C’est avec des mots choisis que les temps prochains nous sont contés. « USA : le patron de la banque centrale mise sur une reprise à court terme » titrait hier encore une dépêche d’agence, à propos de la réunion des banquiers centraux de Jackson Hole (Wyoming) ; mais seule la lecture de celle-ci nous apprenait toutes les réserves que Ben Bernanke mettait à la réalisation de cette perspective, ainsi que la modestie de la reprise pour laquelle il formulait ses vœux. Au fil de la lecture des titres de la presse internationale, il est flagrant de constater combien de nombreux journalistes, ces temps-ci, aimeraient bien pouvoir annoncer de bonnes nouvelles. A leur décharge, ces titres de leurs papiers ne sont généralement pas rédigés par eux-mêmes, mais par les secrétariats de rédaction, ou les desks pour les agences.
Au-delà des phrases alambiquées qui sont employées par les « décideurs » pour annoncer la suite des événements, que les médias reproduisent, effets de leurs recherches soutenues de la formule qui pourra signifier que cela repart, alors que ce n’est pas encore le cas, un fait est considéré comme assuré et ne fait l’objet d’aucun débat : l’économie devrait redémarrer, mais le chômage va encore progresser. Ne cherchez pas dans leurs propos une explication à ce phénomène singulier, vous n’en trouverez pas ! Tout au plus vous sera-t-il explicité qu’il y a un temps de latence (du à l’écoulement des stocks, nous disent-ils), que c’est normal et c’est comme cela, et puis que cela ira mieux ensuite. Nul part la croissance qui nous est promise est analysée. D’où proviendra-t-elle donc ? Mystère, son moteur n’est pas décrit, le secteur d’activité qui en sera responsable pas cerné. Les plus explicites des commentateurs procèdent par élimination et, après avoir en premier lieu tous biffé d’un trait la relance par la consommation, en arrivent à la même conclusion : ce sont des exportations que viendra la délivrance, sans hélas préciser quels seront les pays importateurs ! Dans un premier temps, la Chine avait été chargée de cette lourde mission, mais l’accumulation de ses propres problèmes a fait réfléchir. On en est à l’Amérique Latine, excusez-nous du peu ! En réalité, la seule croissance que l’on connaît est celle des services financiers, et l’on s’attend – des hausses notables étant déjà constatées dans le secteur des « commodities » (matières premières, dont les énergétiques et les alimentaires), alors que l’économie est en pleine récession – à une nouvelle flambée des prix. Une relation de cause à effet serait-elle envisageable entre les deux ?
Le discours sur le chômage fait donc l’objet d’une unanimité pas vraiment rassurante, mais le mot qui fâche n’est pas encore prononcé. Il n’est pas encore explicité que celui-ci va inévitablement être structurel pour partie, une manière de dire permanent ou, tout du moins, très difficile à résorber. Car ce n’est pas la « prime à la casse », dont le gouvernement américain vient d’ailleurs d’annoncer la fin, qui va régler durablement les problèmes (également structurels) de l’industrie automobile, par exemple. Et, d’une manière générale, rien ne va venir efficacement contrarier l’essor industriel des pays « émergents », ainsi que ses conséquences sociales dans les pays « développés », si la reprise est au rendez-vous, même faiblement. Par ailleurs, les économistes reconnaissent que les ménages vont continuer d’avoir des « difficultés d’accès » au crédit (une expression anodine qui signifie insolvabilité accrue des uns et durcissement des conditions de prêt des autres), ils disent craindre que les particuliers, par précaution, vont consacrer d’avantage leur revenu à l’épargne qu’à la consommation. Dans ce panorama peu engageant, le haut niveau persistant du chômage ainsi que la faiblesse de la consommation sont déplorés par des commentateurs navrés, mais il n’est pas encore parlé de la poursuite de la montée des « nouveaux pauvres ». Cela va venir, car on va vite reparler de la fracture sociale.
Le cas de la Chine, bien qu’irrésistible troisième puissance économique mondiale, surprendra peut-être. La situation de l’emploi y est déjà qualifiée par les autorités compétentes comme étant « très sérieuse », les statistiques officielles n’en offrant pourtant qu’un mauvais reflet. Dans des pays plus similaires aux nôtres, l’actualité regorge déjà de situations semblables. Au Japon, où les chômeurs deviennent des sans abris en nombre de plus en plus grand, en dégringolant sur la pente de la précarité. Le Parti Démocrate du Japon (DPJ), qui pourrait l’emporter aux prochaines élections, s’y est engagé à augmenter de 16.800 milliards de yens par an (125 milliards d’euros) les aides pour les familles, les chômeurs et les retraités, ce qui en dit long de sa vision de l’avenir économique du pays. « Le défi est de parvenir à construire un système social permettant à ceux qui ont un revenu instable de vivre grâce aux aides publiques », estime Jiro Yamaguchi, professeur à l’université de Hokkaido. Ainsi qu’à le financer, dans un pays où l’Etat est endetté plus qu’aucun autre pays développé, ce qui impliquera d’augmenter les impôts.
