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26/05/2011

Pourquoi un audit de la dette en Grèce ?

Maria Lucia Fattorelli

Durant six jours passés en Grèce, tout ce que j’ai pu entendre de beaucoup de Grecs peut se résumer en ces termes : « nous ne savons rien de cette dette publique ; nous ne pouvons comprendre qu’elle soit devenue si écrasante car nous n’en voyons pas la contrepartie en investissements, bénéfices ou en quoi que ce soit de profitable pour le pays ; la seule chose qu’on sait en tant que travailleurs, c’est qu’on paie trop d’impôts et que nos droits diminuent chaque jour avec la fermeture d’écoles, d’hôpitaux, de crèches ; que le chômage ne cesse d’augmenter et que nous sommes inondés d’informations visant à nous effrayer concernant l’avenir de l’économie du pays, et même le risque de vente de nos monuments nationaux ».
Les femmes sont les premières victimes de ces mesures car elles sont les premières à perdre leur emploi et les dernières à en retrouver. De plus, avec la réduction ou la suppression des services sociaux, on attend des femmes qu’elles s’occupent de la santé, de l’éducation, des soins aux enfants, et de bien d’autres choses, tout cela sans aucune rémunération.
Les gens sont dans la confusion car tout va très vite. Chaque jour, de nouvelles mesures d’ajustement sont annoncées sur ordre du FMI, de la Banque centrale européenne et de la Commission européenne - la troïka - qui s’immiscent dans les affaires internes de l’économie et de la politique grecques, affectant directement la vie du peuple grec et la souveraineté du pays.
En mai 2010, la Grèce signait un accord avec le FMI. Depuis lors, sans cesse, de nouvelles mesures sont directement imposées à la société grecque et, du jour au lendemain, sans même que le Parlement grec ne se prononce sur ces mesures exigées par la troïka, elles entrent en vigueur. L’intervention directe de la troïka est une situation complètement nouvelle pour un pays connu dans l’histoire mondiale pour avoir donné naissance à la démocratie.
Tous ces ravages économiques, sociaux et politiques sont la conséquence de ce qu’on appelle une crise de la « dette ». Mais il faut se rappeler qu’elle n’a pas commencé comme une crise de la dette, mais bien comme une crise bancaire concernant le secteur financier privé.
En 2008, la plus importante crise financière depuis 1929 a frappé les principales institutions financières des Etats-Unis suite à l’éclatement d’une énorme bulle, formée par l’émission d’un montant incalculable de produits dérivés et autres types de produits financiers sans valeur réelle. Le marché a été inondé par ces « titres pourris ». Cela a été rendu possible car les règles de l’autorité états-unienne de régulation, la Securities and Exchange Commission (SEC) –chargée, suite à la crise de 1929, de contrôler la qualité et l’authenticité des titres échangés sur le marché financier- ont été contournées ou transgressées par de nombreuses institutions financières privées.
Les médias qualifient généralement ces titres pourris d’« actifs toxiques ». Le montant faramineux des dérivés et de tous les titres toxiques a conduit Obama à envisager la création de « banques poubelles » pour « nettoyer » le secteur financier. L’idée a aussi fait son chemin en Europe au début de l’année 2009. Un article du Financial Times du 30 janvier 2009 annonçait l’intention du gouvernement allemand de mettre en place des « banques poubelles ».
Ce plan gouvernemental prévoyait que les avoirs toxiques des banques allemandes frappées par la crise seraient intégrés dans des « banques poubelles ». Au lieu de la mise sur pied d’une seule « banque poubelle » nationale, le gouvernement allemand souhaitait que les banques constituent leurs propres banques poubelles pour leurs avoirs non liquides.
Il est très important de savoir que les institutions qui ont émis ces titres sont les plus importantes du secteur financier car ce sont celles qui ont la « crédibilité » pour vendre et négocier leurs propres titres sur les marchés financiers. De ces institutions, seule Lehman Brothers a été mise en faillite. Très rapidement les Etats-Unis ont approuvé un plan pour sauver le système financier, en injectant des sommes considérables d’argent public pour sauver ces institutions financières de la faillite. Le même plan a été mis en place en Europe en 2009 ; depuis le départ, chacun savait que ce plan représentait un risque sérieux pour tous les pays, comme le montre cette coupure de presse de février 2009.
«  Le sauvetage bancaire européen pourrait précipiter l’Union Européenne dans la crise Selon un document confidentiel de Bruxelles, une reprise des avoirs toxiques détenus par les banques européennes pourrait précipiter l’Union européenne dans la crise
Par Bruno Waterfield à Bruxelles le 11 février 2009
‘Les estimations du montant total des avoirs toxiques à effacer des livres de compte des banques suggèrent que les coûts budgétaires – réels et éventuels– de la reprise des avoirs toxiques devraient être très importants tant en termes absolus que par rapport au PIB des Etats membres’, met en garde le document vu par le Daily Telegraph.
