven and Earth), commentant un article paru récemment dans le Spectator : « Que ce Plimer soit un charlatan ou non, il parle pour beaucoup d’entre nous. » Ces gens ne sont pas des sceptiques, ce sont des pigeons.
De telles croyances semblent être fortement corrélées à l’âge. L’enquête du Pew Institute montre que les personnes de plus de 65 ans sont beaucoup plus susceptibles que le reste de la population de nier qu’il existe des preuves solides que la terre se réchauffe, que ceci est causé par l’homme ou qu’il s’agisse d’un problème grave. Ce qui est conforme à ma propre expérience. La plupart de mes débats les plus acharnés sur le changement climatique, tant en version imprimée qu’en face en face, ont eu lieu avec des gens âgés de plus de 60 ou 70 ans. Pourquoi cela ?
Il y a quelques réponses évidentes : ils ne seront plus là pour en voir les conséquences, ils ont grandi dans une période d’optimisme technologique, ils se sentent en droit, après avoir travaillé toute leur vie, de prendre l’avion ou le bateau de croisière pour l’endroit où ils le souhaitent. Mais il pourrait également y avoir une autre raison, moins intuitive, qui éclaire un recoin fascinant de la psychologie humaine.
En 1973, l’anthropologue Ernest Becker a émit l’hypothèse que la crainte de la mort nous pousse à nous protéger avec des « mensonges vitaux » ou par une« armure psychologique ». Nous nous défendons de la terreur ultime en nous engageant dans des projets supposant l’immortalité, qui dopent notre estime de soi et nous gratifient d’un sens à nos actions qui s’étende au-delà de la mort. Plus de 300 études menées dans 15 pays, semblent confirmer la thèse de Becker. Quand les gens sont confrontés à des images, des mots ou des questions qui leur rappellent la mort, ils réagissent en consolidant leur vision du monde, rejetant les gens et les idées qui la menacent, et s’efforcent d’accroitre leur estime de soi.
L’une des découvertes les plus frappantes consiste en le fait que les projets supposant l’immortalité peuvent conduire à une mort précoce. En cherchant à défendre le soi symbolique, héroïque que nous créons pour réprimer la pensée de la mort, on peut exposer le soi physique à de plus grands dangers. Par exemple, des chercheurs de l’Université Bar-Ilan en Israël ont constaté que les personnes qui ont déclaré que la conduite automobile renforce leur estime de soi conduisent plus rapidement et prennent davantage de risques après avoir été exposés à des rappels de leur condition mortelle.
Un article récent du biologiste L Janis Dickinson, publié dans la revue Ecology and Society émet l’hypothèse que le flot constant de nouvelles et de débats sur le réchauffement climatique rend difficile de réprimer les pensées de mort, et que les gens pourraient réagir à la perspective terrifiante de la rupture du climat avec des moyens qui renforcent leur cuirasse psychologique mais qui diminuent nos chances de survie. Il existe déjà des preuves expérimentales montrant que certaines personnes réagissent à des rappels de la condition mortelle en consommant davantage. Dickinson soupçonne que des preuves croissantes des changements climatiques pourraient renforcer cette tendance, et augmenter l’’antagonisme envers les scientifiques et les écologistes. Leur message, après tout, constitue une menace frontale pour le projet central de de la société occidentale quant à son immortalité : la croissance économique perpétuelle, soutenue par une idéologie du droit à agir ainsi et d’un destin exceptionnel.
Si Dickinson a raison, est-il illusoire de supposer que ceux qui sont plus proches de la fin de leur vie pourrait réagir plus vigoureusement contre les rappels de la mort ? Je n’ai pas été en mesure de trouver des expériences testant cette hypothèse, mais cela en vaudrait la peine. Et ce pourrait-il que la croissance rapide de la négation du changement climatique au cours des deux dernières années soit en fait une réponse au renforcement des preuves scientifiques ? Si oui, comment diable y faire face ?
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1 comentário:
"Les projets supposant l’immortalité peuvent conduire à une mort précoce", dites-vous. Cette affirmation me semble très excessive dans sa généralité. Certaines morts précoces (Roméo et Juliette, Jeanne d'Arc...) apportent l'immortalité mais il est difficile alors de parler de "projet" ; l'immortalité est en quelque sorte accidentelle. En revanche, une candidature à l'Académie française, moyen classique pour devenir Immortel, ne nuit sûrement pas à la longévité. Pas plus que de découvrir une loi mathématique, d'écrire une symphonie ou de donner son nom à une espèce animale...
Herbot Lothey, auteur du "Guide pratique de l'immortalité" (Pearson, Paris 2009).
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