Une autre image impressionnante de la pauvreté et des difficultés grandissantes d’y faire face est donnée aux Etats-Unis, dans ce qui était le riche Etat de la Californie, où les prisons sont surpeuplées en raison de la sévérité avec laquelle sont réprimés des petits délits liés à la pauvreté. Arnold Schwarzenegger, le gouverneur, vient de déclarer que le système carcéral californien « s’effondre sous son propre poids », 150.000 personnes sont incarcérés, la population totale étant d’environ 37 millions d’habitants, chaque prisonnier coûtant 50.000 dollars par an, ce qui n’est plus dans les moyens de l’Etat…
En Espagne, pays européen où la récession est particulièrement profonde et la crise économique et sociale intense, mais qui était jusqu’alors peu endetté, le gouvernement a encore les moyens de multiplier les plans de relance. Axe principal, les grands travaux, qui vont bénéficier d’un nouveau plan de 6 milliards d’euros d’ici fin décembre. Principalement dans le réseau ferroviaire, après que le secteur de la construction ait déjà été secouru. Mais ce type de programme, aussi important soit-il, n’a qu’un temps (comme les primes à la casse). Il permet de gagner du temps, mais n’est qu’un substitut à une relance économique durable.
Dans l’immédiat, la question est donc, faute de mieux, de décider de nouvelles mesures publiques de relance, afin d’éviter que la crise sociale ne s’amplifie. En Italie, Emma Marcegaglia, la présidente de la Confindustria (l’organisation patronale italienne), vient de déclarer que la sortie de la crise sera « longue et difficile ». S’adressant au gouvernement, elle a poursuivi : « Il y a encore beaucoup de choses à faire, comme refinancer les aides sociales pour ceux qui perdent leur emploi, baisser les impôts et les cotisations sur les salaires dans les entreprises afin de donner plus d’argent aux salariés et plus d’efficience aux entreprises (…) Le pire est passé et le pays recommencera lentement à se redresser, mais il faudra des années pour revenir aux niveaux de production d’avant la crise ».
Retournons à Jackson Hole, dans le Wyoming, où la Federal Reserve de Kansas City a l’habitude de convier tous les ans les gouverneurs des banques centrales du monde entier. Le discours sur le thème « réflexions sur un an de crise » prononcé devant ses pairs par Ben Bernanke, président de la Fed, était annoncé et attendu. « Nous ayons évité le pire, de gros défis nous attendent encore » a-t-il d’abord dit une fois de plus, en explicitant ceux-ci cette fois-ci : « des tensions persistent sur de nombreux marchés financiers mondiaux, des pertes supplémentaires menacent des institutions financières, et de nombreux ménages et entreprises continuent d’éprouver des difficultés considérables à avoir accès au crédit ». Reconnaissant « un coût humain et économique énorme », il a à nouveau estimé que « la reprise économique devrait être relativement lente au début, le taux de chômage ne devant baisser que peu à peu de ses points hauts » (qui ne seront atteints qu’en 2010).
Les articles ont fleuri, en ouverture de la conférence, sur le thème : les banquiers centraux vont pouvoir souffler un peu dans une ambiance « casual », la première fois depuis deux ans, et profiter du splendide paysage offert par cette station rustique de montagne pourvue d’un centre de conférence. La liste des participants n’était pas secrète, et l’on a su que tout le gratin ou presque était là. Plus de discrétion a été de mise sur les échanges qui y ont eu lieu, hélas. On n’est pas banquier central pour rien ! Ce qui amène à se poser la vraie question suivante : serait-ce parce que l’on ne connaît pas leurs propos que l’on devrait en déduire qu’ils se sont dit des choses décisives ? Ou bien, la rencontre a-t-elle donné lieu à autre chose qu’à un exercice d’autosatisfaction, sur le thème « heureusement, nous étions là ! » ?
On peut tout de même remarquer que Mervyn King, le gouverneur de la banque centrale britannique, brillait par son absence et s’interroger à ce propos. La banque s’est en effet dernièrement singularisée en augmentant la mise de son programme d’achat d’actifs toxiques (passant celui-ci de 50 à 175 milliards de livres), alors que la publication des minutes de son Comité de politique monétaire a révélé que le gouverneur et deux de ses collègues auraient voulu aller au-delà, devant l’étendue de problèmes désormais inventoriés, et que leurs collègues majoritaires s’y étaient opposés. De peur d’effrayer les marchés, dit-on. C’est sur cette question que Andrew Balls, l’un des dirigeant du fonds d’investissement américain PIMCO, s’est exprimé sans fards dans les colonnes du Times britannique. Voici son commentaire à ce propos : « … le risque de faire trop peu est beaucoup plus élevé que le risque de faire trop. En outre, le manque de stimulus peut provoquer une perte de confiance dans la capacité des décideurs à soutenir le rétablissement… » (alors que le syndrome japonais est présent dans tous les esprits).
La grande prudence avec laquelle les banques centrales traitent de la poursuite de leurs mesures « non conventionnelles », à l’exception des Britanniques qui semblent ne pas avoir le choix, est significative des contradictions dans lesquelles elles sont placées. S’engager plus avant dans ce domaine serait nécessaire, mais le prix d’une telle décision risquerait fort d’être lourd à payer pour les gouvernements, en termes de réaction des marchés sur les taux obligataires et les cours de leurs devises. Tout donne donc l’impression que si les banquiers centraux sont si peu prolixes, c’est qu’ils n’ont pu grand chose de possible à annoncer.
Il est toutefois possible de relever les déclarations de Jean-Claude Trichet, président de la BCE, qui cultive la prudence désormais : « Je ne suis pas très à l’aise lorsque je constate que, parce que nous avons quelques ‘pousses vertes’ ici et là, nous disons immédiatement : ‘bien, nous sommes proches d’être revenus à la normale’ ».
Le Blog de Paul Jorion - 22.08.09
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