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27/08/2009

Inde : Vague de suicides chez les paysans

Rezwan

L'Inde est le second pays au monde par sa population, de 1,2 milliards de personnes, et c'est encore un pays rural, puisque 70 % de celle-ci vit dans des villages. Plus de 450 millions d'Indiens (42 % de la population) vivent avec moins de 1,25 $ par jour, sous le seuil de pauvreté reconnu au niveau international. Bien que l'agriculture ne produise que 28 % de la richesse nationale, elle représente plus de la moitié des emplois. Malheureusement, de plus en plus de paysans ont recours aux moyens les plus extrêmes pour échapper à l'endettement et à la pauvreté : des milliers d'entre eux se suicident chaque année, et ce depuis longtemps.

Devinder Sharma, un analyste des politiques alimentaires et commerciales vivant en Inde, écrit sur le blog Ground Reality (Réalité du terrain) :

60 paysans se sont suicidés [dans l'état d'Andhra Pradesh] en juillet [2009]. Et au 10 août, 16 autres ont mis fin à leurs jours. Qu'un tel drame mortifère continue de se produire dans les campagnes malgré toutes les commissions et les mesures d'aide en dit beaucoup sur l'apathie criminelle qui prévaut parmi l'élite urbaine et les décideurs politiques. Ce qui est tragique est que personne n'a franchement envie de s'attaquer aux causes qui produisent ces souffrances humaines sans fin.

Pourquoi ces paysans se suicident-ils ? La journaliste indépendante Nita J. Kulkarni l'explique sur son blog A Wide Angle View of India (L'Inde vue grand angle) :

Les paysans tombent dans l'endettement à cause d'un ensemble de coûts d'exploitation élevés, les semences hybrides (soit disant à haut rendement) et les pesticides vendus par les multinationales ayant un prix exorbitant, alors que leur production ne se vend pas à un bon prix, en partie à cause des importations. La sécheresse s'est ajoutée à leurs malheurs. L'irrigation est trop coûteuse pour ces paysans, et le gouvernement ne les a pas aidés.

Sur son blog My Thoughts (Ce que je pense), S Gupta critique l'inefficacité de l'organisation des secours publics, face à la sécheresse de l'été 2009, en affirmant que la distribution directe de nourriture va à l'encontre de la dignité de beaucoup, qui préfèrent ne rien recevoir, et que d'autre part le riz et le blé de bonne qualité sont détournés et revendus au marché noir.

Sonia Faleiro, une journaliste et romancière indienne reconnue, explique comment les cultivateurs de coton de la région de Vidarbha, dans l'état du Maharashtra, sont enlisés dans l'endettement, en l'absence d'aide publique :

Une culture touchée par la maladie, ou bien l'achat malencontreux de fausses semences, par exemple, rendent un emprunt nécessaire. Seulement cinq pour cent des paysans peuvent emprunter auprès des coopératives ou des banques, [les autres en étant exclus] le plus souvent à cause d'un précédent défaut de remboursement. Ceux-là [les exclus du crédit bancaire] sont contraints de se retrouver entre les griffes d'usuriers, le plus souvent hostiles, qui arrachent environ 500 roupies d'intérêt tous les quatre mois pour 1 000 roupies empruntées.

The burden of debt becomes unbearable, tips over at any small provocation by nature, and farmers commit suicide.

Le fardeau de la dette devient insupportable, et à la moindre contrariété de la nature, les paysans étranglés par les dettes se suicident.

Photo de chinogypsie, sur Flickr, sous licence Creative Commons.
Vikas, sur Associación Prabhat, le blog d'une ONG espagnole et indienne qui soutient les efforts de développement dans les villages de régions oubliées de l'Inde, s'indigne de l'inaction du gouvernement et du manque d'intérêt des autres :

Si le gouvernement veut résoudre le problème des paysans, alors pourquoi les paysans ne reçoivent-ils pas des aides particulières après une sécheresse ou une inondation (le plus souvent dans l'état du Bihar). Pourquoi les paysans dans beaucoup de régions n'ont même pas un droit légal au crédit auprès des banques commerciales… Pourquoi personne ne parle de la malnutrition et de la faim qui touche une grande partie de l'Inde (25 % des pauvres sous-alimentés du monde vivent en Inde) ?

Pourquoi les médias ne parlent-ils pas de ce lent massacre systématique des paysans dans beaucoup d'endroits en Inde ?