‘Il est important que le soutien gouvernemental pour la reprise de ces avoirs toxiques se réalise à une échelle qui ne crée pas d’inquiétudes quant à un surendettement ou à des problèmes de financement’.
Le document secret de 17 pages a été discuté ce mardi par les ministres des finances, dont le ministre des finances britannique Alistair Darling ».
Ainsi, jusqu’à un certain point, tous les pays du Nord, bien que conscients des risques de débâcle économique, ont commencé à injecter des sommes considérables dans le secteur financier pour sauver les institutions de banque et d’assurance. On ignore les montants accordés au secteur financier. L’estimation se chiffre en milliers de milliards mais aucun pays n’a clairement révélé le montant exact donné depuis 2008, beaucoup de documents « secrets », comme ceux auxquels la coupure de presse fait allusion, ont été produits.
Le plus inquiétant dans cette histoire, c’est que les pays ne disposaient pas dans leurs budgets des sommes qu’ils ont décidé d’injecter dans les banques. Ils ont de fait créé de la dette publique par l’émission de titres destinés aux banques. Ils l’ont fait pour combler le grand « trou » créé par les avoirs toxiques. Une partie significative des « titres souverains » de ces pays ne représente pas une « dette publique » réelle ou des titres émis pour obtenir des ressources pour le pays, mais correspond simplement à l’utilisation d’un mécanisme d’endettement pour garantir des fonds aux institutions financières privées.
La dérégulation des marchés financiers permet d’utiliser des titres de la dette souveraine, tels des jetons dans un casino, pour jouer et parier. Comment une société peut-elle prendre à sa charge les pertes d’opérations aussi irresponsables et immorales, qui retirent des fonds aux services publics essentiels comme la santé, l’éducation, l’aide et la sécurité sociales, le système sanitaire, provoquant d’un côté la perte de milliers d’emplois et de l’autre, l’enrichissement phénoménal des parieurs ?
Peut-on considérer le résultat de ces opérations comme de la dette publique ? Les bons livres d’économie expliquent que la dette publique est un instrument servant à financer les besoins de l’Etat. Les titres émis pour le sauvetage des banques ne peuvent assurément pas être considérés comme de la dette publique mais doivent être traités comme des emprunts distincts, dont le remboursement incombe aux banques et non à la société dans son ensemble.
L’instrument de la « dette publique » est utilisé maintenant en Europe comme il l’a été en Amérique latine à partir des années 1970. Les expériences d’audit de la dette – l’audit officiel en Equateur et l’initiative d’audit citoyen au Brésil – ont montré qu’au cours des 40 dernières années, les seuls bénéficiaires de la dette externe commerciale ont été les grandes banques internationales. Au lieu d’être un instrument pour financer des activités de l’Etat, ce type de dette sous forme de titres est un mécanisme de transfert des ressources publiques au secteur financier privé.
L’audit de la dette a également montré que les crises financières qu’on a connues à partir de 1982 ont été provoquées par les mêmes créanciers privés internationaux et qu’elles ont donné la possibilité au FMI d’intervenir dans nos économies avec les plans d’ajustement structurel – comme cela se produit actuellement en Europe. Ces plans d’ajustement structurel ont coûté au moins deux décennies de lourds sacrifices sociaux (ce qu’on a appelé les « décennies perdues ») pour garantir des bénéfices au secteur financier.
Il est très important que les pays européens qui ne sont pas sous le joug de dictatures, comme c’était le cas en Amérique latine au cours des années 1970 et 1980, organisent des commissions civiles, comme notre organisation l’a fait au Brésil, pour trouver les documents, impulser des enquêtes populaires, des études, encourager la mobilisation sociale afin de faire la lumière sur ce processus d’endettement aussi vite que possible.
Un audit de la dette représente une opportunité d’obtenir la documentation relative à l’endettement et de montrer la vraie nature de ce qu’on qualifie de dette « publique ». Les résultats de l’audit peuvent impulser des actions concrètes dans tous les domaines : populaire, parlementaire, juridique et la mise en place d’autres politiques.
La majorité de la dette publique grecque est composée de titres. La première question à se poser est : quelle est la part de la dette publique qui provient des titres émis pour sauver le système bancaire ? Quelle part de cette dette n’est finalement même pas arrivée dans le pays car elle est juste le résultat de mécanismes financiers et d’attaques spéculatives sur le marché financier ? Quelqu’un doit-il rembourser ce qu’il n’a jamais reçu ? Est-il juste que le peuple grec paie pour cela ?
C’est pourquoi il est si important d’avoir un audit de la dette en Grèce et les organisateurs de la récente conférence sur l’audit de la dette à Athènes et du séminaire de Thessalonique méritent toutes les félicitations pour avoir lancé cet important débat.

http://www.cadtm.org/Pourquoi-un-audit-de-la-dette-en

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