À procura de textos e pretextos, e dos seus contextos.

11/05/2009

Jeff Jarvis

Chaque jour, la principale question pour les journalistes et les médias dans ces temps troublés (c'est-à-dire plus productifs) doit être : ajoutez-vous de la valeur ? Et si vous n'en ajoutez pas, pourquoi faites vous ce que vous êtes en train de faire ?

Assis dans une chambre d'hôtel, zappant sur CNN l'autre jour, j'ai attrapé un passage censé montrer comme c'est cool d'être un reporter jonglant d'un sujet à l'autre. L'effet sur moi a été inverse.

Le journaliste de CNN (je ne m'en prendrai pas à lui, c'était juste son tour de faire ce numéro) se trouvait devant le nouveau stade des Mets [une des deux principales équipes de baseball new-yorkaises, ndt] pour nous dire qu'il y avait une controverse sur le fait de lui donner le nom d'un sponsor.

C'était juste un texte dit face caméra. Il n'y avait aucun signe d'un reportage ou d'une enquête, il était simplement debout dans un parking. Ce débat était déjà bien connu. N'importe qui pouvait lire quelque chose à ce sujet. Mais CNN voulait montrer une image et a investi dans l'envoi d'un journaliste et d'une équipe.

Ensuite, ce journaliste s'est précipité aux Nations Unies, parce qu'il y avait un vote. Mais ça n'était pas pour y faire un reportage. Il courut jusqu'à un bureau pour se faire filmer à nouveau avec un nouveau décor derrière lui. Ce qui s'était passé avec ce vote était également de la connaissance déjà acquise, n'importe qui pouvait l'avoir lu.

Donc, nous avons un reporter qui ne fait pas de reportage. Mais, bien sûr, ceci est loin d'être limité à CNN. Combien des ressources journalistiques dont nous disposons, déclinantes et précieuses, que ce soit à la télévision, à la radio, dans les journaux et les magazines, vont à du reportage original, à du vrai journalisme ? Et combien vont à de la répétition et de la reproduction ?

Le journalisme ne peut plus se permettre la répétition et la reproduction.

Chaque minute du temps d'un journaliste devrait servir à ajouter de la valeur à l'écosystème de l'information : faire des reportages, aménager et organiser l'information. Cette efficacité est nécessitée par la réduction des ressources. Mais elle est aussi le résultat de l'économie du lien et de la recherche : la seule manière de se démarquer est d'ajouter une valeur unique et de la qualité.

Mon conseil dans le passé a été : si vous ne pouvez pas imaginer pourquoi quelqu'un pourrait faire un lien vers ce que vous faites, vous ne devriez probablement pas le faire. Et : faites ce que vous savez faire le mieux et mettez des liens vers le reste. L'économie du lien est impitoyable pour juger de la valeur.

La question que chaque journaliste doit se poser est : est-ce que j'ajoute de la valeur ?

Regardez un service comme PaidContent. Ils ont une équipe réduite (même si elle augmente) et ils choisissent avec soin ce qu'ils font, si ça vaut la peine d'envoyer quelqu'un à une conférence, s'ils peuvent ajouter de l'enquête à une information qui est déjà connue, comment ils peuvent aménager des liens vers la meilleure couverture qui existe déjà.

Ils choisissent leurs munitions avec soin, économiquement, pour leur donner la plus grande valeur. PaidContent ne peut se permettre d'enregistrer des « face caméra » ou de réécrire les enquêtes des autres pour l'amour de la réécriture ou perdre de l'argent dans des subtilités.

Ceci est la manière dont le journalisme sera exercé à l'avenir : efficacement. (…)

Lorsque le journalisme devient efficace, je pense qu'il peut faire beaucoup mieux que maintenir ce que nous avons aujourd'hui. Lorsque nous nous débarrasserons de tout ce gâchis incroyable (ces réécritures et ces blablas) et lorsque nous aurons un écosystème qui récompense la valeur unique, comme le fait l'Internet, alors je pense que nous pourrions finir par avoir plus de journalisme et plus d'enquêtes et de reportages.

Les blogueurs sont passés par là eux aussi. Faire simplement des liens et commenter sur le travail des autres ne vous rapporte que peu d'attention. Chaque blogueur qui fait un travail original et raconte au monde quelque chose qu'il ne sait pas mais qu'il veut savoir apprend que c'est le meilleur moyen d'obtenir des liens en retour et de l'audience.

Arianna Huffington [fondatrice du site HuffingtonPost, ndt] a expliqué au rédacteur-en-chef du Guardian Alan Rusbridger, voici quelques mois, qu'elle était en train de recruter des reporters parce que leurs sujets attiraient plus d'audience.

C'est de l'intérêt économique bien compris. C'est une leçon que nous apprenons à nos étudiants en journalisme à CUNY [l'université new-yorkaise où enseigne Jeff Jarvis, ndt], quand nous leur faisons ajouter de l'enquête aux conversations qui se déroulent en ligne.

Que vous soyez un blogueur ou une nouvelle forme de média, vous allez devoir vous demander à chaque mouvement s'il va ajouter de la valeur à l'écosystème de l'information. Si ce n'est pas le cas, vous ne devriez pas le faire.

Dans l'économie du lien, la valeur donnée au reportage original va augmenter. La capacité à perdre de l'argent sur des veilles pratiques et un journalisme prétentieux va décliner. Et ce qu'il va rester, je pense, est un journalisme d'enquête plus efficace et apportant de la valeur.

Rue 89 - 10.05.09

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