Je pense que l'Inde est trop occupée par son progrès économique et qu'elle ne veut que continuer à vivre dans son rêve où elle s'imagine se rapprocher des pays développés (et que les 25 % des pauvres du monde qui vivent en Inde n'existent pas).

La réalisatrice, enseignante et blogueuse indienne Harini Calamur s'indigne également du manque de couverture médiatique des souffrances des paysans qui ont recours au suicide, en le comparant à l'importante couverture médiatique des célébrités :

Le jour où Shahrukh Khan a été arrêté pendant deux heures […] 21 paysans se sont suicidés en Andhra Pradesh parce qu'ils ne pouvaient rembourser leurs dettes.

Mais les suicides des paysans ne sont pas sponsorisés, ils ne font pas monter l'audience et ils ne sont absolument pas propices aux vociférations improvisées de nos estimés « journalistes ».

Himanshu Rai, expert en informatique et blogueur, souligne également la sélectivité des Indiens devant les problèmes :

Les disparités croissantes entre les campagnes et les villes engendrent un grand vide dans le modèle de développement. Ce qu'il y a d'ironique est que personne ne se soucie plus des pauvres, ni du besoin d'un changement réel.

La classe moyenne urbaine, qui représente moins de 5 % de la population, bénéficie d'une couverture médiatique disproportionnée. Les suppressions d'emploi dans les compagnies aériennes deviennent un problème plus important que les suicides de masse des paysans dans notre pays.

Un rapport récent du Navdanya Trust, un groupe de pression indien en faveur de l'environnement, indiquait qu'il y a « plus d'affamés en Inde qu'en Afrique sub-saharienne », et que les plus affamés des indiens sont ses paysans.

Les paysans ont beau manifester, leur seule arme reste le suicide. Après quatre années de sécheresse, 5 000 paysans de l'état du Jharkhand ont conclu un pacte de suicide, en se plaignant que le gouvernement n'ait rien fait pour améliorer leur sort.

La philosophe et militante écologiste et féministe Vandana Shiva en rend responsable les transformations économiques négatives que subit l'agriculture et la mondialisation. Comme le taux de chômage dépasse les 7 %, les paysans ont peu d'opportunités de pouvoir changer de métier pour survivre.

Les réalisateurs amateurs Vibhu Mohunta et Ashish Dhadade ont réalisé Mitti, une courte vidéo [10 minutes] qui veut sensibiliser à la détresse des paysans indiens.

Le journaliste indien reconnu Palagummi Sainath écrit sur Counterpunch que la pauvreté et la faim augmentent rapidement chez les paysans indiens :

Des millions de petits paysans indiens sont des acheteurs nets de céréales. Ils ne parviennent pas à produire assez pour nourrir leur famille et doivent travailler sur les champs des autres et ailleurs pour boucher les trous. Comme ils doivent acheter ce dont ils manquent sur le marché, ils sont profondément affectés par les brusques hausses des prix alimentaires, comme il s'en est produit depuis 1991, qui ont été particulièrement brutales cette année. La faim est vraiment une réalité pour ceux qui produisent la nourriture. Il faut y ajouter le fait que la « disponibilité nette par personne » des céréales a fortement diminué depuis le début des réformes, de 510 grammes par Indien [par jour] en 1991 à 422 grammes vers 2005 (ce n'est pas une diminution de 88 grammes, c'est une diminution de 88 multipliée par 365 puis par un milliard d'Indiens). Comme le professeur Utsa Patnaik, le meilleur économiste indien s'agissant d'agriculture, l'a constamment souligné, une famille pauvre moyenne dispose actuellement d'environ 100 kg de moins que dix ans plus tôt.

Les paysans indiens pauvres connaîtront encore plus de problèmes si les nappes phréatiques ne sont pas gérées convenablement, comme l'explique le géologue Suvrata Kher. L'absence de mécanismes de crédit comme le microcrédit, et le manque de diversification des cultures, et d'autres sources de revenus, ne feront qu'accroître leurs difficultés. Ils sont pris dans le cycle de la pauvreté, et les calamités naturelles comme les sécheresses les plongent dans la détresse. L'économiste et environnementaliste Sanjeev Sanyal pense que l'Inde a besoin de repenser radicalement son agriculture pour arrêter ces morts.

The Global Voices - 27.08.09

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